Courts-métrages, grands films
Dimanche dernier s’est achevée la 13e édition du Festival du court-métrage de Prague. Parmi les films projetés, plusieurs avaient été réalisés par des réalisateurs francophones. Radio Prague s’est entretenu avec trois d’entre eux.
« C’est un évènement qui est multi-filmé dans le monde entier, nous étions donc juste une caméra de plus dans ce décor. Les gens ne faisaient pas du tout attention à nous. Nous, par contre, faisions attention à eux. Nous nous sommes servis de l’évènement comme d’un décor. Je ne me suis occupée que de mes comédiens. C’est d’ailleurs pour ça que le décor de l’évènement est vraiment lointain dans le film. On peut voir que le film se déroule là, mais il n’y pas d’interaction avec les personnes qui sont là, avec les soldats ou avec les personnes qui participaient à l’évènement. Nous sommes restés très concentrés sur notre film. Nous nous sommes juste servis de l’évènement comme d’une grande toile de fond. Je n’ai pas eu à diriger une foule, ni à donner d’ordres à des milliers de gens. J’ai juste posé mes scènes là où je trouvais cela bien de le faire, là où je trouvais que le décor était beau ou intéressant pour ce que nous racontions. L’histoire racontait de toute manière le fait que ce couple n’arrive pas à s’intégrer dans l’évènement. Ils sont sur le parking, loin de la foule, loin des gens, et du coup cela a été très simple de tourner dans l’évènement. Ce qui était plus compliqué, c’était le temps que nous avions. Nous avions juste 48 heures, car ils allaient ensuite tout désinstaller. Nous sommes arrivés la veille de l’évènement et sommes repartis le lendemain matin. »
Aude-Léa Rapin explique avoir bénéficié de son expérience antérieure dans le cinéma documentaire dans les Balkans pour réaliser ce film tourné dans des conditions particulières, à mi-chemin entre réalité et fiction:
« Cette forme de réalité brute est ce qui peut me manquer dans la fiction. Ce film était pour moi une forme de passage entre le documentaire et la fiction. J’avais fait d’autres fictions avant, mais toujours en prise avec le réel. Là, j’avais envie de plonger une fiction dans la réalité, presque de mélanger l’un et l’autre. En ce sens, l’expérience documentaire dans les Balkans a été très riche. Du coup, la réalité ne me fait pas peur. J’ai plutôt l’impression qu’elle me nourrit. Par ailleurs, il y avait une thématique qui était pour moi centrale et sur laquelle je me suis interrogée : comment cela se fait-il qu’en Europe de l’Ouest, en 2015 (à l’époque où l’on tournait), des milliers de gens jouent à la guerre alors que le monde est ravagé par de vraies guerres un peu partout ? Comment se fait-il que l’on en joue chez nous, que l’on s’amuse à tuer pour de faux, à mourir pour de faux ? C’est une passion pour ces hommes, ce ne sont pas des comédiens, ils ne sont pas payés. Ce sont des milliers de gens qui viennent de partout, de France, d’Allemagne, de Russie, de Belgique, des pays de l’Est, qui viennent se déguiser en soldat, avec des armes impressionnantes, des baïonnettes de l’empire napoléonien et qui viennent jouer à mourir ou à tuer. Sortie de dix ans de travail dans l’après-guerre dans les Balkans, j’avais du mal à comprendre leur motivation, à comprendre comment l’on pouvait s’en amuser, trouver intéressant et joyeux de jouer à la guerre. Le film n’a pas répondu à ces questions-là, mais c’était une recherche. »Interprétés par Antonia Buresi et Jonathan Couzinié, qui a d’ailleurs co-écrit le scénario du court-métrage, « Que vive l’empereur » met en scène la relation entre Bébé, un passionné de l’époque napoléonienne aspirant à rejoindre un bataillon, et sa compagne Ludo. Au cours du week-end, ces deux personnages voient leur relation se transformer à mesure que Ludo observe son compagnon en situation d’échec et parvient à sortir du rôle de dominée qu’il lui avait assigné.
« Dans le côté napoléonien, ce n’était pas la guerre qui m’intéressait, mais plutôt la figure de l’homme, du patriarcat, avec Napoléon en toute puissance, l’homme dans toute sa puissance, sans aucune place pour la femme. Les femmes étaient vivandières à l’époque, dans l’armée elles ne faisaient que la vaisselle et le linge. J’ai eu cette envie de raconter l’histoire d’un couple avec un équilibre – qui n’est pas équilibré – où l’homme prend toute la place et où la femme essaie d’exister. C’est en ce sens que l’époque napoléonienne nous intéressait. C’est comme cela qu’est né le film. Nous nous sommes dit que nous allions faire un homme tout-puissant, un empereur, qui gouverne non pas une armée mais sa femme. Nous allions montrer la chute de son empire, comme a chuté à Waterloo l’empire napoléonien. »Parmi les autres films francophones projetés au court du festival, « Noyade interdite », écrit et réalisé par Mélanie Laleu, s’est également distingué par la grande qualité de son scénario et de sa photographie. Les deux personnages principaux, Paula et Dagobert, évoluent dans un monde régi par une Voix autoritaire et où chaque action est payante, de l’appel de l’ascenseur au verrouillage d’une porte. Le film se penche sur la rencontre entre ces deux personnages atypiques, l’une danseuse dans un peep-show et l’autre plongeur, volant les pièces jetées dans l’eau des fontaines. Mélanie Laleu explique ce qui l’a amenée à réaliser ce court-métrage:
« C’est mon deuxième court-métrage. Plusieurs éléments m’ont inspirée. Tout d’abord, il s’agit un peu d’une satire de la société dans laquelle nous vivons. J’ai découvert une fois sur Internet que pour la fontaine de Trevi, en Italie, dans laquelle on peut jeter des pièces, on pouvait faire un don en ligne, payer en ligne pour faire un vœu dans cette fontaine. J’ai trouvé cela tellement absurde que ça m’a donné l’idée du film, d’une fontaine à vœux un peu automatique. D’autres éléments de la vie quotidienne m’ont inspirée, qui sont tous payants et dont on aimerait qu’ils soient plus simples et gratuits. »Tout comme dans « Les parapluies migrateurs », le premier court-métrage réalisé en 2012 par Mélanie Laleu, « Noyade interdite » analyse la société dans laquelle nous vivons à travers la représentation de mondes imaginaires et oniriques:
« Ce qui m’intéresse vraiment dans le fait d’imaginer des mondes, c’est de parler du nôtre, de parler de la réalité telle que nous la vivons. Le fait d’en parler frontalement permet de décaler le propos, d’emmener les gens dans un univers et de les amener à réfléchir sur quelque chose. Dans ‘Les parapluies migrateurs’, c’était à quel point on met les gens et les choses dans des cases, avec ce hangar d’objets trouvés et perdus. Dans ‘Noyade interdite’, c’est la déshumanisation du monde, le fait que notre rapport à l’argent ait pris toute la place, et que du coup les gens n’arrivent plus à communiquer dans un monde froid. L’onirisme sert à emmener les gens dans un univers et petit à petit, avec des personnages assez réalistes, montrer que ce monde n’est finalement pas si loin du nôtre. Cela nous fait réfléchir sur notre monde à nous. »Egalement projeté dans le cadre de la compétition internationale, ‘Debout Kinshasa’, réalisé par Sébastien Maitre, se penche quant à lui sur l’art de la débrouillardise kinoise. Rejeté de l’école parce qu’il ne porte pas de chaussures adaptées, Samuel, un garçon de dix ans, s’aventure dans les rues de Kinshasa et invente divers stratagèmes afin de se procurer l’argent nécessaire à l’achat de chaussures réglementaires. Ancien régisseur général, Sébastien Maitre a vécu plusieurs années en République démocratique du Congo et explique s’être beaucoup inspiré de ses propres expériences dans le pays pour réaliser ce court-métrage:
« J’étais souvent dans la rue. On voit comment cela se passe dans la rue, ce qui se passe entre les gens, comment réagissent les commerçants, comment se comportent les familles. On voit l’importance des frais de scolarité. Le fait que les enfants aillent à l’école est important dans le budget d’une famille. Certaines familles se battent pour qu’ils aillent à l’école, d’autres n’ont pas le choix et les enfants traînent dans la rue toute la journée. Ce sont ces observations qui m’ont nourri pour écrire le film, le tourner et trouver le ton juste. J’ai fait beaucoup de projections, dans des écoles ou des quartiers. Les gens sont toujours surpris de voir qu’un Blanc a fait le film car ils le trouvent juste. Beaucoup m’ont dit que le film parlait des problèmes que les familles rencontrent, que c’était un regard juste. Cette expérience m’a donc permis de ne pas tomber dans le côté décalé, moralisateur qui aurait pu m’être reproché. »Afin d’explorer de manière plus complète les thématiques abordées par le film, « Debout Kinshasa » a été décliné en une bande dessinée, intitulée M’Bote Kinshasa et réalisée par le caricaturiste Kash, ainsi qu’en série documentaire. Plein d’humour, ce projet se veut, comme l’explique le réalisateur, un hommage à la population kinoise et à sa résistance face à l’adversité:
« Quelque part, dès qu’on parle d’Afrique (pas que de la République démocratique du Congo, du continent en général), les gens se disent toujours : ‘les pauvres, rien ne marche, tout est foutu’. Moi, je n’ai pas ce regard misérabiliste sur ce continent, parce que je ne le vois pas comme ça. Je les vois comme des gens pleins de joie, qui ont certes des difficultés, mais qui portent des projets, qui ont des envies. Il y a une joie de vivre. Effectivement, ça ne marche pas. Plutôt que de se lamenter en se disant ‘si ça ne marche pas, on va attendre’, ils essaient de trouver des solutions. Effectivement, ce sont des solutions de débrouille. C’est compliqué à comprendre de prime abord. Avant d’arriver en RDC en 2009, j’avais déjà vécu deux ans en Afrique de l’Ouest, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Mali. C’est quand même différent, mais j’ai eu quatre mois pour comprendre comment fonctionnait la rue, comment fonctionnait la société, comment elle était organisée. Il m’a fallu assimiler cette débrouille. C’est compliqué au début, mais je me suis servi de cette difficulté à intégrer tout ça pour m’en nourrir, faire le film et développer les vignettes documentaires, qui font aussi partie du projet, et la bande dessinée. »