Condamnations dans l’Affaire MUS : les Suisses ont joué, la balle est du côté tchèque

Le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, photo: CTK

Cinq Tchèques et un Belge ont été condamnés ce jeudi par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone dans l’affaire de privatisation frauduleuse de la plus grande société minière tchèque, Mostecká uhelná společnost (MUS). Le jugement qui intervient après de longues années d’investigation doit encore être suivi d’un verdict relatif au dédommagement des partis lésées, y compris de l’Etat tchèque. Les cinq hommes devront encore comparaître devant la justice tchèque qui a rouvert le dossier de la MUS en 2012.

Le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone,  photo: CTK
Jiří Diviš, Antonín Koláček, Marek Čmejla, Petr Kraus et Oldřich Klimecký étaient tous des hauts responsables de la Société minière de Most (MUS) dans les années 1990. Tout comme l’était le sixième accusé tchèque, le milliardaire Luboš Měkota, qui était alors président de la MUS mais qui est décédé en mars 2013. Grâce à des dizaines de sociétés-écrans établies dans des paradis fiscaux partout dans le monde, ces individus ont pris le contrôle des actions de la Société minière de Most, grâce à l’argent qu’ils avaient auparavant fait sortir de cette même entreprise. En 1999, le gouvernement tchèque, présidé à l’époque par l’actuel chef de l’Etat Miloš Zeman, leur a vendu sa part des actions à un coût bon marché, représentant une somme de 650 millions de couronnes (soit 26 millions d’euros selon les taux de change actuels). La vente a été actée sous le patronage du dernier accusé, l’ancien directeur du Fond monétaire international, le Belge Jacques de Groote, un acteur jugé crédible par Miloš Zeman à une époque où il présidait une compagnie figurant dans la structure des sociétés-écrans.

Antonín Koláček,  photo: CTK
C’est le blanchissement d’argent détourné et son stockage sur des comptes en Suisse ainsi que la double nationalité d’un inculpé qui lie le parquet helvétique à cette affaire tchèque de privatisation frauduleuse dont l’enquête est lancée en 2005 et achevée en 2011. Ce jeudi, les cinq Tchèques, accusés de « blanchiment d’argent aggravé », d’« escroquerie », de « faux dans les titres » sont condamnés par la justice suisse à des peines de prison allant de seize à cinquante-deux mois ferme et à de lourdes amendes. Deux parmi eux, Petr Kraus et Antonín Koláček sont arrêtés à l’issu du verdict. L’avocate des inculpés, Karolina Zelenková, critique cette démarche :

« Je considère que l’arrestation de Petr Kraus et Antonín Koláček directement dans la salle d’audience est hors du commun surtout quand le verdict n’est pas encore légalement valide. Tous les accusés insistent sur leur innocence. Nous attendons la version écrite de la décision judiciaire, mais il est désormais très probable que nous allons utiliser tous les moyens en notre possession pour renverser ce jugement auprès du Tribunal fédéral. »

Petr Kraus,  photo: CTK
Etant donné que les deux condamnés tchèques étaient présents dans la salle d’audience, le juge a finalement pris la décision de les relâcher. Le verdict de ce jeudi n’a pas encore de validité légale, laquelle est soumise à la publication écrite de la décision. Celle-ci pourrait ne pas être effective avant la fin de l’année quand sera annoncée la seconde partie du jugement, relative au dédommagement des parties lésées. C’est à ce moment-là que les accusés pourront faire appel auprès du Tribunal fédéral, qui incarne l’autorité judiciaire suprême de la Confédération suisse. Avant cela, aucun des inculpés ne sera arrêté, ni par la police tchèque, ni par ses homologues suisses. De leurs autorités, les autorités tchèques ont réagi de façon plutôt positive. Ondřej Šrámek, le porte-parole du ministère des Finances :

« Nous sommes très satisfaits de la décision du tribunal suisse, car des comportements frauduleux causant des dommages à l’Etat tchèque ont été avérés. »

Mais l’inertie des autorités tchèques, surtout au début de la procédure judiciaire, compromet les prétentions de l’Etat à un dédommagement qui est estimé à deux milliards de couronnes (environ 80 millions d’euros). L’enquête du côté tchèque a été suspendue en 1998 et le parquet sous la direction de Vlastimil Rampula sabotait les demandes de coopération de la police suisse. Tout change lorsque l’affaire passe en 2012 sous la responsabilité de la procurature d’Ivo Ištván. Un échange d’informations se met véritablement en place. La République tchèque ouvre même un procès analogue contre les cinq hommes pour escroquerie. Petr Šereda, le procureur en charge de l’affaire, explique la manière dont la décision en Suisse pourrait influencer le procès tchèque :

Petr Šereda,  photo: CT24
« Nous allons devoir évaluer le contenu exact du jugement, déterminer pour quels délits ces hommes étaient condamnés et ensuite comparer si ces délits sont identiques aux actes d’accusations tchèques. »

S’ils sont identiques, la procurature devrait reformuler l’acte d’accusation car une personne ne peut pas être condamnée deux fois pour le même délit. En même temps, la République tchèque peut bénéficier du jugement suisse, qui présente une avancée considérable dans l’affaire. Néanmoins, le verdict final ne sera peut être pas connu avant 2015 quand toutes les procédures d’appel auront été épuisées.