Travail sexuel : une exposition dénonce la situation incertaine des employés en Tchéquie
Depuis le 4 avril et jusqu’au 6 juin prochain sont projetées à Prague différentes photographies sur les thèmes de l’environnement et du business du travail sexuel en Tchéquie.
C’est le long de la rivière Vltava, sur un mur appelé « Artwall Gallery » au pied de la colline de Letná que sont placées huit grandes niches. A l’intérieur, les passants peuvent y observer les photographies de l’exposition « With(out) Care » réalisée par l’artiste Markéta Garai. Diverses compositions florales y sont mises en scène aux côtés d’objets retrouvés dans les vestiaires de clubs érotiques ou maisons closes.
L’exposition « With(out) Care » est une traduction du titre en tchèque « Bez-Péčí », basé sur une combinaison des mots « soin » et « sécurité » et fait référence au sentiment d’insécurité et au manque de soins, une expérience commune à ceux qui travaillent dans le domaine du strip-tease ou de la prostitution . Les photographies montrent des fleurs ornées de piercings, des talons aiguilles entreposés près d’un vase ou encore une composition florale accrochée à une barre de pole-dance. Une manière originale et réfléchie de mettre en avant le sujet du travail sexuel dans le cadre d’une exposition publique, comme l’explique l’artiste Markéta Garai :
« Lorsque j’ai préparé cette exposition, j’ai réfléchi à la manière de communiquer avec le public sur le travail sexuel. Mon exposition se trouve dans un espace ouvert donc tout le monde peut le voir, même un enfant, ou des personnes ayant des opinions différentes des miennes vis-à-vis de cette industrie. Et en fait, j’ai trouvé qu’il existait de la fragilité et de la sensualité dans les fleurs. »
Car l’exposition aborde trois thèmes : la décriminalisation du plaisir mais aussi l’impact écologique du commerce mondial des fleurs et la relation entre les artistes privilégiés et marginalisés. L’artiste a, en effet, souhaité incorporer une dimension écologique à son projet, en utilisant des fleurs destinées à être jetées. Enfin, l’exposition se termine par un portrait de Karim, un artiste vivant dans la rue, en marge de la société, et ayant vécu des expériences traumatisantes liées à la prostitution.
« Pour moi, l’importance de prendre soin de ce qui nous entoure est le contexte de ces photos : nous devons prendre soin de l’environnement, nous devons protéger les personnes comme Karim se trouvant dans des situations difficiles et qui n’ont pas la chance de pouvoir retourner dans la société, dans le système. Nous devons également nous préoccuper de la situation actuelle des travailleurs du sexe en Tchéquie, car la légalisation ne résoudra pas la solution. Il faut décriminaliser ces travailleurs, mais aussi leur procurer une certaine sécurité, arrêter de stigmatiser ce travail et cesser d’ignorer qu’ils existent bel et bien et qu’il y a de plus en plus de gens dans cette situation. »
L’industrie du sexe, Markéta Garai la connait bien puisqu’il s’agit de la première artiste tchèque à avoir réalisé un travail de recherche dans ce milieu. Durant cinq ans, cette diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Prague travaille dans des clubs et des cabarets, animée par la volonté de déconstruire les stigmas liés à cet univers. Suite à cette expérience, elle établit des liens avec un organisme à but non-lucratif aidant les travailleurs du sexe « Rozkoš bez Rizika » (Le Plaisir sans risque). Sa recherche influence désormais son travail, à la fois critique et sensible, comme elle l’explique :
« Dans le monde de l’art, il existe déjà beaucoup d’œuvres sur ce sujet. Mais il s’agit de la perspective d’artistes qui n’ont jamais été au sein de cette industrie et qui n’ont donc jamais ressenti ces choses personnellement. Et je ne suis pas d’accord avec eux. Ces artistes utilisent principalement ces strip-teaseuses ou ces travailleuses du sexe comme des objets, et par conséquent participent à la stigmatisation, ce qui n’est pas mon cas. »
Flou juridique autour de la prostitution
En Tchéquie, le business du sexe est dans un vide juridique. La prostitution n’est ni interdite ni permise par la loi, ce qui signifie en pratique que ceux qui l’exercent ne sont pas protégés contre la stigmatisation ou le harcèlement des clients, le public ou les autorités publiques. Hana Malinová est la directrice de l’association Rozkoš bez Rizika et explique le flou juridique existant sur ce travail :
« En République tchèque, nous avons toujours une approche abolitionniste, ce qui signifie que la loi qui existait auparavant et réglementait la prostitution a été abrogée. La seule chose qui s’applique à l’heure actuelle est un décret, qui donne aux municipalités la possibilité d’interdire l’offre de services sexuels en plein air (rues, routes, places, parcs) dans leur municipalité.
Les travailleurs du sexe ne peuvent pas être officiellement employés parce que nous n’avons aucune loi qui réglemente ou qui permet, même, de fournir des services sexuels contre de l’argent. Ce n’est pas puni mais ce n’est pas non plus autorisé, c’est une véritable zone grise. »
Violences
L’association estime qu’actuellement, il existe entre 10 000 et 13 000 travailleurs du sexe en Tchéquie. Outre un cadre de travail incertain pour ces derniers, Hana Malinová déplore également un milieudans lequel les travailleurs sont particulièrement exposés à tous types de violences :
« La violence la plus répandue est la violence psychologique, particulièrement l’humiliation, les insultes et ainsi de suite. Une autre forme est la violence physique, qui peut se manifester par le fait de pincer des zones sensibles, certaines se retrouvent aussi en danger à cause de l’étranglement. Il y a aussi la violence économique liée au vol, ou lorsque les clients déclarent qu’ils ne veulent pas payer. La dernière forme de violence est sexuelle, celle du viol. La société pense généralement que le viol n’existe pas dans le cadre du travail du sexe mais ce n’est pas vrai. Le consentement est très important. »
L’exposition With(out) Care contribue donc à un débat de longue date sur le statutdes travailleurs du sexe dans le pays. A travers son travail artistique, Markéta Garai souhaite rejeter la stigmatisation et les idées reçues sur cette industrie :
« La prostitution en République tchèque n’est pas la bienvenue. La principale idée reçue est que ces personnes sont des victimes et que nous devrions avoir de la pitié pour elles. Il n’y a pas de remise en question pour, peut-être, se demander si ces personnes aiment ce qu’elles font et sont tout simplement ouvertes à l’idée d’avoir plusieurs partenaires et à en profiter. »
« Il y a aussi cette image que les strip-teaseuses sont en quelque sorte des arnaqueuses gagnant beaucoup d’argent alors que c’est loin d’être le cas. La réalité est qu’il y a cinq ans, lorsque j’étais moi-même dans cette industrie, elles gagnaient 68 couronnes par heure (équivalent de 2,89 euros ndlr). Elles devaient donc compléter leurs revenus avec des danses privées et beaucoup d’autres services. »
La directrice de l’association Rozkoš bez Rizika évoque aussi une stigmatisation encore trop importante dans la société tchèque, mais se veut optimiste :
« Bien sûr, il y a encore un grand stigmate concernant le fait de savoir si cet homme ou si cette femme sont des travailleurs du sexe, mais cela s’améliore un peu. Beaucoup d’entre eux utilisent l’anonymat pour ne pas être identifiés au travail. Ils utilisent des surnoms, ont deux téléphones portables, etc. Mais, avec notre association, nous essayons d’améliorer l’attitude du public. »
Un vernissage de l’exposition a lieu ce vendredi 5 mai, à l’Acid Coffee, durant lequel les visiteurs pourront découvrir les œuvres de l’artiste Karim, présent sur les photographies de Markéta Garai.