CzechMarket #7 – Des rires et du rock sur les ondes radio

Michel Fleischmann, photo: ČT

Quand on parle de l’« ouverture » des pays d’Europe centrale et orientale après l’effondrement du bloc soviétique, on pense aux marchés extérieurs mais cette ouverture concerne aussi les nombreuses réformes qui firent sauter, à l’intérieur des pays, les verrous du monopole d’Etat. En Tchécoslovaquie communiste, télévision, radio et presse étaient notamment sous le contrôle du Parti et au service du régime. Les années 1990 sont donc aussi celles de la libéralisation de l’information. Nous relations il y a quinze jours l’histoire du Prague Tribune. Découvrons à présent celle des radios Evropa 2 et Frekvence 1, filiales du groupe Lagardère, respectivement créées en 1990 et 1993 par Michel Fleischmann, qui les dirige toujours actuellement et qui est, par ailleurs, fils d’Ivo Fleischmann, homme de lettres et diplomate tchèque.

Michel Fleischmann,  photo: ČT
« Mon père a été nommé conseiller culturel de l’ambassade tchécoslovaque à Paris fin 1964 et nous sommes restés en France en tant que réfugiés politiques à partir de 1969. »

Quand vous retournez à Prague en 1990, vous avez 38 ans. Vous avez alors passé près des trois quarts de votre vie en France, où vous travailliez dans les médias…

« En effet, j’ai passé un concours pour entrer à Radio France où je suis devenu assistant de réalisation, avant de faire de la réalisation moi-même. J’ai passé dix ans à Radio France, notamment à France Culture. »

Parlons des deux radios que vous avez lancées à Prague dans les années 1990 : Evropa 2 et Frekvence 1. De quel type de radio s’agit-il ?

« Europe 2 en Tchécoslovaquie à l’époque, c’est une idée de Martin Brisac qui était alors directeur général d’Europe 2 en France et qui a eu l’idée de profiter de ce qu’on appelait « l’ouverture à l’Est » et de voir si une radio musicale à destination des jeunes avait une chance dans ces pays qui s’ouvraient. Il a réussi, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Russie, en Hongrie puis plus tard en Roumanie. Nous nous sommes rencontrés un peu par hasard et, comme j’avais dix ans de radio derrière moi, qui plus est d’origine tchèque, il m’a proposé de tenter l’aventure avec lui. »

La première émission d’Evropa 2 est diffusée le 21 mars 1990, soit quelques mois seulement après la chute du régime en automne 1989. Vous avez l’air d’avoir bien anticipé les événements. Depuis quand était né le projet ?

« Je n’étais pas présent personnellement à cette époque-là mais en décembre 1989 déjà, Martin Brisac avait rencontré Karel Starý qui avait été nommé, juste après la Révolution, directeur général de la radio d’Etat – la radio dite de service public n’existait pas encore. Ils s’étaient mis d’accord sur la création à 50/50 de cette radio musicale pour les jeunes : les Tchécoslovaques devaient mettre à disposition les studios et les moyens de distribution, tandis que les Français s’occuperaient du programme et, à l’époque ce n’était pas encore dit comment, de la commercialisation. Martin Brisac m’a proposé de diriger Europe 2 en Tchécoslovaquie le jour-même où sa diffusion a commencé, à l’époque seulement à Prague sur 88,2 MHz. »

Est-ce qu’à cette époque une radio vous faisait concurrence, que ce soit une radio d’Etat ou une autre radio privée ?

Photo: Archives de Radio Prague
« Dans ce style de radio, non. Il y avait bien quelques petites radios à Prague qui s’étaient créées lors de la Révolution de velours, notamment Radio Staline qui existe toujours sous le nom de Radio 1, une radio alternative. Il y avait également une petite radio à Plzeň et une autre à České Budějovice. Mais notre seul concurrent était notre partenaire de l’époque, la radio tchécoslovaque, et vu le succès d’Evropa 2 – on jouait de la musique qui avait longtemps été interdite par le régime – cela ne leur plaisait beaucoup. A mesure que nos relations se refroidissaient, le devoir principal pour moi a été de pousser à ce que l’Etat tchécoslovaque adopte le plus rapidement possible une loi qui créerait la possibilité d’avoir officiellement une radio commerciale privée. Jusque là, les radios privées ne pouvaient pas exister, étant donné que c’était le monopole de l’Etat. »

En quelle année cette loi a-t-elle finalement été votée ?

« La loi a été votée en février 1991, donc très rapidement, un peu à l’image de la loi sur la liberté de la radiophonie française, avec d’un côté le service public, de l’autre le service privé, tout cela sous la responsabilité d’un CSA de l’audiovisuel. Nous en avons alors profité pour quitter la radio d’Etat et pour installer nos studios rue Celetná, près de la place de la Vieille-Ville, et pour commencer aussi à vraiment diffuser en tchèque, car jusque-là la plupart de la diffusion était faite par satellite depuis Paris. »

Vous dites qu’Evropa 2 a été un succès immédiat. Sa ligne musicale était celle d’Europe 2, c’est-à-dire pop-rock, et elle s’adressait surtout aux jeunes, c’est cela ?

« Ce n’était pas pop-rock, à l’époque on n’utilisait pas ce langage-là, mais c’était effectivement influencé par Europe 2. Cela dit, très rapidement on a fait des études auprès des potentiels auditeurs pour savoir ce que les Tchèques voulaient écouter et nous nous sommes adaptés. On s’est aperçu que les Tchèques se tournaient plus volontiers vers la musique anglo-saxonne que la musique française, qui était moins connu, et si certains écoutaient des Mireille Matthieu et des Gilbert Bécaud, ils ne connaissaient pas ce qui était plus moderne. »

En 1993 vous créez Frekvence 1, davantage locale, davantage tchèque, et qui semble s’adresser à une frange de la population qui n’avait peut-être pas envie d’écouter du rock occidental…

« Pas exactement. Frekvence 1 a été créée au moment où l’Etat a libéré des fréquences de couverture nationale pour le service privé, et nous nous sommes porté candidats pour une radio effectivement plus axée sur la population tchèque, une radio populaire, interactive, plutôt pour les femmes et avec un programme musical à 40% tchèque. »

Est-ce que cette radio a un équivalent français ?

« Oui, je me suis inspiré à l’époque aussi bien d’Europe 1 que d’RTL, avec bien sûr les moyens du bord. »

Quand vous dites une radio davantage pour les femmes, à quoi pensez-vous ?

« Il faut comprendre la situation. Nous sommes en 1993, la Révolution a seulement trois ans et les radios privées qui existent ne sont que des radios musicales. Maintenant, comment s’adresser à cette population quand on veut faire du commercial et ne pas ressembler à la radio d’Etat, très officielle, d’un ton très didactique et pauvre en divertissement ? Nous nous sommes donc attachés à faire plaisir et à donner des conseils sur la vie quotidienne. Et comme à l’époque, comme encore aujourd’hui, toutes les études disent qu’à la maison celui qui met la radio en marche c’est la femme, on s’est adressé à la femme. »

Comment cela s’est passé au niveau de l’animation au début : avez-vous formé vos journalistes ? Est-ce que c’était naturel pour eux ? Est-ce que c’était nouveau ?

« Effectivement il n’y avait pas de radio d’un type tel qu’on le connaissait nous dans les années 1990 et tel qu’on connaît jusqu’à maintenant, c’est-à-dire ce ton libre, ce parlé qui ressemble plus au parlé de la rue qu’au parlé littéraire. Donc c’était compliqué de trouver des gens et en même temps pas si compliqué que cela, car cette radio qui s’adressait aux jeunes a bien sûr attiré énormément de jeunes gens qui voulaient faire de la radio sans savoir très bien ce que c’était que ‘faire de la radio’. J’ai constitué une petite équipe qui est devenue presque une famille et avec laquelle on créait ce ton. Ce qui n’a pas été si facile car même eux étaient habitués à ce que, dès qu’on ouvre un micro, on se mette à parler autrement que normalement. Cela a mis un certain temps d’apprendre à ces gens qu’ils pouvaient avoir le courage de leurs propres mots. »

« Il n’y avait pas beaucoup de divertissements dans les radios d’Etat, sauf venant du théâtre, des concepts fixes. Mais un divertissement en interaction avec l’auditeur tel qu’on le connaît en France – on appelle l’auditeur, on lui demande quelque chose, on fait une petite blague et on rit – c’était une grande nouveauté. Le succès de Frekvence 1 a surtout été dû à cette interactivité d’une simple émission qui s’appelait ‘Le Club des dames’, où des speakerines de la télévision tchécoslovaque faisaient l’animation du matin. Et tout d’un coup, ces vedettes qui étaient intouchables, qu’on ne pouvait voir qu’à la télévision, parlaient de leurs problèmes, avec leurs enfants, comment faire réparer ses chaussures, comment suspendre des rideaux, des problèmes de la vie courante, et ça, ça a eu un succès énorme. Fin 1995, nous sommes devenus la radio n°1 du pays. »

Puis vous lancez les radios Bonton, Dance radio et enfin, l’année dernière, Radio ZET qui est une radio d’informations économiques…

« Un projet bien sûr très audacieux puisque c’est la première radio d’information qui a été créée dans ce pays dans le secteur privé, et je ne pense pas qu’il y en aura d’autres. C’est très difficile d’intéresser la population à écouter de l’information. Le but c’est de créer une BFMisation du journalisme. »

Dans quelle mesure les concepts qui marchent en France ou à l’étranger influencent les programmes que vous proposez en République tchèque ?

« A l’époque, dans les années 1990, j’étais bien sûr influencé par les radios françaises. Aujourd’hui c’est différent. Nous sommes naturellement en contact avec d’autres radios d’autres pays, et nous nous inspirons de concepts devenus globaux. Mais nous nous inspirons avant tout de ce que veulent les Tchèques. Nous investissons énormément d’argent dans cette connaissance, nous faisons des études pour comprendre quelles sont les volontés et les tendances, nous essayons d’aller à leur rencontre. »

Dernière question, plus personnelle : en 1990, est-ce que cela a été une évidence pour vous de rentrer en Tchécoslovaquie ? L’avez-vous vécu comme un retour au pays ?

Photo illustrative: stockimages / FreeDigitalPhotos.net
« Non, je ne peux pas dire cela. J’ai été appelé à créer une radio, c’était une aventure dans son sens le plus simple. Je ne savais pas du tout ce que cela allait donner, si je resterais. Mais j’y suis allé parce que, un : j’en avais envie, deux : j’y croyais, et enfin il y avait quand même un élément important : à qui, en fin de vingtième siècle, en Europe, il arrive de créer une radio dans un pays qui se crée ? Quand on se pose la question, on se dit : je ne vais quand même pas rater ça. »

« Autre chose : j’ai rencontré ici des gens qui avaient énormément envie. Cet élan, énorme, qu’il y avait au début des années 1990 et qui était tellement positif… c’était sympa d’être du bord, d’être sur le pont de ce bateau-là. Alors qu’en France, cela faisait dix ans que j’étais à Radio France et, même si l’ambiance était sympathique, il n’y avait pas cet élan-là. »