Au Parlement européen, Babiš quitte Macron et laisse entrevoir une alliance avec Orban et Fico
« Nous avons quitté le groupe Renew Europe parce que ce qui nous importe, c'est que nous puissions réaliser notre programme », a déclaré Andrej Babiš dans une vidéo postée lundi pour jusitifier le départ des septs eurodéputés de son mouvement ANO du groupe initié par Emmanuel Macron au Parlement européen. Trois jours plus tôt, la présidente de ce groupe, Valérie Hayer, avait indiqué dans un communiqué que « le divorce entre Renew et ANO arrivait déjà trop tard » et qu' « ANO avait choisi une voie populiste incompatible avec nos idées et valeurs ». Quels sont les objectifs de ce mouvement ANO arrivé en tête des dernières européennes en Tchéquie et qui mène tous les sondages en vue des législatives l'année prochaine ? Quelles conséquences pour les autres partis tchèques représentés au Parlement européen et leur répartition dans les différents groupes - déjà existants ou en formation ? Quelques éléments de réponse avec Lukáš Macek, directeur du Centre Grande Europe de l'Institut Jacques Delors.
La nouvelle du retrait du mouvement ANO d'Andrej Babiš du groupe Renew a fait grand bruit à Prague et à Paris également il y a quelques jours. Comment l'analysez-vous?
Lukáš Macek : « Sur le fond ce n'est pas une très grande surprise dans la mesure où le décalage entre les positions d’ANO et tout particulièrement d'Andrej Babiš - et on connaît l'importance d’Andrej Babiš au sein de ce parti - était déjà très fort avec la ligne générale du groupe Renew et plus généralement avec la ligne des libéraux centristes européens. »
« Là où c'est un peu plus surprenant, c'est qu'on pouvait penser que pour Andrej Babiš, il y avait une certaine valeur à garder un positionnement central, se trouver dans un groupe politique qui le mettait un peu sur la même ligne que certains leaders européens comme Emmanuel Macron. D'ailleurs, il aimait bien mettre en valeur cela, c'était une forme de preuves d’habileté qu’il aimait mettre en avant. Le fait qu’il y renonce, c'est un peu étonnant. Pourquoi le fait-il aujourd'hui ? Quel est le plan B ? Où est-ce qu'ANO va aller ? Ce n'est pas très clair. »
« Donc de ce point de vue, c'est un peu surprenant. Je dirais que sur le fond ce n’est pas une grande surprise, mais tactiquement on se demande ce qu’Andrej Babiš a en tête. »
Est-ce qu'on peut lier ça à la dissolution en France et la position de faiblesse relative d'Emmanuel Macron ?
« Honnêtement, avec Andrej Babiš, on ne sait jamais quels sont les raisonnements qui peuvent être derrière ses prises de positions politiques. Je trouverais ça un peu étonnant, parce qu’appartenir à un groupe politique, ce n'est pas juste une question d'une relation bilatérale à un parti politique ou à un leader européen en particulier, donc je serais un peu étonné que ce soit ça, mais c'est un facteur qui a pu contribuer peut-être.
« Je pense que c'est plutôt - et c'est là où il faut s'interroger - sur ce que cela prédit sur le positionnement d'un Andrej Babiš sur la scène politique tchèque, c'est à dire est-ce que ça traduit une volonté assumée de durcissement et d'inclinaison vers des partis anti-système ou pas. »
Vers un nouveau groupe avec les formations d'Orban, Fico et Babiš ?
Vous en parliez : où est-ce que le parti ANO va aller, dans quel groupe va-t-il siéger ? C'est évidemment la question du moment avec des spéculations sur la formation d'un nouveau groupe ou pourraient se retrouver le parti Fidesz du Hongrois Viktor Orban et puis les partis de Robert Fico, le Premier ministre slovaque, ainsi du président slovaque Peter Pellegrini, donc Smer et Hlas…
« C'est effectivement une option qui est discutée. Maintenant est-elle faisable politiquement et au vu des règles qui régissent de la création des groupes parlementaires, c'est une autre question… Disons que si ces trois partis et ces trois leaders se retrouvent dans le même groupe ce ne serait pas vraiment une grande surprise et ce serait pas non plus du coup un signe d’un durcissement de de la position d’ANO, tout simplement parce qu’on connaît les affinités entre ces leaders. Dès 2015 au moment de la crise migratoire, on retrouve cette volonté de la majorité des pays du groupe de Visegrad de se constituer en espèce de bloc qui défie un peu le mainstream européen. La vraie question porte sur leurs potentiels alliés en Europe occidentale. C'est là où justement la frontière se situe entre une forme de radicalisation ou pas et donc évidemment ça pose la question : est-ce que ça serait un groupe qui se confondrait avec l'actuel groupe ID, qui va assez loin dans le côté anti-système radical ou est-ce qu’ils auraient la force de constituer un groupe qui serait construit autour de ces trois forces politiques centre-européennes sans aller chercher l'extrême-droite occidentale. »
A propos de cette extrême-droite, on a vu également des controverses avec le parti qui domine la coalition gouvernementale tchèque, à savoir l'ODS, le Parti civique démocrate, qui siégeait jusqu'à maintenant et qui continue de siéger dans le groupe ECR (Conservateurs et réformistes européens). Ce groupe devrait maintenant être celui de Marion Maréchal et des autres eurodéputés élus sur la liste du parti Reconquête d'Éric Zemmour mais qui ont déjà fait défection. Et puis des nouveaux venus, ces fameux « Motoristes » tchèques et là l’ODS fait apparemment barrage pour ne pas qu'ils puissent rejoindre ce groupe…
« Tout à fait. Je pense que pour l’ODS c'est quand même une situation un peu compliquée, parce qu’au fond il se retrouve aujourd'hui dans l'aile la plus modérée et la plus pro-ukrainienne du groupe ECR, sans doute de ce point de vue là plutôt en phase avec le parti dominant de ce groupe, Fratelli d'Italia de Georgia Meloni. Mais avec quand même du coup une situation un peu complexe parce que de l'autre côté, il y a des tiraillements sans doute vers des positions un peu plus radicales. »
« Tout ça aussi dans un contexte où l’ODS était sur une liste commune avec des gens qui vont siéger dans le PPE (Parti Populaire Européen), donc avec un problème interne avec l'aile la plus dure et la plus eurosceptique du parti qui commence à à contester ces choix. Cela n'a échappé à personne que monsieur Zahradil (eurodéputé ODS sortant) a donné des signaux très divergents par rapport au positionnement actuel du parti, y compris sur cette question des Motoristes. Pour l’ODS, c’est une forme de difficulté, parce que c'est un parti qui, sur les questions européennes et aussi dans le contexte de l'agression russe contre l'Ukraine, s’est assez recentré et a modéré ses attitudes par rapport à la construction européenne. »
« Mais l’ODS reste quelque part enfermé dans un groupe qui lui est tiraillé entre des positions très différentes. Si jamais il y a l'émergence d'un groupe autour de Fico, Orban et Babiš pourront se poser des questions aussi sur l'effet que cela aurait sur le groupe ECR, notamment le PiS polonais pourrait quand même se sentir peut-être tenté par une alliance autour de Viktor Orban, sauf qu'il y a le sujet Ukraine qui, pour le coup, pourrait empêcher ce genre d'évolution. »
« Donc je pense qu’on a encore devant nous une un certain flottement et d'ailleurs par le passé des groupes politiques constitués n'ont pas tenu très longtemps parce que finalement ils étaient construits sur des bases pas suffisamment solides - c'est quelque chose qu'on a déjà connu au parlement européen. Donc je ne serais pas étonné qu'il y ait une certaine instabilité au niveau de certains groupes politiques dans les années à venir. »
L'ODS, un parti eurosceptique mais pas illibéral
Dans quelle mesure l'appartenance du parti ODS du Premier ministre tchèque Petr Fiala à ce groupe ECR pèse t-il sur l'attribution d'un portefeuille à la Tchéquie dans la prochaine Commission européenne selon vous ?
« J'ai tendance à penser que cela va quand même beaucoup dépendre surtout des qualités personnelles et concrètes de la personne ou des personnes qui seront proposées. Je pense que ces questions d'appartenance politique sont plutôt secondaires, mais c'est vrai que s'il y a une recherche d'équilibre et notamment si Ursula von der Leyen a besoin de d'ouvrir un peu vers ECR pour élargir sa base on pourrait effectivement imaginer que donner quelques gages à des composantes les plus modérées d’ECR et de ce point de vue là l’ODS fait aujourd'hui partie d'une composante modérée d’ECR. Cela peut être un élément intéressant dans dans l'équation compliquée qu’Ursula von der Leyen devra devra résoudre, évidemment avec le risque, en essayant d'élargir dans ces directions, de perdre sur sa gauche. Donc c'est c'est là où l'exercice est très délicat et très difficile. »
Est-ce compliqué parfois pour un politologue tchèque d'expliquer les nuances ? On voit parfois la presse hexagonale qui a tendance à mettre l’ODS tchèque sous l'étiquette d'extrême-droite puisque siégeant notamment avec des eurodéputés issus du parti d'Éric Zemmour. Faut-il comme vous le disiez parler de branche modérée de ce groupe ECR ? Comment définir aujourd'hui l’ODS ?
« Je pense que l’ODS n'a jamais été et n’est certainement pas aujourd'hui un parti d’extrême droite. Effectivement je pense qu'il y a des journalistes français qui, peut-être, ne réalisent pas que l'anomalie c'est l'appartenance de reconquête à ECR, plutôt que l'appartenance de l'ODS à ECR. »
« Il ne faut pas oublier qu’à la base ECR est un groupe qui, historiquement, a été créé par les conservateurs britanniques - des conservateurs britanniques pré-Johnson et pré-Brexit. Donc on peut apprécier ou ne pas apprécier le Parti conservateur britannique, mais on ne peut pas considérer que c'est un parti d'extrême droite. ECR, par sa constitution même, est un groupe conservateur comme son nom l'indique et eurosceptique voire très eurosceptique, mais ça n'en fait pas un groupe d'extrême droite. »
« Effectivement les choses ont commencé à se brouiller un peu quand les conservateurs britanniques sont partis, avec le PiS polonais et ensuite les Fratelli d’Italia devenus des partis dominants dans ce groupe. Ce sont des parties beaucoup plus ambiguës par rapport à cette frontière entre extrêmes et non extrême mais de ce point de vue là l’ODS reste je pense sur la ligne qui était celle du groupe ECR au début, c'est à dire un groupe très euroceptique mais pas illibéral. Eurosceptique mais pas anti-système de la démocratie libérale, pas antioccidental, pas pro-russe etc. »
« Maintenant, c'est clair qu'avec Reconquête… mais là encore il faut savoir qu’au Parlement européen le fait de siéger dans tel ou tel groupe dépend évidemment de positionnement politique et idéologique d'un groupe mais parfois cela dépend aussi des considérations nationales avec des partis qui pour des raisons de politique nationale veulent ou ne veulent surtout pas siéger dans le même groupe. »
« La logique voudrait que Reconquête soit dans le groupe ID, mais j'imagine que le Rassemblement national ne leur facilite pas les choses et ne veut pas d'eux dans ce groupe là et, du coup, ils vont là où on veut bien d’eux à savoir l’ECR. D'ailleurs, j'ai cru comprendre que l’ODS n'était pas enchanté de l'arrivée des élus Reconquête et que ces élus ont dû signer un certain nombre d'engagements, notamment sur la question Russie-Ukraine pour se rendre acceptable pour ce groupe. »
Il semble également que le parti ANO d'Andrej Babiš ne veuille surtout pas être avec le SPD, le parti d'extrême-droite tchèque, qui siège déjà dans le groupe ID (Identité et démocratie), où le mouvement ANO serait peut-être allé sans cette présence du SPD…
« De même que je pense que les pirates auraient pu être tentés d'aller plutôt chez les libéraux de Renew que d'être chez les Verts, mais tant que ANO était dans ECR, la question ne se posait pas. On va voir si l’eurodéputée pirate tchèque va changer de groupe ou pas. Mais voilà, c'est quelque chose d'assez fréquent que les inimitiés nationales influencent aussi l'appartenance à un groupe politique européen sans forcément tenir compte des logiques politiques profondes. »