« Citoyens actifs » : un projet pour engager les lycéens dans la vie communautaire
Depuis 2012, l’organisation non gouvernementale Člověk v tísni (L’Homme en détresse) mène un programme intitulé « Citoyens actifs » (Active citizens), dans le cadre duquel les enseignants d’éducation civique conduisent des projets communautaires avec leurs élèves. La directrice des programmes éducatifs de l’ONG, Petra Skalická, et la coordinatrice du projet, Veronika Endrštová, ont présenté au micro de Radio Prague le programme « Citoyens actifs », un programme qui entend rompre avec l’isolement des écoles et ancrer ces institutions dans la vie communautaire locale.
« L’éducation civique a une signification très large. Ce cours peut revêtir des formes diverses selon la méthode de l’enseignant. Pour aller au-delà des cours formels et théoriques et ainsi proposer une éducation basée sur l’expérience pratique, les enseignants doivent consacrer leur énergie et leur temps libre notamment pour rencontrer les étudiants en dehors des heures de cours. Dans le contexte de notre éducation tchèque toujours très institutionnalisée et formelle, le soutien à l’éducation civique a été plutôt faible jusqu’à présent. C’est pourquoi nous avons donc voulu soutenir les efforts individuels de ces pédagogues en élaborant des manuels de qualité que nous mettons à leur disposition. »
La collaboration avec les écoles est un des domaines d’action privilégiés de Člověk v tísni. L’ONG a déjà réalisé un projet appelé « L’école mondiale » (Světová škola) basé sur les mêmes principes que les « Citoyens actifs ». Ceux-ci se résument par le slogan très au goût du jour : « Penser global, agir local ». Les deux initiatives se déroulent dans le cadre du programme éducatif « Variantes » (Varianty). Petra Skalická, sa directrice, est la mieux placée pour en parler :« Le programme Variantes existe depuis 2001 et se partage en deux volets. D’un côté, il prône l’éducation interculturelle et inclusive, de l’autre, il analyse le développement à l’échelle globale. Quand on fait une sensibilisation par rapport à ces thématiques, on explore les attitudes des gens et leurs possibilités d’agir. Dans le cadre de ce programme, notre objectif est de transformer les attitudes, passives, en une action pratique. »
Une méthode adaptée aux lycéens tchèques
Pour Petra Skalická, la citoyenneté active se traduit surtout par l’intérêt que porte l’individu à son proche environnement et par son envie d’agir sur celui-ci. Veronika Endrštová complète que l’activisme devrait se construire autour du respect des valeurs démocratiques et des libertés individuelles. Le mot clé dans tout cela est la « communauté » comme une forme de vie locale et tangible. Les auteurs tchèques du programme ont adapté aux lycéens le manuel britannique sur lequel elles se sont appuyées. L’objectif était notamment d’ouvrir l’école, souvent refermée sur elle-même, à une coopération avec la commune et les associations. Petra Skalická explique pourquoi :
« Nous avons décidé de travailler avec les lycéens parce que nous avons déjà de riches expériences avec ce groupe. En même temps, il était important pour nous qu’un programme de citoyenneté active soit intégré dans l’enseignement scolaire. Nous avons donc rédigé le manuel de façon à ce qu’il puisse servir de base pour les cours d’éducation civique, mais aussi pour guider l’enseignant et ses étudiants dans leurs activités extrascolaires. »
Depuis trois ans, l’Homme en détresse forme les enseignants pour les aider à engager les étudiants dans des projets locaux. L’ONG accompagne la réalisation des projets pendant la première année, puis les écoles continuent si bon leur semble. Et leur nombre s’accroît vite à en croire Veronika Endrštová:« Durant ces trois années, si je ne compte pas la phase de préparation, trente-sept lycées ont pris part au programme. Un nouveau cycle de formation a été organisé à l’automne dernier. Au total, soixante-dix-neuf enseignants ont déjà suivi ces cinquante heures de formation. Dans les écoles, ils ont impliqué plus de 1 200 lycéens dans les groupes de travail. A l’exception de Prague, les établissements de toute la République tchèque participent au programme. »
Les groupes d’étudiants, dont la taille varie de cinq à trente membres, ont été constitués de différentes façons. Certains enseignants ont préféré inclure toute une classe, d’autres ont lancé un cours électif pour ne travailler qu’avec les élèves motivés, d’autres encore ont ouvert le projet à tous les étudiants de l’école. Selon une étude anthropologique de Pavla Burgos Tejrovská, ce sont ces derniers, les groupes aux profils les plus variés, qui ont dégagé la forme de coopération la plus efficace et un dynamisme particulier.
Un projet qui transforme les relations enseignant-élève
Veronika Endrštová précise ce qu’un jeune peut retirer de sa participation au projet dans le cadre du programme « Citoyens actifs » :
« Dans le cas de figure idéal, une fois le projet fini, le lycéen conserve sa motivation et son envie d’agir. Fort de son expérience, il prend confiance en sa capacité à changer les choses. Les projets nécessitant une coopération en groupe, la faculté à s’entendre avec les autres constitue une autre issue positive. Par ailleurs, les étudiants, qui ont dû présenter leur projet pour obtenir le financement de la mairie, ont appris à communiquer avec des interlocuteurs autres que leurs camarades de classe. »
La réalisation d’un projet qui implique une coopération en dehors des heures de cours change également la relation entre l’enseignant et ses étudiants. Selon les témoignages qu’a recueillis Petra Skalická, le projet a un effet transformateur non seulement pour les élèves mais aussi pour les professeurs :« Il est nouveau pour eux d’avoir un rôle différent du celui d’autorité qui découle de leur statut d’enseignant. En pratique, il est très rare que les élèves et leur professeur aient un rapport d’égal à égal. De nombreux pédagogues se sont dits surpris par les capacités que leurs élèves ont manifestées dans un projet communautaire, parce que c’était la première fois qu’ils les laissaient organiser les choses eux-mêmes. Cela est vrai pour la relation adulte-jeune de manière plus générale. Quand on leur fait confiance, on découvre que les jeunes peuvent faire beaucoup de choses. C’est une révélation aussi pour les étudiants. Si, selon les sondages, 80% disent ne pas pouvoir influencer les affaires de la cité, le projet des Citoyens actifs leur donne l’occasion de découvrir leurs propres capacités. »
En outre, les élèves gagnent des compétences pratiques, en termes de planification, de calcul de budget et de communication avec divers interlocuteurs représentants des instances publiques et du milieu associatif.
D’un travail sur soi à la réalisation d’un projet communautaire
Petra Skalická nous fait découvrir les cinq étapes de la réalisation d’un projet local :
« La première phase s’appelle ‘Moi’ et se concentre sur la découverte de soi, sur la réflexion sur sa propre identité et sur ce qui la forme. La deuxième phase, ‘Toi et moi’, explore les particularités et l’originalité de chacun, ainsi qu’une multitude de perspectives. Elle est basée sur le dialogue et le respect de l’autre. La troisième étape, ‘Nous ensemble’, invite les étudiants à identifier ce qu’ils pourraient améliorer dans leur environnement. Ils planifient et préparent leur projet et cherchent un financement dans l’avant-dernière phase avant de passer à la cinquième, qui est la réalisation de l’action communautaire. »
Pour sélectionner leur terrain d’action, les élèves sont amenés à aller au-delà de leur intérêt personnel et à évaluer ce qui profiterait à la communauté. Ainsi, l’utilité publique d’une idée constitue un critère important pour la réalisation d’un projet.Mais s’ils font reposer leur confiance sur un projet réussi, un échec ne constitue-t-il pas un risque de faire dérailler l’effet vertueux de ce processus et de confirmer le scepticisme de départ ? Veronika Endrštová assure qu’une telle issue est improbable :
« Le postulat de base que nous expliquons aux élèves est qu’un échec n’est pas un problème en soi. Au contraire, on peut en apprendre beaucoup. Il est clair que les débuts sont difficiles. Nous procédons à des évaluations à mi-parcours surtout pour que les étudiants développent les points forts de leurs projets. Ils font aussi une analyse des risques. Pour mieux les imaginer, nous organisons des jeux de simulation qui leur permettent de prendre les mesures préventives et d’éviter un éventuel échec. »
Petra Skalická avoue que certaines déceptions sont liées au fait que le projet n’a pas été réalisé dans l’ampleur conçue par ses auteurs, un exemple typique étant quand le nombre de participants à un concert n’est pas à la hauteur de leurs attentes. Néanmoins, les aspects positifs prévalent systématiquement.
Des dizaines de projets réussis
Petra Skalická se souvient d’un projet qui l’a marqué en particulier :
« J’ai beaucoup aimé une initiative d’étudiants à Ostrava. Ils ont transformé un passage souterrain délabré et crasseux en une galerie d’art. Aujourd’hui encore, ils s’occupent de ce lieu et exposent régulièrement les œuvres de jeunes artistes locaux. »
Veronika Endrštová reste à Ostrava pour évoquer un projet qui lui tient particulièrement à cœur :
« Le projet lancé par les élèves de l’école d’apprentissage en gastronomie était destiné aux familles d’accueil. Lors des différentes rencontres auxquelles les enfants de ces familles ont été invités, les apprentis leur ont montré comment il fallait s’y prendre pour préparer un bon café ou servir les plats. Ce projet, au cours duquel de nombreux liens d’amitié se sont tissés, a enchanté également les enseignants. Ils ont vu des élèves qui n’étaient pas parmi les plus brillants à l’école très bien gérer leur projet. Ces jeunes ont su mettre à profit des capacités d’animation dont ils n’avaient jamais fait l’étalage en cours. Ce projet a rempli toutes les objectifs espérés, notamment en matière de questionnement des attitudes ainsi que par rapport à l’impact communautaire. »La variété des initiatives est frappante. A Mnichovo Hradiště, des élèves ont organisé un petit-déjeuner en plein air pour attirer l’attention sur le mauvais état des parcs publics. A Kladno, un programme de divertissement intergénérationnel se proposait d’animer la vie culturelle locale. A Brno, des lycéens ont préparé des expériences chimiques et physiques, ainsi qu’un cours de danse, pour les enfants rom. Des dizaines d’autres projets figurent sur le site des « Citoyens actifs », permettant ainsi aux auteurs du projet d’espérer que l’objectif du programme sera rempli, et que les participants tireront de cette expérience une nouvelle confiance en leur capacité d’agir.