Crimes du communisme : la police tchèque « assainit » son passé

Jaroslav Jeroným Neduha, photo: Veronika Hlaváčková, ČRo

C’est une affaire vieille de près de quarante ans. Cinq anciens agents de la police secrète communiste, la funeste StB, seront prochainement appelés à comparaître devant le tribunal à Prague pour avoir violemment menacé et poussé à émigrer, au tournant des années 1970-1980, plusieurs dissidents et opposants au régime. L’acte d’accusation a été établi sur la base d’un long travail mené par le Bureau de documentation et d’enquête des crimes du communisme.

Jaroslav Jeroným Neduha,  photo: Veronika Hlaváčková,  ČRo
Jaroslav Jeroným Neduha est un chanteur et guitariste essentiellement connu en sa qualité de membre du groupe de folk-rock Extempore. Depuis 1991, J. J. Neduha vit de nouveau en République tchèque et se produit, aujourd’hui encore, à 73 ans, en concert sur les scènes du pays. Né en 1945 dans le nord de la Bohême, le musicien fait partie de ces opposants au régime communiste que la police politique a contraints à émigrer dans le cadre d’une vaste opération appelée sous son nom de code « Akce Asanace » - « Action Assainissement ». Après la publication de la Charte 77, pétition des dissidents tchécoslovaques opposés au processus dit de « Normalisation » de la société, cette opération devait servir à se débarrasser des opposants considérés comme trop encombrants, et notamment des signataires appelés « Chartistes ». Au final, quelque 280 d’entre eux ont émigré de force, soit 15 % du total des signataires.

Pour parvenir à ses fins, la StB recourait à diverses formes de pression, tant psychique que physique, et de chantage. Dix années durant, J. J. Neduha, qui refusait de collaborer, a ainsi été victime de cette incessante oppression. Accusé d’être impliqué dans une prétendue affaire d’abus de mineurs, il a finalement, lui aussi, quitté la Tchécoslovaquie en 1982, comme il l’a expliqué dans un reportage diffusé en début de semaine par la Radio tchèque :

« Ils m’ont enquiquiné pendant des interrogatoires longs de quatre ou cinq heures. Lors du dernier interrogatoire, il m’a été dit que j’avais le choix entre une incarcération de huit ans et demi ou partir en Autriche. Je n’ai donc pas émigré de plein gré. C’était un stress permanent. Quand je suis parti, je tremblais de partout. »

En qualité de victime, J. J. Neduha témoignera prochainement devant le tribunal du 1er arrondissement de Prague. Près de quarante ans après les faits, il s’apprête à recroiser les regards de policiers qui, affirme-t-il, ont ruiné sa carrière de musicien :

Photo: ČT
« Je pense que ces gens-là devraient être punis. Pour nous, ce sera une forme de réparation de tout le mal qui a été commis. Eux affirment qu’ils étaient au service d’un système à une époque révolue et qu’ils n’ont fait que respecter les ordres qui leur étaient donnés, mais toute personne qui a un peu d’honneur et quelques vertus, ne s’abaisse pas à faire ce genre de choses. »

Outre, J. J. Neduha, trois autres anciens opposants au régime, parmi lesquels une femme qui vit aujourd’hui au Canada, comparaitront en qualité de victimes lors du procès. Les cinq accusés, quant à eux, sont tous d’anciens agents de la StB.

Selon la procureure Zdeňka Galková, c’est d’abord un abus de pouvoir de l’autorité de fonctionnaire qui leur est reproché. S’ils ont reconnu coupables, comme cela a déjà été le cas par le passé pour deux d’entre eux, les cinq anciens agents, dont un reste membre du parti communiste, encourent des peines de prison allant de trois à dix ans. Pour l’heure cependant, aucune date n’a encore été arrêtée pour la tenue de la session du tribunal.

Au-delà de cette affaire, le Bureau de documentation et d’enquête des crimes du communisme, qui est une antenne de la police tchèque, a indiqué qu’il continuait à s’intéresser de près à l’opération « Assainissement » et qu’il était possible que de nouveaux cas passibles de poursuites judiciaires soient mis prochainement à jour. Depuis 1995, date de la fondation du Bureau, une trentaine de personnes ont déjà fait l’objet de poursuites pour des faits similaires à ceux reprochés aux anciens agents de la StB. En République tchèque, l’étude de l’histoire sous le régime communisme est probablement une histoire sans fin.