À Terezín, « antichambre d’Auschwitz », bientôt trop tard pour sauver les restes du ghetto et les traces de la Shoah

La caserne de Dresde

80 ans après la libération du camp d’Auschwitz, plusieurs des principaux bâtiments historiques qui ont servi à enfermer les Juifs dans le ghetto de Theresienstadt sont dans un état de délabrement avancé.

Le camp de transit de Terezín | Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Les dizaines de milliers de visiteurs qui se rendent chaque année à Terezín, à une soixantaine de kilomètres au nord de Prague, ne passent pas forcément devant. Le mémorial est installé dans la Petite forteresse, là où se trouvait la prison de la Gestapo. L’essentiel du ghetto de Theresienstadt était dans la Grande forteresse et les bâtiments dans lesquels vivaient ceux qui y étaient enfermés sont dans le centre-ville de ce qui est aujourd’hui une petite commune d’à peine 3000 habitants, hantée par son passé étroitement lié à l’histoire de la Shoah.

„Hola, zítra život začíná
a tím se blíží čas,
kdy sbalíme svůj raneček
a půjdem domů zas.
Všechno jde, když se chce
za ruce se vezmeme
a na troskách ghetta budeme se smát.“

« Hola, demain la vie commence
et l’heure approche,
où nous ferons nos bagages
et rentrerons chez nous.
Tout est possible quand on le veut
nous nous tiendrons par la main
et sur les ruines du ghetto, nous rirons. »

Cette chanson devenue l’hymne du ghetto de Terezín est l’œuvre de Karel Švenk, qui, comme des dizaines de milliers d’autres internés dans cette localité, n’a pas survécu à la fin de la guerre pour pouvoir « rire sur les ruines du ghetto ».

Cet ancien ghetto de Theresienstadt (le nom allemand de Terezín) est véritablement en ruines aujourd’hui – en tout cas plusieurs des imposants bâtiments historiques sont en train de s’effondrer, à commencer par le plus connu d’entre eux : la caserne de Dresde, appelée à l’origine grande caserne d’infanterie puis devenue la caserne de Žižka.

Le ghetto de Terezín | Photo: Holocaust Memorial Miami Beach

« Il reste des traces du ghetto »

C’est là que commence notre visite de Terezín, en compagnie de Šimon Krbec, directeur du Centre d’études des génocides :

Šimon Krbec | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Ces bâtiments de Terezin ne sont pas seulement des éléments du patrimoine historique et culturel. Ce sont aussi des preuves de l’Holocauste, et si jamais ils étaient détruits ou s’ils s’effondraient, alors ce n’est pas seulement le patrimoine qui disparaît mais ce sont aussi ces preuves qui disparaissent. »

Cela dit, quelqu’un qui ne veut pas le voir comme une preuve peut toujours dire qu’il ne s’est rien passé de tel ici…

« À l’intérieur de ces bâtiments il reste des traces du ghetto. Si vous comparez avec le camp de Chelmno par exemple, où les nazis ont effacé toutes les traces, alors pour les négationnistes il est plus facile de dire que rien ne prouve que l’Holocauste a existé puisqu’il n’y ne reste aucune infrastructure physique. »

Et il est possible de comparer ce lieu avec les archives audiovisuelles de l’époque...

La caserne de Dresde | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Si vous avez le matériel audiovisuel historique cela vous permet de montrer qu’il s’agit bien de faits historiques qui se sont passés dans ces bâtiments qui existent encore. »

Le matériel audiovisuel historique, c’est d’abord ce tristement célèbre film de la propagande nazi, destiné à montrer au monde en 1944 comment les juifs étaient particulièrement bien traités ici et intitulé "Theresienstadt. Un film documentaire sur la zone de peuplement juif" (Theresienstadt. Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet).

Vie quotidienne agréable, bonnes conditions de travail, mais aussi effervescences culturelle et sportive - c’est dans l’enceinte de la caserne de Dresde qu’ont été filmées les images du match de foot inclues dans ce qui reste comme un modèle d’utilisation de la vidéo pour masquer un crime commis contre l’humanité.

Photo: ČT24

Toitures, plafonds et murs s'écroulent

Radek Keřka est l’ingénieur des travaux publics en charge pour la mairie de Terezin de ces bâtiments aujourd’hui délabrés. En ouvrant la porte de cette caserne de Dresde, il demande de faire bien attention de suivre ses consignes car l’endroit est potentiellement dangereux.

Radek Keřka | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Après plusieurs années, je suis enfin optimiste. Des années de négociations et de promesses non tenues mais cette fois tout est noir sur blanc donc j'y crois. »

« Il y a encore une chance de rénover le bâtiment, mais cela va bien sûr dépendre de l'institut du patrimoine, pour savoir comment réparer ce qui s'est effondré, soit à l'identique soit avec du matériel plus moderne en gardant l'apparence extérieure. »

« Seulement pour réparer la toiture on a prévu 500 millions de couronnes. Il faut aussi réparer les murs là où ils sont tombés, et puis aussi par exemple la couverture du toit et les plafonds en bois parfois, là où le bois est pourri et risque de contaminer le bois neuf. »

Sur la façade de cette caserne de Dresde, outre son état de délabrement avancé, c’est le grand panneau rouillé dans le plus pur style des décennies sous la férule de Moscou qui frappe en premier, avec l’inscription martelée avec un point d’exclamation « Pacte de Varsovie, bouclier du socialisme ! ».

La caserne de Dresde | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

Une bannière qui date de l’époque où le bâtiment était propriété de l’armée tchécoslovaque. L’armée tchèque en héritera à l’indépendance du pays en 1993 mais abandonnera les lieux en 1997. La majorité des 3000 habitants de la petite ville de Terezin sont aujourd’hui encore d’anciens militaires ou leurs descendants.

Et pour certains comme Miroslav, officier retraité de l’armée de terre, sauver ces anciens bâtiments n’est pas vraiment une priorité, même s'il y a passé une grand partie de sa vie professionnelle : « Ça ne sert à rien de rénover, tout s'écroule à Terezín... »

C’est aussi avec les opinions de ses administrés que doit composer le maire de Terezín, René Tomášek, en poste depuis 2018 :

René Tomášek | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Notre ville possède une riche histoire, notamment liée à sa forteresse. Cette histoire fortifiée s'étend sur 245 ans, et la Seconde Guerre mondiale n'a marqué la forteresse que pendant quatre ans, ce qui ne représente qu'une infime partie de son passé. La forteresse a une histoire vaste et fascinante, bien plus variée et intéressante que ce seul épisode. »

« C'est pour cette raison que nous avons créé, avec la région d'Ústí, l'association "Terezín, ville du changement". Nous cherchons à attirer les touristes, non seulement tchèques mais aussi étrangers, en mettant en avant la richesse historique de la forteresse de Terezín, qui dépasse largement la Deuxième Guerre mondiale. »

« Nous ne cherchons pas à minimiser l'importance de ce qui s’est passé ici pendant la guerre dans l'histoire de la forteresse, car elle en fait partie. Toutefois, ce n'est pas notre priorité. Aujourd'hui, notre priorité est tournée vers l'avenir, tout en gardant à l'esprit ce qui s'est passé, en rappelant à la fois les aspects positifs et négatifs de l'histoire de la ville. »

La ville de Terezín | Photo: Magdalena Kašubová,  Radio Prague Int.

« Oui, il est encore possible de sauver ces bâtiments » 

Où en est-on du sauvetage des bâtiments délabrés, comme l’est la caserne de Dresde, dont le toit s’est déjà en partie effondré ? Vous disiez déjà il y a quelques années qu’il était minuit moins cinq, selon l’expression tchèque, c’est-à-dire qu’il ne restait que très peu de temps avant qu’il ne soit trop tard…

« La situation actuelle est la suivante : nous avons obtenu un soutien approuvé par le gouvernement de la République tchèque et par la région d'Ústí nad Labem dont nous faisons partie. Il s'agit de programmes émanant du ministère du Développement régional et du ministère de la Culture. Le chemin vers cette validation a été assez long et semé d'embûches, mais nous entrevoyons maintenant des jours meilleurs. »

La caserne de Dresde | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« La caserne de Dresde est connue des habitants locaux sous le nom de "casernes Žižka" du nom donné par l'armée tchécoslovaque. Ce bâtiment figure parmi les priorités de la première vague de rénovations. C'est l'un des édifices les plus complexes à rénover. Cette année, nous espérons au moins en finaliser les projets et peut-être commencer les travaux. Mais nous devons encore attendre l'achèvement des documents administratifs liés à ces travaux. La première vague de rénovations inclut cette caserne ainsi que le bâtiment de l'arsenal voisin, tous deux pris en charge par les programmes du ministère de la Culture. Ces efforts visent uniquement à sauver les parties en danger critique, principalement les toitures. »

Pourquoi ce processus a-t-il pris autant de temps ?

La caserne de Dresde | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Il y a eu plusieurs décisions malheureuses dans le passé. La première a été de décider que l’armée quitte ces bâtiments, car Terezín a toujours été historiquement une ville militaire. L’armée faisait partie intégrante de la vie de la forteresse. Lorsque l’armée a commencé sa professionnalisation au début du XXIe siècle, elle a jugé ces propriétés inutiles et les a cédées à l’État, puis à la ville. C’était un énorme problème, car ces bâtiments n’étaient déjà pas en bon état. L’armée savait depuis le milieu des années 1990 qu’elle allait les abandonner et n’avait donc plus investi dans leur entretien. »

La caserne de Dresde | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Lorsque ces bâtiments ont été transférés à la ville, le gouvernement de l’époque avait promis de concentrer son soutien sur Terezín. Ils préféraient confier ces bâtiments à la ville, pensant qu’elle pourrait mieux les gérer. Cependant, il y a eu plusieurs tentatives ratées, comme la création d’un campus universitaire, qui n’a pas abouti. On nous a ensuite conseillé d’adopter une approche progressive, avec une aide gouvernementale initiale qui nous a permis de rénover quelques bâtiments. Actuellement, le gouvernement et la région d’Ústí nous soutiennent à nouveau. Sans la région d’Ústí, nous n’aurions pas pu avancer. Maintenant, nous nous concentrons sur la stabilisation de l’état critique des bâtiments. Cette situation est vraiment catastrophique. Il y a six, sept ou huit ans, nous disions qu’il était "cinq minutes avant minuit". Aujourd’hui, c’est "cinq minutes après minuit", mais nous avons encore une chance de sauver ces bâtiments. »

Pensez-vous qu’il soit encore possible de les sauver ?

La caserne de Dresde | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Oui, il est encore possible de les sauver. Ces bâtiments ont été conçus pour résister aux bombardements d’artillerie et étaient technologiquement avancés pour leur époque, à la fin du XVIIIe siècle. Cela leur donne une certaine résistance malgré leur état actuel. »

« Il est important de les sauver, ces bâtiments sont un héritage unique de nos ancêtres, un patrimoine incomparable. La région d’Ústí joue un rôle crucial, car aujourd’hui, les subventions ne couvrent jamais 100 % des coûts. Une partie du financement doit être cofinancée. Nous parlons ici de montants se chiffrant en milliards de couronnes. La région d’Ústí doit apporter environ 700 millions de couronnes pour soutenir la forteresse de Terezín, afin que nous puissions préserver ces monuments dans un état convenable. »

« Pour que quelqu'un s'y intéresse, c'est notre responsabilité »

Pour les survivants du ghetto de Terezin et leurs descendants, l’état de délabrement de plusieurs de ses bâtiments est un crève-cœur. Le sociologue et écrivain Fedor Gál est lui-même né en mars 1945 à Terezín, où sa mère enceinte de lui avait été déportée avec son frère aîné.

Fedor Gál | Photo: Elena Horálková,  ČRo

Fedor Gál : « C'est ma ville natale, et je n'aime pas cette ville. J'y suis allé plusieurs fois, et je ressens un poids qui émane de cette ville. Même l'état délabré de la ville fait partie de ce que je ressens envers Terezín. Cette anxiété et ce qui hante cette ville la caractérise selon moi. D'un autre côté, c'est un mémorial, une mémoire, un lieu de recueillement, et il mériterait de ne pas tomber en ruine. Je peux imaginer les obstacles qui existent là-bas, comme toujours : l'argent, l'argent, l'argent. Et si on ne leur donne pas d'argent, ils ne lèveront pas le petit doigt. S'ils en ont reçu, s'ils en recevront ou combien, je ne sais pas. Je leur souhaite que la ville ne tombe pas en ruine sous leurs yeux. C'est leur responsabilité. »

Theresienstadt,  photo: Holocaust Memorial Miami Beach

« Mon avis est que, selon une récente enquête d'opinion publique, 46 % des jeunes Français n'ont aucune idée de ce qu'a été l'Holocauste. Et ça, c'est mobilisant, c'est tragique, c'est effroyable, un véritable cauchemar. C'est pourquoi je pense que les témoignages et les preuves sont indispensables, mais ils ne suffisent pas. Ils ne suffisent pas. J'ai 80 ans, et je suis né à Terezín. Dans peu de temps, je ne serai plus là, et la grande majorité de ceux qui ont survécu à ces années-là, que ce soit à Terezín ou ailleurs, ne sont déjà plus là. C'est pourquoi la mémoire, les archives et l'éducation sont cruciales. En France, il semble que l'éducation ne fonctionne pas, si 46 % des jeunes ne savent pas ce qu'était l'Holocauste. En Allemagne, ce chiffre est de 12 %, en Autriche de 14 %. Donc quelque chose ne va pas quelque part. Quelque chose ne va pas. Ce qui est essentiel, c'est que Terezín dispose d'archives, de collections de vidéos, de photographies, de documents. C'est fondamental. Dans le monde, il existe de riches archives dans des universités juives et ailleurs. Mais je reviens à ce que je disais au début. Pour que quelqu'un s'y intéresse, c'est notre responsabilité. »

Ce sont des bâtiments immenses. Selon vous, que devrait-on y faire ? Qu'est-ce qui pourrait y être montré ? Quel en serait l'usage ?

« Je pense qu'il devrait avant tout être un centre culturel. Avant tout une institution éducative. On devrait y organiser des festivals, y projeter des films, y tenir des discussions. Parler, parler, parler face à face, et non en cliquant sur Internet. Ce serait une utilisation digne, selon moi. »

La caserne de Dresde | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

"Mémorial de la souffrance nationale" devenu Mémorial de Terezín  

Le cimetière de Terezín | Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Pour les dizaines de milliers de visiteurs qui viennent à Terezín chaque année, l’impression peut être trompeuse, avec le mémorial et le cimetière situés dans la petite forteresse, où la Gestapo avait installé sa prison, tandis que la très grande majorité des déportés vivaient dans le ghetto, dans la grande forteresse. Avant de s’appeler Mémorial de Terezín, il avait été appelé Mémorial de la souffrance nationale après-guerre, avec tout ce que les concepts de nation et nationalité peuvent exclure dans ces contrées.

Dans un récent documentaire (Mezi příkopy a valy), le chercheur Martin Šmok et le cinéaste Viktor Portel tentent d’appréhender ce rapport complexe entre la population tchèque actuelle et l’histoire de Terezín :

« Ce ghetto lui-même, ainsi que les histoires de ces personnes, ne sont pas considérés, par une partie de la nation, comme faisant partie intégrante de son histoire. Cela ne s’intègre pas vraiment dans notre récit national – que ce soit parce que les gens sont nés juste après la guerre ou durant la période du régime totalitaire. Et aujourd’hui, nous en sommes si éloignés qu’il est facile de dire : ‘Tout cela appartient au passé lointain, pourquoi continuez-vous à nous le rappeler ?’. Écarter ou refouler des choses qui sont trop complexes est quelque chose qui, ici, nous est malheureusement assez naturel », estime Martin Šmok.

Between The Ditches And Ramparts / Trailer / 28th Ji.hlava IDFF

Cette histoire est d’autant plus complexe que, comme dans le cas du camp rom de Lety u Pisku, le ghetto de Terezín était aussi sous la surveillance de gendarmes tchèques.

En France, il a fallu attendre plusieurs décennies pour que le débat sur la collaboration active des forces de l’ordre françaises à la déportation des Juifs aboutisse à quelque chose de tangible. En Europe centrale, il en est autrement.

Fedor Gál : « L'Europe centrale a une histoire particulière, car la démocratie y est arrivée, non pas un peu, mais beaucoup plus tard qu'en France. Donc, tout ce débat avance, mais en boitant des deux jambes. Et en Slovaquie, il n'a même pas vraiment commencé. Au contraire, je suis originaire de Slovaquie et j'y ai passé une grande partie de ma vie. Je peux vous dire que les passions envers l'État slovaque nazi et fasciste de la guerre sont énormes, énormes. C'est effrayant, pour moi, c'est effrayant. »

Affiche de propagande nazie slovaque publiée en 1940 -1941 par la garde Hlinka  (alias le parti populaire slovaque),  un parti clérico-fasciste qui dirigea la Slovaquie de 1939 à 1945 en tant qu'État vassal de l'Allemagne nazie | Source: Wikimedia Commons,  public domain

Terezín, lieu de déportation des premiers civils et place centrale dans l'histoire mondiale de l'Holocauste 

À Terezín, les quartiers des gendarmes tchèques se trouvaient dans la maison Wieser (Wieserův dům). Ce bâtiment, qui fait partie de ceux récemment rénovés, abrite désormais la bibliothèque municipale d’un côté et de l’autre le Centre pour l’étude des génocides, où l’on retrouve son directeur.

La maison Wieser à Terezín | Photo: RomanM82,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0

Šimon Krbec : « L'importance historique de ces lieux est intimement liée à la signification historique et au patrimoine de Terezín dans son ensemble, considéré comme l'un des sites de mémoire les plus importants, non seulement en Tchéquie, mais aussi en Europe centrale. Cette histoire ne se limite pas à la Deuxième Guerre mondiale et au génocide des Juifs perpétré par les nazis. Elle remonte également à la Première Guerre mondiale, lorsque Terezín abrita un vaste camp de prisonniers de guerre alliés. »

La Grande forteresse de Terezín | Photo: Magdalena Kašubová,  Radio Prague Int.

« C'est aussi ici qu'eut lieu la déportation des premiers civils, notamment des Ruthènes issus de la zone du front de l'Est. Par ailleurs, Terezín est une réalisation remarquable par sa conception militaire, une construction coûteuse et techniquement avancée datant de la fin du XVIIIe siècle. Bien que certaines parties des bâtiments soient aujourd'hui menacées de ruine, l'état actuel de conservation de Terezín reste un témoignage unique de l'architecture militaire de cette époque. »

« En ce qui concerne la Deuxième Guerre mondiale, Terezín constitue, pour la Tchéquie, le lieu de mémoire le plus significatif rendant hommage aux victimes de l’Holocauste sur son territoire. Le rôle de Terezín comme camp de transit a largement dépassé les frontières du Protectorat de Bohême et Moravie. Des Juifs y ont été déportés depuis d'autres pays d'Europe centrale et, dans une moindre mesure, d'Europe occidentale. Cela confère au ghetto de Terezín une importance centrale dans le processus d'extermination et de génocide orchestré par les nazis. »

Le ghetto de Terezín | Photo: Paměť národa
La propaganda à Terezín | Photo: NFA

« De plus, Terezín a également servi à des fins propagandistes. Les nazis l'ont exploité, ainsi que ses prisonniers, pour soutenir leurs théories négationnistes et propager l'idée que les Juifs n’étaient pas maltraités en Europe pendant la guerre. L'épisode tristement célèbre de l'inspection de la Croix-Rouge en est un exemple frappant. Ces événements et fonctions dépassent largement l'histoire tchèque et occupent une place centrale dans l'histoire mondiale de l'Holocauste. »

L’hymne du ghetto de Terezín est ici interprété par Ruth Elias (Eliášová) avec son accordéon lors de l’entretien qu’elle a accordé au réalisateur français Claude Lanzmann dans le cadre du tournage de son film Shoah et diffusé il y a quelques années dans la série intitulée Les Quatre sœurs. Née Ruth Huppertová en 1922 à Ostrava et morte en Israël en 2008, elle a été déportée à Terezín puis à Auschwitz et son témoignage de survivante est une plongée dans le gouffre abyssal du mal absolu.

SHOAH: THE FOUR SISTERS (Masters of Cinema) UK Home Video Trailer

Le « camp-ghetto » de Terezín (Theresienstadt) – parfois qualifié d’« antichambre d’Auschwitz » fut actif pendant trois ans et demi, du 24 novembre 1941 au 9 mai 1945, date de sa libération, trois mois et demi après la libération d’Auschwitz.

Pour les nazis, Terezín remplissait trois fonctions :

  • Un camp de transit pour les Juifs tchèques déportés vers les centres de mise à mort, les camps de concentration ou de travaux forcés sur les territoires occupés de Pologne, de Biélorussie et des États baltes.
  • Un ghetto-camp de travail où les SS déportaient et incarcéraient certaines catégories de Juifs allemands, autrichiens et tchèques, définies selon l'âge, un handicap dû à un passé militaire, ou une certaine renommée artistique et culturelle chez eux. Il s'agissait ensuite de dissimuler l'annihilation physique des Juifs déportés de tout le Reich. Pour cela, le régime nazi faisait croire, notamment en Allemagne même, qu'ils allaient être déplacés vers l'est et utilisés comme main-d'œuvre. Ce scénario ne fonctionnant pas pour une population âgée, c'est Terezín qui servait à cacher la nature des déportations.
  • Un lieu où parquer les Juifs des groupes définis ci-dessus. On espérait que les mauvaises conditions de vie du camp précipiteraient le décès de nombre d'entre eux, puis que les SS et la police déporteraient les survivants dans des centres de mise à mort, à l'est.

Ni vraiment un ghetto, ni un camp de concentration à proprement parler, même si on en retrouve des caractéristiques, Terezín servait de « colonie », de camp de rassemblement. En tant qu'outil pour faire illusion, ce lieu est unique.

Cédant aux pressions exercées après la déportation des Juifs danois à Terezín, les Allemands autorisèrent la venue de la Croix-Rouge internationale en juin 1944, pour une vaste mise en scène qui a fait son effet.

Selon les chiffres du Mémorial de la Shoah, sur les 140 000 Juifs transférés à Terezín, 90 000 furent déportés plus à l’est vers une mort quasi certaine, dont près de 15 000 enfants. Environ 33 000 personnes moururent dans le ghetto même.

Le livre The Last Ghetto: The Everyday History of Theresienstadt publié en 2020 chez Oxford University Press par l’historienne tchèque Anna Hájková est un de ceux de référence sur le sujet.

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