Centenaire de la mort de Maurice Pellé, premier chef d’Etat-major de l’armée tchécoslovaque

Général Maurice Pellé en 1920

Le 16 mars, 100 ans se sont écoulés depuis la mort du général Maurice Pellé, chef de la mission militaire française en Tchécoslovaquie après la Première Guerre mondiale, et premier chef d’Etat-major de cette armée d’un nouvel Etat binational, né sur les ruines de l’empire austro-hongrois. Retour sur le parcours d’un homme qui est devenu un symbole des relations franco-tchécoslovaques.

Stéphane Crouzat et Petr Pavel | Photo: Tomáš Fongus,  Bureau du Président de la République tchèque

Lorsque le nouvel ambassadeur de France, Stéphane Crouzat, a remis ses lettres de créances au président tchèque Petr Pavel le 4 mars dernier, l’ancien général et chef d’Etat-major de l’armée tchèque n’a pas manqué de rappeler à cette occasion qu’un de ses illustres prédécesseurs au plus haut poste militaire était le général français, Maurice Pellé.

En effet, quand s’achève la Première Guerre mondiale et que naît la toute jeune république centre-européenne, les dirigeants tchécoslovaques font appel à Paris qui a soutenu leur indépendance pour envoyer à Prague une mission militaire chargée d’aider le pays à mettre sur pied une armée. L’idée est entérinée le 26 janvier 1919 par la signature d’un accord militaire entre les deux pays. C’est le général Maurice Pellé qui est nommé à la tête de cette mission d’une trentaine d’officiers et qui prend ses fonctions dès le mois de février. Sa petite-fille, Isabelle Monzini-Pellé, qui entretient sa mémoire nous avait rappelé il y a quelques années la raison de ce choix :

Isabelle Monzini-Pellé | Photo: Martin Balucha,  ČRo

« Il a été choisi parmi d’autres d’abord parce qu’il était considéré comme un des généraux de la victoire. Ensuite, parce qu’il avait une grande connaissance de la langue allemande. Il avait été attaché militaire à Berlin et donc connaissait très bien l’Allemagne. Le morcellement après la guerre nécessitait l’intervention des pays vainqueurs, tout autour de l’Allemagne pour lui faire barrage. Il y avait Berthelot en Roumanie, Henrys en Pologne et Pellé en Tchécoslovaquie, à cause de sa bonne connaissance de l’Allemagne en général, et parce qu’il était diplomate. »

Militaire au parcours assez typique de son temps, polytechnicien, passé par les colonies (Madagascar et le Maroc), qui s’est distingué sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, et notamment lors du Chemin des Dames, ce proche du maréchal Joffre est également réputé pour ses talents de diplomate. Pendant la Grande guerre notamment, il sait naviguer entre les exigences du terrain rapportées par l’Etat-major et les desiderata de l’arrière politique. Lorsqu’il arrive à Prague en février 1919, son rôle est clairement défini, mais il va très vite être confronté à des problèmes frontaliers hérités de la nouvelle carte de l’Europe centrale :

Maurice Pellé | Photo: VHÚ

« La mission militaire au départ était une mission de conseil auprès du ministère de la Défense tchécoslovaque, pour armer un pays dont les soldats rescapés de la guerre avaient été partagés en deux camps. Il y avait les légionnaires tchécoslovaques et les soldats intégrés dans l’armée austro-hongroise. Ces derniers étaient terriblement démoralisés et démotivés. Il fallait construire une armée avec des éléments extrêmement hétéroclites. Puis, mon grand-père a été nommé chef d’Etat-major de l’armée à cause de l’invasion magyare dans le sud de la Slovaquie, ce qui a transformé la mission en vraie cheville ouvrière de cette armée. »

Général Pellé et T. G. Masaryk | Photo: Martin Balucha,  ČRo

Car en effet, un incident met très vite à l’épreuve le commandement français : la Hongrie s’est bien moins résignée à la perte de la Slovaquie que l’Autriche à celle de la Bohême. Le sud et l’est de la Slovaquie sont occupés début juin 1919 par la Hongrie et Maurice Pellé est nommé généralissime par le président T. G. Masaryk. A peine créé, l’Etat tchécoslovaque est en danger et son existence, de facto, contestée. Car outre cette invasion magyare à mater, des écoles militaires à créer, une armée composée d’individus aux passés de soldats très différents à créer, Maurice Pellé doit également composer avec les deux parties impliquées : le diplomate réputé qu’il est doit trouver un juste équilibre entre les souhaits des Alliés et les intérêts d’un pays qu’il doit défendre et auquel il s’attache très vite :

Général Maurice Pellé | Photo: Martin Balucha,  ČRo

« Il y a des dizaines d’ouvrages qui parlent de ces difficultés. D’après ce que j’ai pu balayer, ce n’était pas ce qui était le plus difficile. C’était plutôt vis-à-vis de son propre gouvernement en France, où les décisions n’étaient pas toujours faciles à envisager. La situation était complexe partout après la guerre. Les gens acceptaient difficilement de voir arriver des étrangers. Rien n’était clair… Donc il fallait avoir beaucoup de tact et de patience pour contourner les obstacles. Mais ce n’était pas plus les officiers tchécoslovaques que les autres. Et puis, Béla Kun, l’invasion magyare a été repoussée, politiquement surtout. Et Pellé en a récupéré la paternité. »

L’artiste derrière le soldat

Jarmila et Maurice Pellé | Photo: L'exposition Maurice Pellé - Zdenka Brauner,  chemins des destins entre la Bohême et la France/Musée de Roztoky

Mais Maurice Pellé n’a pas été qu’un soldat engagé pour son pays : depuis sa plus tendre enfance, cette âme d’artiste dessine et peint tout ce qu’il voit. Il y a une dizaine d’années, une exposition organisée au Mémorial de Verdun par sa petite-fille rappelait cette facette méconnue et passionnante de sa personnalité. A Prague, c’est donc sans surprise qu’il évolue également dans les cercles artistiques et intellectuels tchécoslovaques où la vie de ce célibataire endurci de 60 ans va croiser celle d’une jeune femme d’une trentaine d’années, Jára Braunerová, qui deviendra sa femme, comme le rappelle leur petite-fille Isabelle Monzini-Pellé :

Géneral Maurice Pellé avec sa fille Maryska | Photo: VHÚ

« A Prague, il s’intéresse à la culture, s’intéresse à tous les artistes de l’époque. C’est comme cela qu’il a rencontré la peintre Zdenka Braunerová. Il allait à des concerts, il a été touché par l’art tchécoslovaque. Ma grand-mère raconte dans ses mémoires comment elle l’a rencontré, comme elle se trouvait devant cette tante, Zdenka, de 60 ans, et ce monsieur respectable, de presque 60 ans, comme elle les voyait discuter de tout, de littérature, de musique… Elle se sent toute petite, elle a 30 ans, ne sait rien à part dessiner et chanter. Zdenka l’affuble d’une couronne de fleurs et d’un costume slovaque et lui demande de chanter. C’est là que mon grand-père a baissé les armes. »

Général Maurice Pellé avec son épouse à Constantinople en 1923 | Photo: Pražský illustrovaný zpravodaj,  1923/Wikimedia Commons,  public domain

De cette union avec la nièce de la peintre Zdenka Braunerová naîtra une fille unique, Maryška, la mère d’Isabelle Monzini. Maryška n’aura connu son père que deux ans : rappelé par Paris en 1920, au grand dam du président Masaryk, Maurice Pellé est envoyé en janvier 1921 à Constantinople comme haut-commissaire de la République française en Orient. Atteint d’une leucémie, le général meurt le 16 mars 1924 à Toulon. Aujourd’hui, sa mémoire est rappelée à Prague par une rue et une villa à son nom.

L'ambassade de France et l'Institut français de Prague ont commémoré le centenaire du général Maurice Pellé à l'occasion d’une soirée-débat organisée le 14 mars dernier au palais Buquoy, avec les historiens français, tchèque et slovaque Antoine Marès, Isabelle Davion, Ivan Šedivý et Michal Kšiňan.

Villa Pellé | Photo: Barbora Němcová,  Radio Prague Int.