Czech Press Photo : David Rath n’a pas encore gagné son procès, mais il a gagné la compétition
Czech Press Photo est une compétition de photographie de presse, analogue à la prestigieuse World Press Photo. La 19e édition de ce concours des photographes professionnels s’ouvre le 20 novembre dans les salles d’exposition de la mairie de la Vielle Ville de Prague. Radio Prague a pu assister au processus de sélection des œuvres récompensées et a rencontré Stéphane Arnaud, qui travaille à la rédaction photo de l’AFP, et Manuel Cohen, qui est photographe. Ils étaient tous deux membres du jury international qui a choisi de distinguer un cliché représentant la descente aux enfers de l’ancien député David Rath, principal protagoniste d’une affaire de corruption en cours, pour laquelle il a passé un an et demi en détention provisoire...
« L’objectif de cette compétition est surtout d’offrir un témoignage visuel des auteurs qui vivent en République tchèque ou en Slovaquie sur des événements phares de l’année précédente, cela doit être un miroir. »
Le jury est composé de trois Tchèques seulement et donc majoritairement de membres étrangers. Le caractère cosmopolite de ce groupe de onze personnes est une volonté du festival, qui permet également de proposer un regard neuf, débarrassé de certains aprioris, sur les photographies sélectionnées. Daniela Mrázková :
« On permet à nos artistes d’être confrontés aux standards internationaux. Ensuite, les qualités de ces travaux sont évaluées par un jury complètement indépendant. Les œuvres sont anonymes, mais même sans l’être, les membres du jury ne connaissent pas les artistes, ce qui est, à mon sens, la procédure de sélection la plus juste. »De la même façon, les personnes qui composent ce jury exercent des professions qui n’ont parfois qu’un lien ténu avec le huitième art, la photographie. Il s’agit là encore de quelque chose de réfléchi comme l’explique Daniela Mrázková :
« Il est dangereux d’avoir comme membres du jury uniquement des photographes ou des rédacteurs image. Nous invitons des journalistes mais également des gens qui font de l’esthétique. Ainsi, nous faisons venir les représentants des agences de presse, des photographes, mais aussi des historiens de l’art et commissaires d’exposition. En conséquence, leurs débats sont toujours très enrichissants. »
Des débats enrichissants et également impressionnants. Le jury prend presque l’apparence d’un essaim d’abeilles, volant de pièce en pièce, pour y butiner chacun des clichés se trouvant là. Tout le monde peut prendre la parole pour défendre ou descendre parfois âprement une série de photographies ou une photo seule. Et puis on vote, d’abord pour éliminer, puis pour déterminer le ou les clichés vainqueurs et leurs deux dauphins.
Stéphane Arnaud est adjoint à la rédaction en chef du département photographie de l’Agence France Presse (AFP). Manuel Cohen est un photographe professionnel, qui a notamment travaillé sur le patrimoine de villes et de sites historiques. Membres du jury de cette édition du Czech Press Photo, ils ont répondu aux questions de Radio Prague, entre deux délibérations.
Au départ il y avait quelque 3500 photos qui vous ont été présentées, comment vous faites le premier tri qui est apparemment assez rapide ?
Manuel Cohen : « Au début on procède surtout par élimination. Les photos sont posées par terre et tout le jury se réunit autour d’une série d’images et on décide assez rapidement s’il y a des sujets qui sont d’une manière évidente beaucoup plus faibles que d’autres ou qui ne correspondent pas à des critères de qualité suffisants pour être sélectionnées. On les élimine tout de suite. On fait une sorte d’editing. C’est comme si on recevait un immense reportage et si on avait une énorme table lumineuse. Sur cette table lumineuse on choisit des sujets et on en élimine d’autre et après, parmi les sujets qui sont sélectionnés, on est amené à réfléchir sur une deuxième sélection qui est bien plus compliquée. Nous sommes plusieurs à décider et chacun a des critères différents et il faut se mettre d’accord. Pour ce deuxième et troisième editing on procède à un vote. Et parfois on est obligé de voter plusieurs fois. »Stéphane Arnaud : « Au départ c’est facile. La masse fait que les séries qui sont faibles sautent aux yeux et elles sont tout de suite éliminées. Comme ensuite on ressert le choix, cela devient difficile. Comme on est onze dans le jury, chacun a ses idées, il faut faire des choix et il y a un parti pris à avoir. C’est là où ça devient compliqué mais en même temps où cela devient intéressant. »
Qu’est-ce que vous attendez des photos qui vous sont proposés ? Qu’est-ce que vous allez mettre en avant dans les délibérations avec les autres membres du jury ?
SA : « C’est là où, en tant que non Tchèques, comme nous devons juger dans le Czech Press Photo, il nous faut toujours avoir à l’idée cette espèce de notion d’événement relatif à la République tchèque. Moi naturellement, j’ai parfois eu tendance à m’orienter vers les photos qui n’étaient pas forcément rattachées à une actualité tchèque. Mais on est dans le Czech Press Photo, il faut donc tenir compte de cet élément et il faut récompenser les travaux qui ont été faits ici et qui ont directement trait à la vie politique, économique ou sportive tchèque. J’ai toujours cette dichotomie là en me disant qu’il faut se rattacher à ce qui se passe en République tchèque, même si naturellement j’aurais plutôt tendance à aller vers d’autres photos et d’autres séries. »
MC : « Je crois que c’est une des raisons pour lesquelles les organisateurs de Czech Press Photo ont fait appel à un jury étranger. S’ils ont un jury tchèque qui est parfaitement au courant de l’actualité, ils n’ont pas nécessairement une vision très objective des sujets et même par conséquence des images. D’une certaine manière, comme nous n'avons pas toute cette culture et ces éléments pour juger, on a un regard qui est complètement extérieur, on a une autre façon de voir les choses. D’un côté, il y a un excès à être trop baigné dans un contexte pour pouvoir avoir un regard détaché, de l’autre côté, il y a un excès à ne pas être assez baigné, c’est cette rencontre qui est intéressante. C’est la rencontre entre ces deux choses. On nous informe des événements, on nous rappelle que cela est important et nous le prenons en considération petit à petit. Je pense que c’est pour cela que c’est assez riche d’avoir ajouté un regard complément détaché à ce festival. »Comment vous pesez la thématique et le contexte de la photo avec son côté esthétique ?
MC : « Évidemment, le sujet est très important mais ce qui importe c’est aussi la manière dont il est construit. Cela peut être un sujet très intéressant mais qui a été mal photographié et dans ce cas de figure, cela perd beaucoup. En ce qui me concerne, il y avait un sujet que beaucoup de personnes aimaient qui était un sujet important qui concernait les inondations, mais je trouvais que cela avait été traité d’une manière un peu trop légère, que le photographe n’était pas impliqué dans l’événement et on le ressent dans le traitement du sujet. Dans ce cas de figure, même si les photos sont bonnes, ce n’est pas suffisant. Il faut qu’il y ait de l’harmonie. Il faut à la fois que le sujet soit bien traité et qu’on sente que le photographe s’est impliqué dedans, il faut que les images parlent. Parfois, il y a beaucoup d’images qui ne disent rien même si ce sont de belles images. Dans ce cas, on peut les évaluer comme des belles images. Mais on ne peut pas prendre cette série parce que le fait que l’image soit belle n'est pas suffisant. »
Comment vous pouvez utiliser le travail que vous faites en sein du jury par rapport à votre travail personnel de photographe ou à l’AFP, de sélection de photos qui vont être envoyées à des médias ?
SA : « En tant qu’agencier, je retrouve ici tout ce que je vis au quotidien. Il y a le photojournalisme qui est composé de ces deux éléments – photo et journalisme. Il y a à la fois des photos qui sont d’un point de vue informatif très importantes mais très faibles photographiquement parlant et il y a la réciproque. Et c’est là où la balance à trouver est difficile. Qu’allons-nous privilégier ? L’info ou la photo ? Selon l’information, on va peut-être devoir privilégier l’info au détriment de la photo parce qu’il y a des événements qui ne donnent pas lieu à de belles photos. Par exemple, quand on parle de la politique, ce n’est pas toujours très intéressant photographiquement parlant. En revanche, quand il y a une campagne électorale, cela donne tout de suite lieu à plus d’images parce que les photographes ont plus d’accès, les candidats se prêtent davantage au jeu. Et donc moi je retrouve mon quotidien d'agencier ici et je me trouve assez dans mon élément. »MC : « Je peux conclure sur la même chose. Je retrouve mon quotidien de photographe où je suis amené à éditer mes propres images en fonction de la qualité, de l’esthétique, d’un cadrage, d’un angle, et puis, bien évidemment, s’il s’agit d’un sujet, en fonction de la lecture du sujet. Je me pose toujours la question de savoir si, en regardant cette série d’images, on peut comprendre tout ce qu’il vient de se passer sans légende et si la lecture est universelle. S’il faut ajouter de l’information, à ce moment-là ce n’est pas bon. J’applique ici le même principe que j’appliquerais sur mes images ou mes séries d’images. »
Suite aux trois jours de délibérations, ce n’est pas une série d’images qui a été récompensée mais une seule photographie, qui sans doute, répondait le mieux aux critères des membres de jury, tels que les décrivent Manuel Cohen et Stéphane Arnaud. Le grand vainqueur est une photographie représentant David Rath, qu’on aperçoit à travers les vitres d’un ascenseur. Celui-ci amène un homme que l’on devine fatigué vers la salle du tribunal où se déroulait son procès. L’image est très évocatrice.Les visiteurs de l’exposition pourront également désigner leur photo préférée jusqu’à la fin du mois de janvier 2014. Le cliché qui obtiendra le plus de suffrages recevra le prix du public.