Fêter Noël dans la région des Hauts plateaux tchéco-moraves
La République tchèque est un pays de tradition catholique, et dans une moindre mesure aujourd'hui protestante, même si elle est aussi connue pour être un des pays les plus athées au monde. En comparaison des voisins polonais et slovaques en tout cas, les Tchèques ont un rapport bien plus distant avec la foi. Pourtant, les fêtes de Noël, un des moments de l'année liturgique les plus importants pour les chrétiens, le sont également pour la plupart des Tchèques, croyants ou pas. Des coutumes païennes viennent se greffer également aux traditions chrétiennes. Pour s'en convaincre, direction les Hauts plateaux tchéco-moraves, dans la région de Vysočina.
Rendez-vous est pris au Musée national en pleine nature dans la localité de Hlinsko. Ce musée à ciel ouvert permet de se balader au milieu d'anciennes maisons en rondins. Ivona Vojancová est ethnologue, elle nous explique que cette partie rurale de la Tchéquie a toujours eu un temps de retard sur les régions de plaines plus fertiles :
« Nous nous trouvons dans l'est de la République tchèque dans un des coins des Hauts plateaux tchéco-moraves. Cette région a toujours été plus pauvre dans le passé parce que les conditions climatiques y sont très rudes et que les champs sont pierreux et peu fertiles. Autrefois, les gens avaient ici des vies difficiles. L'agriculture n'aurait pas suffi à les faire vivre, donc ils exerçaient différents types d'artisanats, dont notamment la menuiserie et le tissage. Les conditions climatiques de la région permettait la culture du lin. »
Pour elle, cette proximité avec la nature et la rudesse des conditions climatiques ont contribué au fait que les populations locales ont eu tendance à préserver d'anciennes us et coutumes. Ici, les gens étaient plus méfiants vis-à-vis de l'autorité religieuse et des doctrines que représentait essentiellement l'Eglise catholique.
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« Dans cette région, la foi était assez tiède. Dans certains villages, le christianisme et l'Eglise catholique ont eu un certain écho. Mais ici, la religion protestante s'était particulièrement bien diffusée et implantée. C'est aussi une région très empreinte de spiritisme. On peut aussi retrouver des influences pré-chrétiennes dans des coutumes locales qui ont été préservées jusqu'à nos jours. Par exemple, les défilés de carnaval de la région de Hlinsko qui sont d'ailleurs inscrits au patrimoine immatériel de l'UNESCO. Ces défilés sont pratiqués de nos jours encore. Ils n'ont pratiquement pas changé et comportent de nombreuses références pré-chrétiennes : le principe de ses défilés est justement de s'attirer les bonnes grâces de la nature, d'influencer les récoltes. »
Ces traditions ont finalement fait l'objet d'un syncrétisme avec la religion catholique : de nombreuses coutumes ont été intégrées à des rituels qui, avec le temps, ont été approuvés par l'Eglise catholique. Un processus qui a d'ailleurs eu lieu à peu près partout dans la chrétienté pour de nombreuses fêtes religieuses. Mais dans la région de Vysočina, cette double appartenance est particulièrement sensible :
« Noël a aussi des racines pré-chrétiennes : ce jour célèbre le retour du soleil, de la lumière après l'équinoxe. C'est un tournant dans la saison hivernale tant redoutée. Nos ancêtres fêtaient ce changement, ce renouveau à venir, et l'Eglise catholique y a rajouté la fête de la naissance du Christ, d'une nouvelle lumière pour l'humanité. »
Les pays tchèques célébraient les fêtes de fin d'année de manière assez uniforme et en fonction du calendrier chrétien. Mais la région de Vysočina présente quelques spécificités :
« Bien sûr, il y avait des coutumes propres à chaque famille, chaque village. C'étaient des jours de fête. Le 24 décembre, les gens jeûnaient de manière rituelle. On dit que les hommes arrêtaient même de fumer ce jour-là. Les enfants aussi respectaient le jeûne. On leur promettait que le soir venu, ils apercevraient un petit cochon doré, un symbole de chance et de richesse. La journée culminait avec le réveillon de Noël où au XIXe siècle et encore au début du XXe siècle, le repas était une vraie cérémonie. La mère de famille préparait en général tout sur la table pour ne pas avoir à se relever. Ici, on disait qu'on devait s'asseoir autour de la table lorsqu'apparaissait la toute première étoile dans le ciel. Ce n'est qu'à ce moment-là que pouvait commencer le dîner. Dans certains villages, les familles attendaient que les voisins allument la lumière chez eux, avant de le faire à leur tour. Ils croyaient que le premier à allumer chez lui subirait la disparition d'un proche dans l'année à venir. Le 24 décembre avait un caractère magique pour nos ancêtres qui croyaient qu'il permettait de voir des choses dans l'avenir ou de l'influencer dans un sens favorable. »
La tradition de s'offrir des cadeaux à Noël a commencé à essaimer dans les régions riches d'Europe vers la moitié du XIXe siècle. Mais elle a mis un peu plus de temps à arriver jusque dans les contrées reculées de la Vysočina. De même, l'habitude de décorer un sapin de Noël a également tardé à voir le jour dans cette région éloignée des grands centres et des routes commerciales.
« Cette tradition a été introduite progressivement dans notre région. Dans les villages, elle est arrivée assez tard : à la fin du XIXe siècle, voire plutôt au début du XXe siècle. Cette coutume nous est venue d'Allemagne, via les familles bourgeoises ou nobles. Mais finalement, ce n'était pas quelque chose de totalement étranger aux traditions locales où on avait l'habitude d'avoir des rameaux et des branches d'arbres fraîches dans les maisons. C'était une façon de célébrer la vie. Donc les gens ont très vite apprécié cette nouvelle tradition. Le plus souvent, les gens avaient des épicéas, 'petits et pas très bien bâtis' selon une ancienne chronique, 'pour qu'il ne fasse pas trop défaut dans la forêt'. En ce qui concerne les décorations, elles étaient d'abord issues de la nature : des pommes de pin, des noix... mais aussi des nœuds de couleur. Puis, on a commencé à mettre des décorations faites de paille, de papier. Au cours des premières décennies du XXe siècle, celles en verre ont fait leur apparition sur les sapins, grâce au travail des verriers de la région. »
De nombreuses traditions ont survécu dans les familles et les villages des Hauts plateaux tchéco-moraves pendant tout le XXe siècle, et selon Ilona Vojancová il est tout-à-fait possible que certaines aient toujours cours aujourd'hui encore.
Quelles que soient vos propres traditions, c'est en tout cas l'occasion de vous souhaiter un peu en avance de très belles fêtes de fin d'année.