Les Pirates tchèques touchés-coulés ?
Trois mois après des élections européennes déjà très décevantes, les élections régionales, vendredi et samedi derniers, ont de nouveau abouti à un cuisant échec pour les Pirates, poussant même la direction du parti, et notamment son chef emblématique Ivan Bartoš, à démissionner. En attendant désormais de savoir s'il resteront ou non au sein de la coalition gouvernementale, où ils possèdent trois ministres, une chose est acquise : les Pirates traversent la plus grave crise existentielle de leur histoire.
Cela ne remonte qu'à trois ans, on croirait pourtant bien, aujourd’hui, que cela fait une éternité, tant les choses ont changé depuis. En octobre 2021, à quelques jours de la tenue d’élections législatives qui allaient aboutir au départ d’Andrej Babiš de ses fonctions de chef du gouvernement, le très respectable hebdomadaire d’orientation libérale Respekt avait publié en couverture de l’un ses numéros une photo sur laquelle les visages souriants de Petr Fiala, leader du parti conservateur ODS, et d’Ivan Bartoš apparaissaient côté à côté. Avec, juste au-dessus de la photo en question, cette question en forme de titre : « Le futur Premier ministre ? » (« Budoucí premiér ? »).
À l’époque, en se basant sur les sondages d'opinion publique, un certain nombre d’observateurs de la scène politique tchèque pensaient non seulement que le chef des Pirates possédait la carrure, mais aussi qu'il disposait d’un soutien suffisant des électeurs pour endosser le costume de chef du futur gouvernement. Il n’en a finalement rien été, comme on le sait, même si les Pirates avaient quand même intégré la coalition gouvernementale quelques semaines plus tard, fait historique malgré, déjà, un résultat électoral en-deça des (grandes) attentes (seulement 4 candidats élus députés).
Un peu moins de trois ans plus tard, donc, ce mardi matin, Ivan Bartoš et Petr Fiala se sont de nouveau retrouvés côte à côte, ou plus précisément face à face, cette fois pour discuter de leur travail en commun au sein de la coalition gouvernementale.
Mais tandis que Petr Fiala est effectivement bien devenu Premier ministre en 2021, Ivan Bartoš, lui, s’est présenté à cette réunion en qualité certes toujours (mais plus pour très longtemps, comme on l'apprendrait un peu plus tard) de vice-Premier ministre en charge de la numérisation et de ministre du Développement régional, mais plus encore de président démissionnaire d’un Parti des Pirates qui traverse probablement sa plus grave existentielle depuis sa création, il y a quinze ans.
C’est qu’après des élections européennes déjà très décevantes, en juin dernier, avec un score de 6,2 % et l’obtention d’un seul mandat de député, les élections régionales ont cette fois pris les allures d’une authentique débâcle pour les Pirates. Alors qu’il défendait 99 sièges de conseillers à travers le pays, l’ancien parti rebelle qui ne l’est plus tout à fait, doit cette fois se satisfaire de l’élection de trois seuls de ses candidats (dans la seule région de Plzeň) et d’un résultat de 3,5 %. Une misère qui a donc abouti à l’annonce, dimanche soir, par Ivan Bartoš de la démission de l’ensemble de la direction du parti.
Mais pas seulement puisque, ce mardi en début d’après-midi, quelques heures donc seulement après s’être entretenu avec lui, Petr Fiala a annoncé que, « après mûre réflexion », il souhaitait demander au président de la République de révoquer Ivan Bartoš de ses fonctions ministérielles. Le chef du gouvernement, qui demandera aux Pirates de lui proposer un remplaçant, reproche au ministre aux éternelles dreadlocks de ne pas avoir su mener à bien le projet jugé hautement important de numérisation des procédures administratives liées aux permis de construire.
Toutefois, selon Michel Perottino, politologue à l’Université Charles à Prague spécialiste de longue date de la scène politique tchèque, cette dématérialisation pour l’instant ratée des services publics, n’est pas la seule raison de la crise traversée depuis plusieurs mois déjà par les Pirates :
« C’est un parti dont l’électorat n’est pas très stable et qui a réussi à séduire un électorat plutôt libéral. Or, tout au long de ces vingt à trente dernières années, cet électorat a tendance à être volatile et à choisir à chaque fois un autre parti. Il y a donc différentes raisons qui expliquent l’affaiblissement du Parti des Pirates. »
Un affaiblissement renforcé par les discordes internes au sein d’une formation divisée entre rebels de gauche et personnalités plus libérales et conventionnelles, dont le slogan est « Internet est notre mer » et qui, par principe, a l’habitude de laver son linge sale en public.
En attendant de voir quelle suite - départ ou maintien - les Pirates donneront à leur participation à l’action du gouvernement après l’annonce faite ce mardi par Petr Fiala, la grande question désormais est aussi et surtout de savoir qui prendra les commandes de ce navire Pirates à la dérive, alors que le ministre des Affaires étrangères, Jan Lipavský, autre grande figure médiatique du parti avec Ivan Bartoš, a déjà fait savoir qu’il n’était pas intéressé.
Ainsi donc, aux yeux de Michel Perottino, si une seule chose est certaine dans la situation actuelle, c’est que c’est la plus grande incertitude qui règne dans les rangs de ces Pirates décidément bien mal en point :
« A priori de grosses difficultés les attendent, car il va falloir trouver une nouvelle direction et dans l’état actuel des choses, cela apparaît comme quelque chose d’extrêmement compliqué. Le prochain congrès du parti devrait se tenir le 9 novembre, ce qui leur laisse malgré tout un peu de temps pour se préparer à cette succession. Dans tous les cas, il leur faudra beaucoup plus qu’une seule personne pour reprendre cette direction et agir le plus rapidement possible pour faire en sorte de regagner le soutien des électeurs. Et puis, l’autre question qui se pose en filigrane est la position des Pirates au sein du gouvernement. On voit ainsi déjà notamment l’ODS (parti conservateur, principale formation de la coalition) essayer de tirer parti de la situation pour se renforcer dans l’optique de la dernière année gouvernementale [avant les prochaines élections législatives]. »