Isabelle Sandiford-Pellé : « Le gouvernement français a demandé au Général Pellé de partir car il était devenu trop tchécoslovaque »
Au Mémorial de Verdun, en France, se déroule jusqu’au 3 septembre une exposition consacrée au Général Maurice Pellé, un officier important de la Première guerre mondiale, connu surtout en République tchèque et en Slovaquie pour avoir formé la nouvelle armée tchécoslovaque en 1919. Personnage oublié en France, l’exposition permet de découvrir un homme aux multiples facettes, militaire, diplomate, mais également peintre. Cette redécouverte du Général Pellé, on la doit surtout aux recherches inlassables menées par sa petite-fille Isabelle Sandiford-Pellé. Qu’est ce que ce que travail lui a apporté personnellement, c’est ce qu’elle a confié au micro de Radio Prague.
Vous avez donc connu votre grand-mère Jára…
« Je l’ai connue jusqu’à l’âge de sept ans. Elle a fasciné beaucoup de gens. Ceux des membres de la famille qui l’ont connue ont une différence de ton quand ils parlent d’elle. Jára avait un charme, était originale, slave quoi… »C’est cela qui a séduit votre grand-père, lui qui a été un célibataire endurci pendant des années ?
« Evidemment. Il est tombé fou amoureux de la Bohême. J’ai retrouvé beaucoup d’écrits que je n’ai pas intégrés à l’exposition ou au livre, mais qui ont été mon moteur : Jára lui parle des promenades dans Mariánské Lázně… et tant de choses qui m’ont permis de réaliser l’épaisseur de cet amour d’où je viens. Cet amour est passé par celui des deux pays. Ils étaient tous deux très patriotes et leur amour passait forcément par leur patrie. »
Nous avons commencé à évoquer le côté personnel, revenons un peu en arrière… De quel type de milieu familial était issu le Général Pellé ?« D’une famille de bourgeois, de notaires, d’avocats. Des juristes de province, du nord de la France, au début de l’industrialisation. C’est l’époque de Napoléon III, Sedan. Tous les enfants de ces familles-là étaient éduqués avec l’idée qu’il fallait venger la France. Et Maurice Pellé a sept ans au moment de Sedan. Il a donc été élevé pour devenir un soldat, pour défendre sa patrie. »
Il fait l’Ecole Polytechnique…« Exactement, comme ses deux frères. Son père est commandant de l’Ecole pendant quelques années. Il fait l’école d’artillerie et du génie où il croise d’ailleurs une première fois Joffre. Le thème de l’exposition est justement sa relation avec Joseph Joffre. Il fait toutes ces écoles prestigieuses qui ont été le berceau du haut commandement côté français pendant 14-18. »
L’exposition s’appelle « Dans l’ombre de Joffre ». Pourquoi dans son ombre ? Il est clair que le maréchal Joffre était un personnage important et éminent de la Première guerre mondiale. Pourquoi le général Pellé est-il moins connu en France ?
« Joseph Joffre ne supportait pas la concurrence. Mon grand-père s’en contentait. Comme je le dis dans le film, il était ravi de servir quelqu’un qu’il respectait profondément. Mon grand-père a eu son moment de gloire à Prague qu’il a été un peu forcé de quitter. Constantinople, qui a suivi, n’a pas été une grande victoire pour la France. Mon grand-père est mort. Et puis nous sommes en 1924, ma mère était toute petite, ma grand-mère très jeune… Il y a eu des tentatives de biographie cela dit. Je suis tombée récemment sur un document : un officier de l’armée tchécoslovaque avait reçu la consigne de rédiger une biographie de mon grand-père en 1935. Cet officier a commencé le travail, mais ne l’a jamais fini, car fusillé par les Allemands. Ma grand-mère a d’ailleurs raconté un bon nombre de choses à cet officier qu’il a consignées. »Evidemment, pour les Tchèques, le moment important, c’est la formation de l’armée tchécoslovaque par le général Pellé. Il y est envoyé début 1919. Il y reste en fait très peu de temps, deux ans. Quelle est précisément sa mission sur place ?
« Quand il est arrivé en février, sa mission était d’aider cette nouvelle nation en lui donnant des conseils. Après la victoire, les nations nées sur les ruines des empires avaient besoin de conseils de la part des pays victorieux. Il y a été aussi envoyé pour sa bonne connaissance de l’allemand. Il s’est mis au travail. Ce n’était pas très facile, il y avait des éléments venant des deux côtés, il a dû composer. Et puis il y a eu l’invasion magyare dans le sud de la Slovaquie. Et Masaryk l’y a bombardé généralissime. Je peux dire, car il y a prescription aujourd’hui, qu’on lui a demandé de partir parce qu’il était devenu trop tchécoslovaque. Le gouvernement français estimait qu’il penchait trop pour sa nouvelle patrie. Il a eu un vrai coup de foudre pour la Tchécoslovaquie. »Quel genre de vie a-t-il à Prague ? On voit dans le film que vous avez réalisé qu’à Paris, il fréquente les cercles littéraires, artistiques, politiques… Est-ce la même chose à Prague ?
« A Prague, il s’intéresse à la culture, s’intéresse à tous les artistes de l’époque. C’est comme cela qu’il a rencontré la peintre Zdenka Braunerová. Il allait à des concerts, il a été touché par l’art tchécoslovaque. Ma grand-mère raconte dans ses mémoires comment elle l’a rencontré, comme elle se trouvait devant cette tante, Zdenka, de 60 ans, et ce monsieur respectable, de presque 60 ans, comme elle les voyait discuter de tout, de littérature, de musique… Elle se sent toute petite, elle a 30 ans, ne sait rien à part dessiner et chanter. Zdenka l’affuble d’une couronne de fleurs et d’un costume slovaque et lui demande de chanter. C’est là que mon grand-père a baissé les armes. »
Jára Braunerová dessinait, mais lui aussi. On le découvre à cette exposition et dans votre libre sur ses carnets de croquis. Il dessine tout le temps. On se demande même quand, car la vie d’un militaire doit être remplie…« Il n’avait pas l’iPod, la télé etc. Quelqu’un a dit quelque chose de très joli : on voit à travers ses dessins comme il prenait le temps d’observer. C’est cela qui était extraordinaire. Mais c’était aussi une époque différente, ou pas mal de gens dessinaient. Peut-être pas aussi bien. En tout cas il aimait dessiner. »
Il réalisait aussi des caricatures, notamment d’hommes politiques, avec beaucoup d’humour…« Et toujours avec tendresse. Sans jamais de méchanceté. »
En quelques mots, pourriez-vous résumer ce personnage, même si c’est difficile…
« Un exemple. »