Crimes, châtiment et prostitution dans la Prague du début du XXe siècle

On considère souvent notre époque comme violente, mais si l’on regarde dans notre passé pas si lointain, on se rend vite compte que la violence était souvent omniprésente et bien plus répandue, notamment dans les milieux urbains. L’époque de la fin de la monarchie austro-hongroise et la Première République tchécoslovaque ne fait pas exception : à Prague, de nombreux lieux du centre-ville aujourd’hui rempli de touristes admirant les bâtiments sont liés à des histoires de crimes ou de malversations. Marek Kovář, de l’organisation Prague City Tourism propose des visites ciblées sur les traces de ces histoires criminelles de la Belle Epoque et de l’entre-deux-guerres.

Marek Kovář | Photo: LinkedIn de Marek Kovář

« Notre promenade portera sur certaines affaires criminelles historiques liées à la Vieille-Ville et aussi, sur le monde autour des bordels, des maisons closes. Notons qu’on utilise le mot bordel en tchèque qui est à l’origine un mot français : les prostituées amenaient leurs clients dans ces habitations en bois qui se trouvaient au bord de l’eau, en bord de Seine, d’où ce nom. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les affaires criminelles de la fin de la monarchie austro-hongroise, au tournant des XIXe et XXe siècles, et pendant la Première République tchécoslovaque, une époque marquée par les enquêtes d’un policier appelé Josef Vaňásek qui a servi de modèle à un personnage d’une série policière tchécoslovaque de la fin des années 1960. »

Josef Vaňásek | Photo: Archivs de Miloš Vaněček/Policie ČR

Est-ce qu’il y avait beaucoup de crimes commis à Prague, ou en tout cas, dans la Vieille-Ville en particulier ?

Une promenade sur les traces des histoires criminelles | Photo: Kristina Kellnerová,  Radio Prague Int.

« Enormément, oui. J’ai pu en tirer six ou sept promenades dans Prague, chacune durant presque deux heures - et j’ai même l’impression de rester en surface et de ne pas avoir le temps de tout raconter. Des crimes, il y en a eu quasiment dans une maison sur deux, et pas seulement dans la Vieille-Ville, mais aussi dans d’autres quartiers, comme autour du Château ou le Petit côté. Il y a des histoires de meurtres, mais pas seulement : des détournements de fonds ou des vols, voire même des usurpations d’identité. Par exemple, un criminel s’était fait passer pour Vojtěch Hynais, l’auteur du célèbre rideau du Théâtre national, pour essayer de gagner de l’argent dans des tavernes. »

Les visites et balades que vous proposez sur ce thème sont-elles populaires auprès des touristes ?

Photo repro: Radim Kopáč,  'Nevěstince a nevěstky'/Paseka

« Je dois dire que ces balades sont très demandées : cela me surprend toujours, mais plus l’affaire est brutale, plus les gens sont intéressés. J’avoue que je n’aime pas les cas les plus drastiques, mais c’est ce que les gens aiment. Ils apprécient aussi les histoires liées aux maisons closes parce qu’elles se trouvaient dans des lieux devant lesquels on passe toujours aujourd’hui, qui sont souvent devenus des hôtels ou des restaurants, comme dans les rues Celetná, Haštalská ou la cour Ungelt. Il y avait aussi des restaurants spéciaux où la prostitution était pratiquée : les clients venaient y trouver des filles sur place. Les touristes aiment bien entendre ces histoires associées à des bâtiments qu’ils connaissent dans une toute autre fonction aujourd’hui. »

Comment expliquez-vous que ce type de sujets attire autant les gens ?

Meurtre dans la rue Karlova | Photo repro: Dan Hrubý,  'Pražské mordy,  Skutečné kriminální případy z let první republiky  (1918-1938)/Éd. Pražské Příběhy'

« J’aimerais le savoir aussi. C’est un peu triste, quand on y pense, car la violence est déjà bien trop présente autour de nous, dans la vie réelle et dans les médias. Pour mes visites, j’ai tendance à essayer de choisir les cas moins horribles, et je privilégie les affaires qui comportent un aspect humoristique ou qui racontent un crime qui a connu des ratées. »

Mais il y a eu des crimes particulièrement brutaux dans ce quartier de Prague. Pouvez-vous nous donner un exemple ?

L’aubergiste Hugo Hrubý et sa femme | Photo repro: Dan Hrubý,  'Pražské mordy,  Skutečné kriminální případy z let první republiky  (1918-1938)/Éd. Pražské Příběhy'

« L’un d’entre eux s’est déroulé dans une ancienne auberge, dans une maison de la rue Charles (Karlova ulice) où se trouve aujourd’hui le café DAMU. Dans les années 1930, l’aubergiste Hugo Hrubý, sa femme et sa belle-mère ont été assassinés par un membre de leur famille qui était aussi employé. C’était un meurtre prémédité depuis longtemps qu’il a accompli un soir où une somme considérable – 10 000 couronnes tchécoslovaques – se trouvait dans l’auberge. On remarque que la hache était une arme courante pour les meurtres à l’époque car dans chaque foyer se trouvait un poêle à bois et donc une hache. Il a tué l’aubergiste avec la hache, puis sa femme qui s’était réveillée, et la mère de celle-ci qu’il a poignardée à quatre reprises. L’enfant qui dormait entre eux a été blessé mais a survécu. C’est une affaire brutale qui a donné lieu à une enquête de dix jours menée par ce fameux policier Josef Vaňásek. »

Y avait-il beaucoup de maisons closes à Prague ?

Dans la rue Kamzíková il y avait la plus célèbre maison close de Prague U Goldschmiedů - le salon Gogo | Photo repro: Dan Hrubý,  'Pražské mordy,  Skutečné kriminální případy z let monarchie  (1880-1918)/Éd. Pražské Příběhy'

« Oui, il y avait beaucoup de maisons closes à l’époque. On dit qu’en 1918, il y avait 2 000 prostituées à Prague, ce qui est un nombre assez conséquent. Et encore, je vous parle ici de celles qui ont été recensées, car beaucoup d’entre elles opéraient dans l’illégalité, de sorte que nous ne connaissons pas leur nombre exact. En 1922, la loi dite ‘d’abolition’ a officiellement interdit les maisons closes mais cela ne signifie pas que la prostitution ait disparu. Les prostituées ont changé de quartier et se sont installées plus en périphérie du centre-ville, comme dans les quartiers de Žižkov ou Vinohrady. »

Que peut-on dire de la clientèle de ces maisons closes ?

Photo repro: Dan Hrubý,  'Pražské mordy,  Skutečné kriminální případy z let monarchie  (1880-1918)/Éd. Pražské Příběhy'

« Certains de ces bordels étaient très luxueux et fréquentés par l’élite, pas seulement à Prague, mais aussi dans toute l’Autriche-Hongrie. L’archiduc Charles, le futur dernier roi de Bohême Charles Ier, était un visiteur fréquent de ces établissements pragois. Et bien sûr François Ferdinand d’Este. Si nous disposions encore des registres, nous y verrions des noms intéressants, c’est sûr. Malheureusement, ni les carnets de santé que les prostituées étaient obligées de posséder, ni ces registres ne nous sont parvenus : tout a été détruit après la loi d’abolition de 1922. Il nous reste quelques documents de ce genre pour la ville de České Budějovice, mais c’est tout. C’est dommage car on y trouverait certainement beaucoup d’informations intéressantes. »

La rue Kamzíková | Photo: Jolana Nováková,  ČRo
Auteurs: Kristina Kellnerová , Anna Kubišta
mot-clé:
lancer la lecture