« Je me sens tchèque et française et je suis fière d’avoir ce sang dans les veines »
Professeur d’espagnol au collège Le Clos Ferbois de Jargeau, près d’Orléans, Sonia Kourim (Kouřímová) est, comme l’indique son nom de famille, d’origine tchèque. De passage à Prague, Sonia nous a raconté l’histoire de son père, le philosophe Zdeněk Kouřím (1932-2021) qui s’est installé en France après l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968, et aussi la sienne : celle d’une jeune femme venue vivre à Prague dans les années 1990 et qui s’est retrouvée, un jour, derrière le micro de la radio privée Frekvence 1 pour y animer une émission musicale nocturne.
Extraits de l’entretien à écouter dans son intégralité en appuyant sur Lecture ci-dessus :
Sonia Kourim, nous nous sommes rencontrées pour la première fois à l’automne 2023, lorsque vous êtes venue visiter les locaux de Radio Prague Int. avec vos élèves, dans le cadre d’un échange avec une école de Kralupy nad Vltavou, en Bohême centrale. Comment avez-vous découvert notre station et quelle est votre histoire avec la radio ?
« La Radio tchèque, je la connais depuis longtemps. Je trouve que la radio est un métier chouette : on rentre dans l’intimité des gens pour leur parler et leur apporter des informations. J’ai découvert Radio Prague Int. grâce à une enseignante du lycée de Kralupy nad Vltavou. J’ai eu l’idée de faire découvrir ce média aussi à mes élèves. »
« Dans les années 1990, j’ai vécu pendant trois ans à Prague. Je donnais des cours à l’Institut français et j’ai aussi travaillé en tant que secrétaire à la radio Frekvence 1. A un moment donné, la chanteuse Lenka Filipová a cessé d’animer son émission de dimanche soir de 22h à 23h, où elle diffusait des musiques françaises. Le directeur m’a proposé de la remplacer. J’étais très contente ! Lenka Filipová, elle, avait préenregistré ses émissions. Moi, j’ai préenregistré les premières, mais ensuite, j’ai goûté au live et j’ai adoré... Comme je travaillais à l’Institut français, je pouvais faire gagner des places de films ou des CD, donc avoir un contact direct avec les auditeurs. L’émission était suivie surtout par des francophiles, mais aussi, comme elle était diffusée tard dans la soirée, par des camionneurs ou par des personnes en prison. Ils m’écrivaient même des lettres. »
Vous êtes née dans une famille franco-tchèque. Votre père était le philosophe Zdeněk Kouřím. Dans les années 1960, lorsqu’il était chercheur à l’Académie des Sciences à Prague, il a bénéficié d’une bourse d’études à l’Université de Strasbourg et a participé ensuite à la création d’une équipe de recherche sur la philosophie ibéro-américaine à l’Université de Toulouse. Quand et dans quelles circonstances a-t-il rencontré votre mère et comment s’est découlée ensuite sa carrière en France ?
« Il a été invité ensuite par le gouvernement franquiste à Madrid, où ma mère faisait à cette époque ses études d’espagnol. Ils fréquentaient tous les deux à la même bibliothèque. Un jour il y a eu une grande pluie qui les a empêchés de sortir. Ils se sont parlés et ça a été le coup de foudre. C’était en 1967. Mes parents se sont mariés le 5 août 1968 en France et avaient prévu de repartir vivre à Prague. Sauf que les Russes sont arrivés quelques jours plus tard en Tchécoslovaquie… »
Vos parents sont donc restés en France. Comment s’est déroulée ensuite la carrière de votre père ?
« Ça a été assez compliqué pour lui. En fait, la famille vivait sur le salaire de ma mère qui était professeure d’espagnol. Mon père écrivait des articles et a continué à travailler pour des journaux et écrire des préfaces de livres. Il se consacrait toujours à la philosophie ibéro-américaine et également à la philosophie des mathématiques. »
« Comme mon père ne travaillait pas à l’extérieur, c’est un peu lui qui nous a élevés. C’est lui qui nous a appris à parler tchèque, à mon frère et mes sœurs. Nous pouvions partir tous les ans en Tchécoslovaquie, mais nous avions un visa de 28 jours seulement. Et c’était toujours un peu compliqué : à chaque fois, notre voiture était fouillée de fond en comble. On ne pouvait rien rapporter d’Occident, pas même un walkman pour mon cousin qu’on nous a confisqué. Notre famille tchèque a aussi subi plusieurs interrogatoires. Mon père a dû abandonner sa nationalité tchèque et ça a été très difficile pour lui. »
Quels souvenirs avez-vous gardés de la Tchécoslovaquie de l’époque ?
« Ce sont surtout les souvenirs des colonies de vacances où nous allions avec ma grande sœur. On faisait alors le salut au drapeau le matin et le soir. Nos moniteurs, on les appelait ‘soudruh’ (camarade, en français). Je me souviens aussi du lait qui était vendu dans des sacs plastiques. Tout cela m’a bien marquée, de même que certains objets comme le savon ou les toilettes où on tirait la chasse d’eau. Je me souviens aussi de certaines odeurs particulières typiques de ce pays que je ne saurais pas définir : celles des toilettes justement ou encore des ‘samoobsluhy’ (épiceries). On retrouve ses odeurs encore parfois à la campagne, mais pas à Prague. »
« Mes sœurs et mon frère, nous parlons tous le tchèque. J’ai réussi à passer des examens d’Etat, la ‘státní zkouška’, mais il est vrai que depuis la mort de mon père, j’ai très peu d’occasions de pratiquer la langue. C’est peut-être aussi pour cela qu’inconsciemment, j’ai cherché à faire des échanges dans le cadre de mon travail d’enseignante pour avoir une opportunité de venir en Tchéquie. »
Aujourd’hui, vous emmenez vos élèves en Tchéquie, comment ce passent ces voyages de découverte pour eux et pour vous ?
« Pendant le premier séjour, les enfants étaient logés dans des familles tchèques, ce qui n’était pas évident pour eux, parce qu’ils n’avaient que 13 ans. Mais c’est une très belle expérience de vie ! Dans le cadre de mon projet, j’ai travaillé avec eux sur Prague et les autres villes tchèques, sur le président actuel et sur Václav Havel aussi. Je leur ai fait découvrir également Krteček (la petite Taupe), le célèbre personnage de dessins animés. »
« Finalement, les élèves sont tous les mêmes. Ils ont tous les mêmes préoccupations, mais il y a toutefois de petites différences. Par exemple, mes élèves trouvaient que leurs copains tchèques mangeaient tout le temps ! »
« Demain, je vais à Kralupy pour rencontrer le nouveau professeur avec qui nous allons organiser le prochain séjour d’échange. Je vais également assister à des cours de langue et autres discuter avec les professeurs pour pouvoir confronter nos pratiques. Personnellement, je trouve que les élèves tchèques ont beaucoup plus d’autonomie que les nôtres. Nous, en France, nous ne leur faisons pas assez confiance, je pense. J’aime aussi le fait qu’au lycée de Kralupy, les élèves ont des fauteuils où ils peuvent se reposer, ou alors ils peuvent jouer aux échecs. De manière générale, ils ont beaucoup plus de temps libre. Nous avons pu dormir à l’école avec eux, dans des sacs de couchage et le lendemain matin, on s’est fait des crêpes. Jamais on n’aurait pu faire cela en France ! Mes collègues tchèques partent aussi avec leurs élèves pour des séjours à la montagne ou à la campagne. Nous ne le faisons pas en France et je trouve que c’est dommage, parce que cela crée des liens entre les enfants, mais aussi entre les élèves et les professeurs. En revanche, je trouve qu’en Tchéquie, on est beaucoup plus permissif avec les élèves qu’en France. »