Caya Makhélé : On lit Sony Labou Tansi pour se révéler à soi-même
Dans le cadre de la série de manifestations réunies sous le titre Afrique en Création ou Nous sommes tous des Africains, on invite et présente au public de Prague et d'autres villes tchèques des personnalités de la culture africaine. Pour la 6ème édition de ce festival, qui a eu lieu dans la capitale tchèque du 4 au 10 mars, on a invité trois personnalités pour rendre un hommage à un artiste disparu. L'écrivain et éditeur Caya Makhélé, la poétesse et actrice Marie-Léontine Tsibinda et la fondatrice du festival de la Francophonie de Limoges Monique Blin ont évoqué, à l'Institut français de Prague, la vie et l'oeuvre de Sony Labou Tansi, grande figure de la culture congolaise et africaine de la seconde moitié du XXe siècle.
Difficile de cerner les activités multiples de cet écrivain et homme de théâtre profondément enraciné dans le milieu culturel de son continent, qui a pourtant ouvert l'Afrique au monde et a fait connaître ses richesses culturelles aux Occidentaux. Pour l'écrivain Caya Makhélé, aujourd'hui, 12 ans après la mort de Sony Labou Tansi, l'importance de son oeuvre devient de plus en plus évidente.
« On pourrait croire que la boucle est bouclée, mais non. Justement, la vraie vie de Sony Labou Tansi commence maintenant parce que le témoignage qui va rester, c'est son oeuvre. Et son oeuvre est immense et va rester dans l'histoire de la littérature. C'est le plus bel héritage que Sony Labou Tansi nous laisse. Quand il était en vie, c'était un homme d'engagement, un homme qui n'hésitait pas à se donner lui-même pour que les choses changent dans le pays. On a parlé de Sony Labou Tansi, romancier, dramaturge, poète, mais il s'était engagé en politique également. Il a été député dans son pays et il n'a pas hésité à montrer du doigt toutes les failles du système pour dire que les gens qui l'ont nommé député avaient besoin de cette voix. »
Il était un auteur, un romancier, un dramaturge mais aussi un poète. Quelles ont été les sources d'inspiration de son oeuvre ?
« Sony disait qu'il s'inspirait de tout ce qu'il y avait autour de lui, il était souvent dans des endroits impensables, auprès de la population, il se rendait souvent dans les marchés pour écouter les gens et pour voir ce qui se passait, il allait beaucoup aussi sur les lieux de sport. Mais ses sources d'inspirations étaient également dans ses lectures. Il parlait beaucoup des auteurs sud-américains qui avaient pour lui une parenté avec l'Afrique par rapport à l'imaginaire, il parlait beaucoup de Kafka et de Jules Verne qui, pour lui, étaient presque des Africains, parce que ce qu'ils racontaient ressemblait tellement à ce qu'on vivait en Afrique. »
Quelles ont été les bases de son théâtre ?
« Son théâtre est avant tout un théâtre d'improvisation avec des thèmes choisis pour que chaque comédien, chaque membre de la troupe puisse apporter quelque chose. Et ensuite, il écrivait le texte à partir des propositions qui étaient faites. Et souvent ces textes évoluaient énormément et devenaient des textes d'une grande qualité littéraire et théâtrale en même temps. Mais il pensait également que les fondements du théâtre traditionnel congolais étaient importants pour comprendre et pour avoir la capacité de changer la manière de faire le théâtre. Et donc en partant des bases traditionnelles, il a transformé le théâtre congolais et africain. Il a influencé le théâtre africain de telle sorte que la structure même des textes, la manière de mettre en scène, et la capacité de donner de l'espoir aux gens, a fait que son théâtre, comme il disait, 'était le théâtre du corps, de la chair, de la sueur, du sang, et de la parole.' »
Marcel Sony qui allait prendre le pseudonyme de Sony Labou Tansi est né au Congo-Kinshasa probablement en 1947. Aîné de sept enfants, il doit devenir maçon, mais grâce à son oncle et à sa tante il part étudier à Brazzaville et apprend le français. Il gagne d'abord sa vie comme professeur d'anglais avant de s'installer dans la capitale congolaise et de se joindre à la troupe de théâtre de son ami Nicolas Bissi. La troupe prendra le nom de Rocado Zulu Théâtre et deviendra bientôt un ensemble renommé auquel Sony donnera un caractère inimitable. Il se présente à cinq reprises au festival de la Francophonie à Limoges et devient un représentant de la culture africaine dans le monde. Les activités de Sony surprennent par leur ampleur : il est metteur en scène et dramaturge de son théâtre, mais aussi un écrivain prolifique qui donne plusieurs romans qui paraissent en France, il s'adonne aussi à la poésie qui restera cependant en grande partie inédite. A la fin des années 1980, il entre dans la politique et il est élu député à deux reprises. Toutes ses riches activités sont interrompues par la mort. Il meurt du Sida en 1995 mais son oeuvre ne perdra rien de sa vitalité. Caya Makhélé évoque l'accueil qu'on a réservé à cette oeuvre au Congo et dans le monde :
« Sony Labou Tansi, au Congo, était un auteur qu'on a commencé à lire sous le manteau parce que ses oeuvres étaient interdites. Au Congo, ses livres n'arrivaient pas en grande quantité et ce qui était extraordinaire, c'est quand il y avait un exemplaire du roman de Sony Labou Tansi il était lu par des centaines de personnes qui se passaient le livre sous le manteau pour que tout le monde puisse le lire. Et cela fait que Sony est un des auteurs les plus connus au Congo. Sur le plan international également, une ouverture s'est faite avec un premier roman qui s'appelle « La vie et demi » qui est sorti aux éditions du Seuil, et également par le théâtre, avec la rencontre de son théâtre, la rencontre de l'homme, dans la manière de dire et d'expliquer sa propre littérature et sa démarche. Ce sont les choses qui ont permis de faire connaître Sony. Et aujourd'hui, c'est un des auteurs les plus importants de la littérature francophone contemporaine. »
Pourquoi devrait-on lire aujourd'hui les oeuvres de Sony ?
« On devrait lire Sony parce que ce qu'il écrit, ce qu'il nous dit, c'est ce que nous avons au fond de nous, mais nous ne savions pas que nous l'avions, et nous ne nous en doutions même pas. Donc, on lit Sony pour se révéler à soi- même. Pour comprendre quelle part d'homme avons-nous en nous-même. Lire Sony, c'est aussi accepter la capacité de réfléchir autrement, de voir l'Afrique autrement. L`Afrique c'est aussi le lieu où les clichés abondent, où les gens s'imaginent tellement de choses. Sony apporte donc d'autres réponses, un autre regard sur l'Afrique et ce point de vue-là aussi est très important. »