Charte 77 : quel héritage, 30 ans après ?

Le début de cette année 2007 a été l'occasion de fêter les trente ans de la Charte 77, un document et un mouvement majeur dans l'histoire de la dissidence tchécoslovaque contre le régime communiste, moins de dix ans après l'écrasement du Printemps de Prague. Nous revenons aujourd'hui dans cette émission sur cet anniversaire, en donnant notamment la parole à des étudiants tchèques, à la génération née après la Charte 77, pour essayer de comprendre ce qu'est pour eux l'héritage laissé par cette Charte, par ses initiateurs et ses signataires.

A Prague, les trente ans de la Charte 77 ont d'abord été célébrés dans l'église Sainte-Anne, un lieu de rencontre et d'échanges d'idées né grâce à la fondation des époux Havel. Fin mars, plusieurs institutions se sont ensuite réunies pour organiser une petite exposition et une conférence internationale à l'Université Charles. L'occasion pour plusieurs signataires de la Charte de raconter, expliquer et débattre, devant des étudiants venus nombreux.

Jan Pav, étudiant en droit à Prague, a suivi la conférence dans l'amphithéâtre de la faculté de philosophie :

« Je suis né en 1978, donc un an après la rédaction de la Charte. Pour moi elle représente un groupe de personnes vraiment courageuses. Les jeunes ont du mal à se rendre compte de ce qu'était le régime de l'époque. L'héritage de la Charte aujourd'hui c'est en quelque sorte une obligation morale vis-à-vis des populations dans des Etats qui ont encore des régimes comparables à celui qui existait ici il y a 30 ans, pour les aider à accéder à la liberté. »

Le politologue français d'origine tchèque Jacques Rupnik, qui a co-organisé la commémoration de la Charte au début de l'année à Paris, était lui aussi à la conférence :

Est-ce qu'on peut voir l'héritage dans quelque orientation de la politique étrangère tchèque aujourd'hui ? Je pense notamment à l'aide apportée aux oppositions cubaine, biélorusse, birmane...

« Ca peut être une des formes de cet héritage. L'idée du droit d'ingérence est en fait née avec les accords d'Helsinki. Dans la fameuse troisième corbeille, il y avait cette idée des droits de l'Homme, de la circulation des hommes et des idées et les chartistes se sont emparés de ces Accords pour demander leur application. Maintenant, dans un contexte entièrement différent, il s'agit de voir si ce même principe peut ou doit être invoqué ailleurs. Donc l'idée de l'indivisibilité de la liberté et des droits de l'homme est quelque chose qui reste et qui se traduit effectivement indirectement dans la politique étrangère tchèque par un certain souci d'encourager le développement de la démocratie dans certains pays. Ce serait vraiment en conformité avec l'héritage de la Charte si ce souci n'était pas trop sélectif : il faut que ceci soit appliqué à tous les cas de violation et à tous les régimes. Voilà la difficulté de transposer en politique étrangère des notions qui avaient été inventées dans la dissidence. »

Radka Kunderova est étudiante à la faculté de philosophie de l'Université Charles. Elle aussi a assisté aux deux journées de cette conférence et nous a confié que c'est seulement récemment qu'elle avait pris conscience de l'importance de la Charte pour son pays :

« J'ai 24 ans et pour moi la Charte 77 est déjà un chapitre de notre histoire que j'ai dû étudier par coeur dans les livres. Pour moi c'est une initiative très importante et j'admire tous ces gens qui l'ont rendue possible. C'est important pour moi de célébrer cet anniversaire aujourd'hui. Je pense aussi que le gouvernement aurait dû plus s'impliquer dans ces célébrations, tout comme le président. »

Vaclav Klaus, le successeur de Vaclav Havel à la présidence de la République, n'a en effet pris part à aucune célébration et ne s'est pas exprimé sur le sujet à l'occasion des trente ans de la Charte. Une attitude finalement logique pour Patrik Eichler, étudiant en histoire :

« Cela ne me surprend pas que les célébrations n'aient pas eu lieu au niveau national. Il faut se souvenir des discours de Vaclav Klaus il y a quelques mois dans lesquels il a affirmé que l'on devait la chute du régime à la société majoritaire, à la « zone grise » comme il a dit, des gens qui allaient à la campagne, au foot et au hockey et qui par leur inactivité et en volant l'Etat a eu raison du régime...

La Charte 77 est une incitation à réfléchir sur la responsabilité dans l'histoire de la société dans laquelle je vis. Bien sûr aujourd'hui il ne faut pas oublier les autres activités citoyennes, zelena hnuti, Obroda ou Hnuti obcanske solidarity. Il y en avait plusieurs comme ça, la Charte 77 était le plus important mais pas le seul de ces mouvements. »