Cent ans depuis la naissance de František Kriegel, personnage du Printemps de Prague
Nous continuons avec la série d’émissions consacrées aux anniversaires en « 8, » en nous arrêtant cette fois sur le 100e anniversaire de la naissance de František Kriegel, le 10 avril 1908. Personnage du Printemps de Prague 1968, František Kriegel s’est distingué en étant le seul dirigeant communiste à refuser de signer le protocole de Moscou relatif à l’occupation du 21 août et en devenant, en revanche, l’un des premiers signataires de la Charte 77.
Lorsque, après l’envahissement de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques, le 21 août 1968, Alexander Dubček et d’autres dirigeants tchécoslovaques ont été contraints de reconnaître l’occupation, sous la pression de Moscou, et de signer le honteux protocole annulant le programme dit d’action adopté le 5 avril 1968 instaurant les libertés d’expression et de rassemblement et garantissant les principaux droits civiques, František Kriegel a été le seul à refuser. Plus tard, le 18 octobre 1968, František Kriegel a aussi été l’un des quatre députés courageux à ne pas voter en faveur du traité sur le séjour des soldats soviétiques en Tchécoslovaquie. Ses propos justifiant son refus ont été les suivants :
« Le traité est un document devant paralyser notre République. J’ai refusé de le signer compte tenu des circonstances : l‘occupation militaire du pays à l’insu de sa direction, sans consultation avec ses organes constitutionnels et en contradiction avec les sentiments de son peuple… Face à la présence de soldats étrangers, le traité n’a pas été signé par la plume, mais par les canons. »
Dans bien d’autres situations, František Kriegel n’a pas manqué de courage. Avec son diplôme de médecin généraliste fraîchement obtenu, il est parti comme volontaire combattre les Franquistes en Espagne. Après un court internement dans un camp en France, il a répondu à l’appel de la Croix rouge pour partir sur le front sino-japonais. Jiří Rajlich, historien de l’Institut d’histoire militaire :
« C’était un soldat, un médecin extrêmement courageux, un homme qui avait des opinions relativement tolérantes, à l’époque, pour un communiste. »
C’est l’enthousiasme d’après-guerre qui a conduit František Kriegel au parti communiste : en février 1948, il est même conseiller des Milices populaires, mais, peu de temps après, il est pris de doutes, au moment où des spécialistes sont éliminés de leurs postes du simple fait de ne pas être membres du parti. Il est alors l’un des rares à agir, bien que ses possibilités soient limitées. En 1952, lorsque l’ère des procès politiques culmine, il devient persona non grata, victime de ses origines juives et de son passé d’interbrigadiste en Espagne. Des caractéristiques qui suffisent à l’époque pour être condamnés à la peine capitale ou à de longues années de prison comme ce fut le destin de nombre de ses camarades. František Kriegel a la chance d’y échapper, mais il est écarté de la vie politique et travaille comme médecin à l’usine automobile Tatra. Ce n’est qu’avec le début d’une détente politique relative, au milieu des années 1960, qu’il entame un come-back : il présente sa candidature à l’Assemblée nationale et est élu membre du Comité central du PCT.
Après la chute du régime d’Antonín Novotný, au début de 1968, František Kriegel devient l’un des organisateurs des réformes politiques formulées dans le programme d’action adopté en avril. Le processus de renouveau est interrompu par la force dans la nuit du 20 au 21 août 1968. La Tchécoslovaquie est occupée par les troupes du pacte de Varsovie, et František Kriegel et d’autres dirigeants tchécoslovaques sont arrêtés et escortés à Moscou pour l’adoption du dit protocole de Moscou par lequel les Soviétiques ont voulu justifier l’invasion en tant qu’acte consenti par Prague. Seuls deux des vingt membres de la délégation tchécoslovaque ont causé des ‘problèmes’ aux Soviétiques : Alexander Dubček, qui après avoir opposé une résistance, a fini par signer, et František Kriegel. Isolé des autres durant les négociations, František Kriegel n’est invité dans la salle de négociations qu’avant la signature même et en dépit de la pression exercée sur sa personne, il reste le seul à ne pas signer. Daniel Povolný, de l’Institut d’histoire militaire :« Vu ses expériences personnelles, il devait compter sur la variante ultime, c’est-à-dire la mort ou, au moins, un emprisonnement en Union soviétique. »
Effectivement, les Soviétiques ont voulu se venger et ne pas le laisser rentrer en Tchécoslovaquie. Son courage lui a coûté toutes ses fonctions politiques. Après l’arrivée de Gustáv Husák à la tête du parti, František Kriegel en a été exclu en tant qu’artisan de la tentative de l’édification du socialisme à visage humain. Ses sympathies pour les idéaux du socialisme, il ne les a pourtant jamais abandonnées. Oldřich Tůma, directeur de l’Institut d’histoire moderne, explique :
« Cette inclinaison pour les idéaux du socialisme et une vision sociale du monde étaient propres à toute une génération de communistes enthousiasmés après 1945 et futurs réformateurs critiques des années 60, de même qu’à certains dissidents. »
En effet, lorsque le 1er janvier 1977, le mouvement de dissidence dans l’ancienne Tchécoslovaquie a publié la Déclaration de la Charte 77, qui réclamait au régime normalisateur le respect de ses propres lois et des accords internationaux concernant les droits civiques signés à la conférence d’Helsinki, František Kriegel est devenu l’un de ses premiers signataires. La réaction ne s’est pas faite attendre : la police politique, la StB, l’a surveillé et intimidé jusqu’à la fin de sa vie. Ainsi, en 1976, deux hommes ont fait intrusion dans son appartement et blessé son épouse. Des appels téléphoniques nocturnes de personnes se présentant comme les pompes funèbres lui annonçaient qu’un cercueil était préparé pour lui. František Kriegel supportait relativement bien ces pratiques. Le 3 décembre 1979, il succombe pourtant à un infarctus. Afin que ses funérailles ne se transforment pas en manifestation de résistance, il est inhumé en secret. Pour honorer sa mémoire, la Charte 77 décerne, depuis déjà 21 ans, un prix pour le courage civique et la contribution au respect des droits de l’homme portant le nom de František Kriegel.