Carnavals de Hlinsko : une tradition du XIXe siècle inscrite au patrimoine de l’UNESCO
Entre l’Epiphanie et le Mardi Gras, la période du carnaval en République tchèque permet de bien manger et bien boire, et de faire la fête entre voisins et amis pour oublier les petits soucis de la vie quotidienne. Dans la région de Hlinsko, dans le centre de la République tchèque, les cortèges sont plus qu’une simple réjouissance publique. Inscrits pour leur caractère traditionnel au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, ces défilés rappellent le lustre des coutumes populaires du XIXe siècle symbolisant le début de la nouvelle année agricole. Radio Prague s’est rendu dans le village de Veselý Kopec pour vous faire vivre de l’intérieur ce joyeux événement. Reportage.
Le village de Veselý Kopec, un ensemble de maisons conservées du XIXe siècle qui remplissent la fonction de musée ethnographique en plein air et présentent la vie quotidienne des villageois à l’époque, accueille chaque année un défilé ayant démarré dans un village voisin, cette année à Vortová. La différence entre les carnavals dans la région repose surtout sur leur forme immuable qui est soumise à de nombreuses règles. Réservés uniquement aux hommes, certains déguisements et leurs fonctions sont bien définis, même si les détails des costumes diffèrent quelque peu d’un village à un autre, ce qui permet de distinguer ceux-ci. Directrice de la Collection des édifices traditionnels de la région de Vysočina, Ilona Vojancová présente les masques typiques qui forment ce cortège solennel :
« Les déguisements dans la région de Hlinsko peuvent être divisés en deux groupes : les masques ‘rouges’ et les masques ‘noirs’. Le groupe rouge se compose de six masques, plus précisément d’un homme bariolé accompagné de son épouse et de quatre Turcs, et seuls des hommes célibataires peuvent les porter. Les hommes mariés, eux, portent les masques ‘noirs’. Le nombre de ces derniers n’est pas limité et un type de masque peut donc être porté par plusieurs villageois. Les représentants de ce groupe sont l’homme de paille, le marchand juif, le ramoneur, l’équarisseur et sa jument. »Le cortège, accompagné par un orchestre et conduit par l’homme bariolé et son épouse, défile dans le village dans un ordre bien déterminé. Les masques visitent les maisons dans lesquelles ils souhaitent bonheur et santé à la famille et interprètent une chanson à la demande de celle-ci. Chaque déguisement a une fonction spécifique. Par exemple, selon la tradition, le blé et le lin poussent à la hauteur à laquelle les Turcs sautent lors de leur danse typique. Déguisé en ramoneur, David confirme la symbolique des masques :
« Nous formons un ensemble de masques qui se complètent. Certains d’entre eux sont les garants de la fécondité des femmes, d’autres de celle des animaux domestiques ou d’une bonne récolte. Et le ramoneur symbolise le bonheur et s’occupe du poêle pour que les gens n’aient pas froid. »Les villageois, pour leur part, offrent aux carnavaleux des mets traditionnels et de l’alcool. En dansant devant la maison, les masques s’amusent aussi avec le public : les juifs s’efforcent de vendre diverses marchandises, les ramoneurs teignent les joues en noir, les hommes de paille fouettent les femmes avec leurs gerbes, tandis que les équarrisseurs nettoient les spectateurs avec une grande brosse pour débarrasser le village de ses impuretés. Une fois tous ces rites accomplis, le cortège poursuit son chemin jusque dans une autre maison où le spectacle recommence.
La journée de fête typique : l’autorisation du défilé et la mise à mort de la jument
La suite des événements est, elle aussi, précisément établie. Le cortège ne peut commencer qu’avec l’autorisation préalable donnée par le maire du village. La demande faite au magistrat est prononcée publiquement par l’homme bariolé :« Madame la Maire du village de Veselý Kopec, je vous demande, au nom du cortège, l’autorisation de défiler dans le village de Veselý Kopec ce 31 janvier 2015. Je vous promets par là-même de n’omettre aucune maison, de nous conduire comme il faut et de bien finir notre tournée. »
La réponse, bien évidemment affirmative, marque pour les masques le début officiel de la fête. Des airs de musique commencent alors à résonner et tout le monde se met à danser et à chanter.
Une fois l’autorisation reçue, les masques entament leur tournée des habitants du village. Comme ils ne doivent omettre aucune maison, la tournée s’étale sur toute la journée. Ilona Vojancová poursuit :
« Le soir, le cortège s’achève avec le rite appelé ‘La mort de la jument’. Le masque de la jument est condamné publiquement pour ses péchés, des péchés qui sont ceux qui ont été commis par les villageois tout au long de l’année écoulée. Ensuite, la jument est abattue. Mais elle ne reste pas morte bien longtemps. Elle est en effet ranimée et se remet alors à danser avec les autres masques. Ce rite achève symboliquement la période du carnaval. La mort de la jument représente la fin de l’hiver détesté et le retour à la vie de la jument symbolise la renaissance, l’arrivée d’une vie nouvelle et avec elle du printemps. »Le symbole de « la mort de la jument » est une étape purificatrice lors de laquelle le village se débarrasse de ses péchés passés et se prépare à la nouvelle année agricole. Pour autant, la fête, on s’en doute, ne s’achève pas avec cette cérémonie. Celle-ci ne fait que conclure le cortège. Car, une fois la tournée terminée, un bal est organisé dans le village, les festivités se poursuivant alors jusqu’au petit matin.
Les cortèges dans la région de Hlinsko: une tradition inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO
Depuis 2010, les carnavals de la région de Hlinsko forment avec la Chevauchée des Rois de Vlčnov, la fauconnerie et la danse morave de « verbuňk » les quatre traditions en République tchèque inscrites au Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Ilona Vojancová explique que c’est surtout grâce à leur caractère traditionnel que leur candidature a été admise :« Dans la région de Hlinsko, les cortèges d’aujourd’hui diffèrent peu de ceux du XIXe siècle. Les masques sont plus nombreux, mais leur forme et leur fonction restent les mêmes. Le facteur décisif pour l’UNESCO a été l’authenticité de cette tradition. Celle-ci n’est pas organisée par un ensemble folklorique mais par les habitants des villages qui participent aux cortèges et préparent les masques. »
Autrefois, les carnavals se tenaient le Mardi Gras même et constituaient un événement dans le calendrier attendu de tous. Cela a changé avec l’évolution du mode de vie dans les campagnes et, aujourd’hui, les festivités se tiennent toujours un des samedis figurant dans la période des carnavals. Les préparatifs à la fête consistent surtout à préparer les repas et les costumes. Ilona Vojancová précise sur ce point :
« Les costumes appartiennent à ceux qui les portent, ils s’en occupent et les préparent. La plupart des costumes sont réutilisés chaque année. Seul le costume de l’homme de paille doit être refait. Les autres sont seulement remis en bon état et complétés par des feuilles et des fleurs fraîches. »
Les cortèges de la région de Hlinsko offrent un spectacle extraordinaire. Cette année, le carnaval de Veselý Kopec a été le théâtre également du baptême d’un livre intitulé « Masopust na Hlinecku » (Le carnaval dans la région de Hlinsko). L’ouvrage richement illustré présente la longue et riche histoire de ces carnavals. Et pour les plus intéressés, une nouvelle exposition consacrée aux défilés et aux déguisements de la région, est ouverte tout au long de l’année dans « La Crèche », une réserve de maisons historiques qui se trouve au cœur de la ville de Hlinsko.