Charles de Zerotin - sympathisant tchèque de Henri de Navarre
Au début de 1592, les troupes de Henri de Navarre assiégeaient depuis de longues semaines Rouen. Le roi de France voulait s'emparer ainsi de l'héritage de son prédécesseur du même nom, assassiné en 1589. Paris, ainsi que d'autres villes catholiques, s'opposaient à ce que ce huguenot hérétique accède au trône français. Mais des protestants européens de religion calviniste voyaient en lui l'espoir d'une réunification des protestants contre le camp espagnol qui était habsbourgeois. Parmi les sympathisants tchèques de Henri IV, il y avait aussi un grand seigneur morave, Charles de Zerotin.
Accompagné de certains de ses amis, Charles de Zerotin se met en route en octobre 1591. Cette fois-ci, il choisit comme moyen de transport le bateau pour arriver par l'Elbe jusqu'à Staden, à proximité de Hambourg, où il attend le bateau qui l'amènerait aux côtes normandes.
Le seigneur morave ne voyageait pas pour la première fois. Après avoir terminé une école des Frères moraves, il s'est dirigé vers Strasbourg, puis à Bâle où il a connu le maître Jean-Jacques Grynaeus. Une riche correspondance entre ces deux homme s'est conservée jusqu'à nos jours. Charles de Zerotin lui communiquait ses idées et expériences. Dans les années 1582-1584, Charles étudiait à Genève, avant de s'installer en France en compagnie de son ami Charles de Liechtenstein. En France, il s'est inscrit à l'Université d'Orléans pour connaître mieux la cour de Henri de Navarre. D'autres voyages et séjours d'études ont suivi: à Leiden en 1587, à Londres, en Normandie. La correspondance de Charles de Zerotin, où il utilise la langue tchèque aussi bien que le latin, l'italien, le français ou l'allemand, témoigne d'un haut niveau d'érudition de ce seigneur morave.
Pendant son séjour en Normandie, Philippe du Plessis-Mornay, un des dirigeants des huguenots français, introduit Charles de Zerotin au roi Henri de Navarre. Charles est flatté par l'accueil cordial que lui réserve le roi, mais il devient de plus en plus déçu par l'homme qu'il s'était idéalisé. Nombreuses aventures amoureuses et les moeurs libres de la cour royale exaspéraient ce veuf qui avait reçu une éducation rigoureuse au sein de l'unité des Frères moraves. En janvier 1599, il écrit une lettre à son ami Vilem Slavata qui voulait étudier en France. Je cite: « Seigneur, je connais la France. J'y ai vécu une partie de mes meilleures années et je sais comment les délices, le donjuanisme et les vices se sont répandus dans ce pays qui offre pas mal d'occasions pour corrompre un homme, aussi modeste et discipliné soit-il ».
Mais le désenchantement total ne devait arriver que lors de la siège de Rouen en 1592. Dans une lettre adressée à son médecin, Charles de Zerotin écrit: « La majorité des Français sont rentrés chez eux. Les unités d'infanterie sont décimées par la faim et les maladies et peu de soldats sont morts dans le combat. Je ne sais pas si cet échec était dans l'intérêt des commandants ou si nous le devons à leur inexpérience», fin de citation. Déçu par le comportement et la tactique militaire de Henri de Navarre, Charles de Zerotin ne tarde pas à revenir au pays, en juillet 1592.Après la conversion de Henri de Navarre au catholicisme, en 1953, Charles écrit à son maître de Bâle: « J'avais un jugement juste à l'égard du roi de France qui, au grand scandale de l'Eglise, est revenu à ceux qu'il avait quittés en honneur. Aujourd'hui, il doit affronter les reproches de tous ainsi que le mépris de ses ennemis. Lorsque j'ai été à ses côtés, je le prévoyais... ».
Dans la lettre il se plaint aussi que ses affaires financières tournent mal en France. En effet, Henri n'était point pressé de rembourser la dette à son partisan morave. La proposition de régler l'affaire par l'offre de chevaux rares ou de chameaux n'a pas satisfait le seigneur morave. Il a dit: « Je serais encore plus bête que le chameau si j'acceptais cette proposition... ». Ce n'est que grâce à l'habileté de ses amis banquiers qu'il a fini par obtenir une grande partie de l'argent prêté au roi de France.
Sur la cour de Rodolphe II, on regardait d'un mauvais oeil la présence de Charles de Zerotin dans les troupes des adversaires français de la politique habsbourgeoise. Plus tard, on a fini même par l'accuser de haute trahison. Pour expier son péché, il est entré dans l'armée impériale qui luttait contre les Turcs en Hongrie, en 1594. Mais sa carrière militaire ne durait pas longtemps. La même année, il a vécu une défaite écrasante lors de la bataille de Raab (Györ actuellement), cette expérience accélérant les années de sa maturation. Il préfère accepter la fonction de juge assesseur au tribunal du pays et entre sur la scène politique. En homme politique, il sait assumer la responsabilité aux moments clés de l'histoire de son pays. Après la mort de son oncle, Friedrich, Charles perd son grand protecteur et doit affronter tout seul l'avènement de la branche espagnole. Malgré tout, il ne perd pas sa foi et devient un adversaire digne de l'archevêque d'Olomouc François de Dietrichstein et l'une des figures de proue lors de l'abdication de l'empereur Rodolphe II. Charles de Zerotin est mort en 1636.