Contre ACTA, la mobilisation menée par le Parti pirate tchèque continue

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La mobilisation contre le projet ACTA ne faiblit pas. L'ACTA, c'est un accord commercial anti-contrefaçon qui concerne pour l'instant une trentaine de pays et dont les négociations se sont déroulées sans grande transparence entre des experts peu représentatifs des peuples. De nombreuses organisations de la société civile en dénoncent le caractère menaçant pour les libertés individuelles sur Internet. Aussi, une journée de protestation à l'échelle internationale, organisée le samedi 11 février, a rassemblé des milliers de personnes dans toutes les grandes villes européennes. A Prague, environ 2 000 personnes ont ainsi défilé pacifiquement et dans une relative bonne humeur, alors même que le Premier ministre, Petr Nečas, avait annoncé renoncer à la signature du texte, sans pour autant retirer la République tchèque du processus de ratification. C'est un jeune parti politique, le Parti pirate tchèque (Česká pirátská strana), qui organise et mène la lutte aujourd'hui contre ACTA en République tchèque, et contre toute les atteintes aux droits des utilisateurs d'Internet en général.

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Partis de la place de la Vieille-Ville, les manifestants ont défilé dans une ambiance bon enfant, au son de slogans tels que « Stop ACTA », « ACTA est méchant » ou encore « Détruisez ACTA ». Sur les pancartes, on rappelle que « ACTA sent mauvais » ou qu'il « nuit à votre santé et à celle de votre entourage ». Certains l'apparentent à du cyberfascisme et établissent un parallèle entre les restrictions de liberté sous le communisme et la nouvelle ère qui s'ouvrirait sur Internet avec l'adoption de ce texte. D'autres enfin, plus précis dans leur colère, refusent qu'on leur « prenne leur porno ». Les masques de Guy Fawkes, le héros de la bande dessinée V pour Vendetta, devenus l'un des signes de ralliement des Anonymous, sont légion parmi les manifestants. Enfin, de nombreux pirates, avec ou sans rhum, parsèment le cortège. On y trouve même quelques Français, qui effectuent une année d'étude Erasmus à Prague et qui ont jugé important d'être présents. Parmi eux, Chloé justifie leur présence :

« On est là pour lutter contre ACTA et pour défendre les droits d'Internet dans le monde et pour soutenir les gouvernements qui mettent un frein en ce moment. En France, c'est un peu trop tard. »

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En effet, la France a déjà ratifié ce texte. Concrètement, celui-ci prévoit de s'attaquer aux contrefaçons sur Internet, aux actes de « piratage », en impliquant les FAI (fournisseurs d'accès à Internet), en organisant une surveillance systématique du réseau et des matériels à contenu numérique ou encore en limitant les possibilités d'utilisation de logiciels libres. En outre, la façon dont le texte a été négocié, en secret et par des autorités non représentatives des peuples, est également sujette à caution. Soutenu par l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, ce texte est perçu par beaucoup comme une nouvelle offensive néolibérale pour assujettir un espace de liberté comme Internet. Ainsi, un manifestant pragois arborait une pancarte sur laquelle Hollywood était identifié comme l'un des responsables de la genèse de ce texte :

« Contre la censure sur Internet ! Cet accord est un danger pour la liberté d'expression. Il faut dire que c'est une initiative américaine. »

Ivan Bartoš est le président du Parti pirate tchèque, le parti qui a appelé à la manifestation et qui l'anime. Il apporte des précisions sur l'intérêt que peuvent trouver les grandes industries de production culturelle à la signature de l'ACTA :

Ivan Bartoš
« Ces firmes tentent de faire porter la responsabilité de leur impuissance à quelqu’un d’autre. Elles ne sont pas capables de créer des outils technologiques protégeant les droits des auteurs et même ceux des grands studios d'Hollywood. C'est pour cela qu'elles essaient sans cesse d'élaborer de nouvelles lois et qu'elles rejettent la responsabilité sur d'autres acteurs, tels que les prestataires de services ou les fournisseurs d'accès à Internet. Et c'est tout simplement une mauvaise chose. »

Comme le rappelait Chloé, certains gouvernements semblent néanmoins s'être décidés à écouter les protestations de la société civile. Ainsi, l'Allemagne vient de rejoindre la Pologne et la République tchèque en annonçant qu'elle ne signerait pas l'accord tant que le Parlement européen ne l'aura pas lui-même approuvé. Le débat risque d'y être agité. En 2008, les parlementaires européens avaient déjà validé un texte pour exprimer leurs craintes quant à l'ACTA. Le gouvernement tchèque, lui, a justifié ses réserves par sa volonté d'analyser plus en profondeur les effets du texte. Malgré ces annonces, Ivan Bartoš, reste très méfiant :

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« Le Premier ministre, Petr Nečas, a suspendu la ratification de l'accord. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'il se retire des négociations ? Que le texte ne passera pas à l'examen législatif ? Il faut avertir le peuple qu'il ne doit pas s'endormir maintenant. Cet accord reste d'actualité. Et pour nous, il est impératif que ce texte soit réellement abandonné, c'est notre objectif. »

Pour les pirates, la manifestation de samedi était également l'occasion de réclamer des garanties au gouvernement tchèque et de rappeler le sens de leur lutte en faveur de l'instauration de garde-fous protégeant les libertés publiques sur Internet. Aussi, le cortège s'est arrêté devant le siège du gouvernement et le Parti pirate, par la voix de l'un de ses membres, a pu adresser ses principales exigences au Premier ministre et à ses collègues :

« Nous avons formulé quatre revendications. Pour commencer, nous réclamons l'arrêt immédiat et définitif du processus de ratification de l'ACTA. Ensuite, nous voulons une loi constitutionnelle protégeant les libertés sur Internet, qui empêchent d'en restreindre l'accès et d'y pratiquer la censure. Comme troisième point, nous voulons un État transparent, afin qu'il ne puisse négocier d'accord ou de loi en secret. Et enfin, nous voulons des structures politiques de financement transparentes, afin qu'elles ne puissent pas recevoir de dons de groupes d'intérêt. »

15 000 citoyens ont pour le moment signé une pétition pour soutenir ces revendications. Celles-ci constituent tout le sens de l'action du Parti pirate tchèque. Créé en juin 2009sur le modèle du Parti pirate suédois, il participe aux élections de mai 2010 lors desquelles il obtient 0,8% des suffrages. Son intention première est de constituer un mouvement de défense contre les attaques aux libertés publiques, notamment sur Internet à l'heure de la société de l'information. Sur le modèle du site Wikileaks, les pirates fondent Pirateleaks dont le but est similaire : permettre au grand public d'avoir un accès étendu aux sources d'information et d’en relayer les fuites. Pour autant, leur action ne se cantonne pas à l'Internet puisqu'ils se battent également pour que le système politique soit plus transparent et mieux contrôlé par les citoyens. Le Parti pirate tchèque appartient à l'Internationale pirate. C'est un point sur lequel insiste Mikuláš Ferjenčík, son vice-président :

Mikuláš Ferjenčík
« Le mouvement pirate, les partis pirates sont présents dans 50 pays du monde et se sont mis d'accord pour organiser ces manifestations dans le monde entier. Nous nous sommes associés à d'autres organisations telles que Access Now ou Avaaz qui défendent les droits et libertés individuelles menacées par ACTA, et le 11 février est donc une journée de protestation à l'échelle de la planète. »

Cette journée d'action a beau être un succès, avec des rassemblements qualitativement similaires dans de nombreuses villes de République tchèque, à Brno, à Ostrava, à Plžen ou encore à Ustí nad Labem, un pirate répondant au pseudonyme de Skrias regrettait tout de même le fait que trop peu de personnes s'intéressaient à ce texte qui risque pourtant d’entraver leurs libertés :

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« Je suis content qu'il y ait autant de monde, bien que je préférerais qu'il y en ait encore plus. Et, surtout, je serais content si davantage de personnes comprenaient ce qui est en train de se passer. Beaucoup de gens sont ici mais n'ont pas pris la peine de lire cet accord. D'un autre côté, il existe des gens qui ne se sentent pas du tout concernés et qui ne s'informent pas. Ils ne sont pas là, et c'est dommage. Nous sommes aussi ici parce qu'on peut expliquer aux gens ce que signifie l'accord ACTA. Ici, on peut en parler. »

Si ce travail de pédagogie devrait continuer pour dénoncer la recrudescence des attaques dont fait l'objet Internet depuis quelques temps (avec Wikileaks, Megauploads et maintenant l'ACTA), le Parti pirate tchèque ne prévoit pour autant aucune nouvelle action pour l'instant. Le ministre du Commerce et de l'Industrie, Martin Kuba, a annoncé, dimanche, qu'il souhaitait que les partisans et les opposants de l'accord puissent en débattre ensemble. Le texte devra de toute façon être ratifié par les parlements nationaux et par le Parlement européen.