Comment devenir châtelaine en Bretagne
Pendant une grande partie de sa vie, Marta Davouze a vécu à Prague, sa ville natale. Elle y a travaillé dans un institut de recherche, dans une bibliothèque, puis finalement dans une maison d’édition. Après la chute du communisme en 1989, Marta Davouze a fondé l’Association Franz Kafka et s’est lancée aussi dans le journalisme. C’est après l’échec de son mariage avec Vladimír Železný, le directeur d’une chaîne de télévision privée, que sa vie a basculé. Marta Davouze s’est alors établie en Bretagne pour y ouvrir un nouveau chapitre de son existence. Elle raconte aujourd’hui cette étape de sa vie dans un livre qu’elle a intitulé « La maison en Bretagne ».
« Je raconte dans ce livre dix ans que j’ai passés en Bretagne. Je suis tombée amoureuse de mon second mari et je suis donc resté là-bas. Au début, je pensais que cette maison serait une résidence secondaire et que je n’y passerais que les week-ends. Mais quand j’ai rencontré mon mari, nous sommes restés là. C’est tout. Nous avons travaillé pendant dix ans à la rénovation de cette maison dont la moitié n’était que des ruines. Beaucoup de gens nous ont recommandé sa démolition, mais nous avons préféré la rénover, parce que c’est une très jolie maison qui a une atmosphère spéciale et beaucoup d’harmonie. Je ne parlais pas du tout français et je parle toujours mal. Nous avons donc vécu beaucoup de situations comiques, très amusantes. C’est une grande différence pour moi, parce que j’ai toujours vécu à Prague, dans une capitale. Et là, tout à coup, je me suis retrouvée à la campagne. Nous avons des moutons, des poules, des canards. C’est une autre façon de vivre. Ce que je vis maintenant est bien différent du reste de ma vie. »
C’est donc une maison, le manoir de Langourian situé près de la ville d’Erquy dans le département des Côtes-d’Armor en Bretagne, qui pourrait être considéré comme le personnage principal du livre, car l’auteur décrit jusque dans les moindres détails les efforts déployés pour insuffler une nouvelle vie à la vieille bâtisse. La maison a été construite au XIVe siècle par les seigneurs de Langourian. Les documents les plus anciens attestent de l’existence de ce petit château médiéval depuis 1393. Le domaine était assez vaste avec champs, forêts, étangs, moulins, les châtelains de Langourian étant également seigneurs du village et du port voisins. Marta Davouze s’est éprise de la beauté austère de cette région située dans les proches environs du cap Fréhel. Elle est tombée amoureuse également de la vieille maison et s’en est confiée à son premier mari, Vladimír Železný. Directeur de la plus grande chaîne de télévision privée du pays, NOVA, Vladimír Železný disposait de suffisamment de moyens pour lui faire un cadeau aussi onéreux. Marta Davouze pense d’ailleurs que si son ex-mari a accepté cette dépense, c’était probablement avec l’intention de tenir sa femme loin de lui. Elle ne savait alors pas encore qu’elle trouverait en Bretagne non seulement une seconde patrie, mais aussi un nouvel amour et un nouveau mari.Marta Davouze ne savait pas non plus que cette maison, dont une seule aile était habitable, lui demanderait tant d’efforts et qu’elle se heurterait à de si nombreux obstacles. Le premier de ces obstacles a été la langue française, une langue qu’elle a commencé à apprendre trop tard et qui lui paraît inutilement compliquée :
« Je ne suis pas capable de bien écrire parce que si vous n’avez pas de bases scolaires, c’est très difficile d’écrire en bon français. En tchèque, on dit ‘Co je to ?’ et ce ne sont que six lettres, tandis qu’en français, on dit ‘Qu’est-ce que c’est ?’ et ce sont quatorze lettres. Imaginez que quatorze lettres sont nécessaires seulement pour dire ‘Qu’est-ce que c’est ?’ »C’est dans un bar de la ville d’Erquy que la nouvelle châtelaine de Langourian fait la connaissance de Joël Davouze. Fraîchement divorcée, elle ne cherche pas à résister à une soudaine sympathie pour cet homme complètement différent de son premier mari. Elle fait le premier pas, prend l’initiative pour nouer une liaison, et ne le regrettera pas. Joël est un homme sincère et franc, un homme qui sait se tirer de toutes les situations et semble connaître tous les métiers. C’est avec son aide et son soutien qu’elle se lance dans la restauration des ailes complètement délabrées de son château et c’est aussi grâce à lui qu’elle arrivera à bout de travaux longs d’une dizaine d’années.
Aujourd’hui, Marta et Joël Davouze règnent sur une grande demeure luxueuse qui compte douze chambres, trois salons, trois cuisines, neuf salles de bain, une buanderie, un atelier, une salle de relaxation et un vaste parc. Le manoir de Langourian a peu à peu retrouvé sa splendeur d’antan et Joël Davouze peut se retourner avec fierté sur cette œuvre que sa femme, lui-même, une multitude d’artisans professionnels et de travailleurs bénévoles ont menée à bien :« Cela a été beaucoup de travail, mais nous y avons pris beaucoup de plaisir, donc, non, ce n’était pas trop difficile. Maintenant, tout est terminé, il ne reste plus que quelques détails. Désormais, nous pouvons profiter de notre temps pour nous promener, voyager. Nous continuons les activités de l’association Jan Zrzavý, elles reprendront en avril prochain. Cela a changé toute ma vie. Je n’étais pas du tout orientée vers l’art, mais vers la technique. Rencontrer ces gens, l’art, la philosophie, la peinture, cela a été un grand changement pour moi et m’a apporté beaucoup de choses, oui. »
Pendant un temps, les époux Davouze ont cherché à transformer une partie de leur maison en hôtel pour clients exigeants et amateurs d’histoire et de l’atmosphère des vieilles demeures. Mais les clients se comportaient souvent d’une façon bien indélicate dans ce cadre médiéval et Marta Davouze a finalement dû se rendre à l’évidence : elle ne voulait pas de ces intrus dans sa maison si minutieusement retapée. Cela sans compter qu’elle manquait de talent pour l’hôtellerie. Elle a donc mis au point un autre projet en créant une association qui porte le nom de Jan Zrzavý, un des plus grands peintres tchèques du XXe siècle. Cet artiste inimitable a fait dans l’entre-deux-guerres de longs séjours en Bretagne, région dont il est tombé amoureux et qui lui a inspiré de nombreux tableaux. Marta Davouze a décidé de donner la même possibilité aux jeunes artistes tchèques et français. Elle a ouvert sa maison aux adeptes des arts plastiques pour qu’ils puissent y travailler et s’inspirer, eux aussi, de la beauté sauvage des paysages bretons. Tous les ans, l’association Jan Zrzavý organise également un concours et une exposition présentée en alternance à Prague et à Paris. Ce sont donc ces jeunes artistes qui animent pendant une partie de l’année le manoir de Langourian. Marta Davouze y reçoit aussi les membres de sa famille, ses deux fils, leurs enfants et beaucoup d’amis. Parmi eux figure l’ambassadrice de République tchèque à Paris Marie Chatardová, qui sait apprécier l’atmosphère particulière que Marta et Joël Davouze ont créée dans leur maison :« On voit qu’ils aiment beaucoup la Bretagne et leur maison. Chaque fois que je viens dans leur manoir, il y a beaucoup de monde parce que Marta ne sait pas rester seule. Elle est tellement active qu’elle organise toujours quelque chose. Et c’est comme ça qu’elle a fondé aussi le prix Jan Zrzavý. J’ai essayé de l’aider un peu et je pense que c’est vraiment un très beau projet. »Le livre de Marta Davouze n’est cependant pas que le récit de la vie d’un couple qui rénove une maison. L’auteur raconte aussi son expérience de femme d’Europe centrale qui choisit la Bretagne comme deuxième patrie et doit se faire aux particularités de la vie française. Elle s’amuse à raconter ses tentatives dans l’élevage d’animaux domestiques qui se soldent souvent par des échecs et évoque avec humour les malentendus dus à son inexpérience et à ses lacunes dans la connaissance du français. Plusieurs chapitres du livre sont consacrés aux voyages que Marta fait en compagnie de son mari. Elle emmène le lecteur au Maroc, en Russie, en Ecosse et en croisière sur le paquebot Queen Elisabeth, ne ménage rien ni personne, et donne une image assez satirique des pays visités.
Tout son livre peut d’ailleurs être considéré en quelque sorte comme un récit de voyage. Un voyage vers un rêve qui finit par se matérialiser sous la forme d’une maison abritant le bonheur d’un couple. Le livre démontre que pour parvenir à un tel exploit, il faut certes avoir beaucoup de chance, mais aussi la qualité de jusqu’au-boutisme et beaucoup d’humour. L’écrivain et ancien homme politique Milan Uhde voit encore un autre aspect du récit :« Après l’avoir lu, je dis qu’on devrait lire ce livre parce qu’il est plein de bonheur, ce qui est une chose extrêmement rare aujourd’hui. Personne ne veut être heureux, et même ceux qui sont heureux ne veulent pas l’avouer. Etre heureux n’est pas à la mode. Mais l’auteur ne le cache pas et c’est une lecture formidable. C’est la confession d’une femme qui sait être heureuse, qui n’en a pas honte et l’avoue. C’est quelque chose que je ne retrouve pas dans mon entourage sous cette forme. Marta nous raconte dans son livre entre autres qu’elle va en Russie, où elle ne se sent pas bien, mais elle reste heureuse parce qu’elle a fait du bien à son mari qui, lui, désirait y aller. Et c’est pour moi beaucoup plus important que ce qu’elle y a réellement vu. C’est donc un livre sur le bonheur dans la vie et ce n’est pas rien à une époque où tout le monde ou presque se sent malheureux. »