M. Fleischmann, ambassadeur tchèque en France : « Je suis Parisien et Pragois »
Rencontre avec le plus parisien des ambassadeurs tchèques : Michal Fleischmann dirige depuis environ un an la représentation diplomatique de la Tchéquie dans la capitale française, où il avait passé une bonne partie de sa jeunesse. Son père Ivo était poète et diplomate, lui-même en poste à Paris pendant plusieurs années avant de faire défection après l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968. Rentré après 1989 à Prague où il a représenté le groupe français Lagardère, Michal Fleischmann est revenu l’année dernière à Paris pour prendre ses quartiers dans cet hôtel particulier proche de la Tour Eiffel qu’il connaissait plutôt bien.
J’ai cru remarquer que lorsque vous étiez à Prague vous étiez plutôt appelé Michel et maintenant que vous êtes à Paris vous êtes davantage Michal…
« A l’époque à Prague je représentais une société privée française, donc j’étais plutôt Michel, comme m’appellent mes amis et mes intimes. Mais officiellement je suis Michal. »
Qu’est-ce que cela vous a fait de revenir ici en tant qu’ambassadeur ?
« C’était un peu comme un retour aux sources. Mon père a été conseiller culturel ici après avoir été attaché culturel auparavant et j’ai vécu dans cette ambassade dont je connaissais tous les recoins comme jeune garçon. »
Résidence d'hiver de princesse
Qu’est-ce qui a changé ici depuis ces années ?
« Beaucoup de choses. Cette magnifique maison, achetée par la Tchécoslovaquie dans les années 1920 est la plus ancienne ambassade tchèque au monde. Elle a été achetée par le nouveau gouvernement tchécoslovaque à la princesse Elisabeth Françoise Marie de Ligne, née de la Rochefoucauld, dont c’était la résidence d’hiver, avec beaucoup de cheminées. »
« Cela a été rénové et a beaucoup changé depuis l’époque de ma jeunesse. Par exemple la cave avec l’alcool, qui m’intéressait beaucoup à l’époque, a été transformée en cuisines et l’escalier où je cachais la clé de cette cave n’existe plus… Surtout, on a ajouté un étage avec une formidable terrasse qui donne directement sur la Tour Eiffel ! »
Une défection trop discrète pour Simone Signoret
Votre père Ivo Fleischmann a été le premier diplomate tchécoslovaque à faire défection après l’écrasement du Printemps de Prague. Vous souvenez-vous de ce moment ?
« Je m’en souviens mais je n’étais pas ici, j’étais élève au lycée Alphonse Daudet à Nîmes, dans la section tchécoslovaque de l’époque. Mon frère Petr était présent et m’a souvent raconté la manière très discrète dont ils ont quitté l’appartement de la rue Fondary, à quelques pas de l’ambassade. »
« Quelques semaines après la défection de mon père qui a fait beaucoup de bruit, il y a eu un dîner chez des amis où étaient aussi les amis de mes parents Simone Signoret et Yves Montand. Elle a demandé à mon père comment cela s’était passé. Il a raconté qu’il avait adressé une lettre et fait ça très discrètement. Et elle s’est fâchée en lui disant qu’il aurait dû réunir l’ensemble des employés de l’ambassade pour leur dire leurs quatre vérités et s’en aller avec fracas… Papa lui a rétorqué qu’il aurait dû le faire comme dans un film en courant dans les couloirs de l’ambassade avant de sauter dans une voiture conduite par mon frère qui aurait démarré illico ! Simone n’était pas tellement contente de la réaction de papa… »
De Nîmes, vous apprenez tout ça et vous revenez à Paris ?
« Oui je reviens à Paris et ma mère m’accueille à la gare en m’annonçant qu’on allait rester en France. Ça a été un moment très très dur… »
Vous étiez encore mineur à l’époque, votre frère Petr avait déjà eu 18 ans, ce qui était crucial quant aux formalités et sanctions…
« J’étais à quelques semaines de ma majorité et pour cela considéré comme ‘mineur amené de force en émigration’ et n’est donc pas été poursuivi par l’Etat tchécoslovaque. En revanche mon frère a été condamné pour ne pas s’être présenté au service militaire, ma mère a écopé d’un an et demi et mon père de deux ans ou trois ans et demi pour défection et trahison de l’Etat tchécoslovaque socialiste. Tout cela a été bien sûr annulé après 1989. »
Premiers pas dans la diplomatie sous le signe de la pandémie
Un peu plus de 30 ans après avoir quitté Paris pour Prague, vous revenez donc ici en tant qu’ambassadeur… Est-ce une frustration de commencer dans la diplomatie en plein pendant une pandémie ?
« Cela a été une frustration et bien sûr une surprise. Je suis arrivé le 15 janvier et début février tout ça a commencé… J’ai pu me présenter brièvement auprès de quelques interlocuteurs du côté du gouvernement français et du ministère des Affaires étrangères notamment, mais très vite je me suis retrouvé dans un rôle de 'chef de gare', avec de très nombreux citoyens tchèques qui voulaient rentrer dans leur pays et d'autres qui transitaient par la France. Il fallait s’occuper de tous ces gens, environ 600 ou 700 personnes. Je ne m’y attendais pas. L’expérience du secteur privé m’a plutôt aidé pour cette situation de crise et un travail énorme a été fait par le consulat tchèque ici à Paris, en lien avec l’ambassade française à Prague. On a réussi à faire tourner des dizaines d’autobus, à aller chercher des gens en province avec nos voitures et camionnettes. »
La diplomatie a-t-elle repris son cours à peu près normal ?
« A peu près, mais rien ne s’est arrêté, les réunions ont continué virtuellement. Ce qui ne se faisait pas était les réceptions, mais on n’a pu continuer à travailler et avancé du côté de ce qui nous intéresse particulièrement à savoir la préparation des présidences européennes de la France et de la Tchéquie l’année prochaine. »
Dans quelle mesure ces présidences du Conseil de l’Union européenne sont-elles compliquées par les échéances électorales en Tchéquie et en France ?
« Pour ce qui est des législatives tchèques en octobre, on n’en discute pas beaucoup et cela reste en dehors du débat diplomatique en attendant les résultats. Cela n’a aucune incidence sur la préparation de la présidence tchèque pour l’instant. Du côté français, c’est vrai que la présidence européenne va être un peu particulière avec l’élection présidentielle en avril, donc avec entrée en fonction en mai. Comme il y a une période de réserve avant les élections pour que les membres du gouvernement et le président français n’influencent pas les élections par l’intermédiaire de la présidence française de l’UE, il semble que quelque 320 réunions prévues devront être regroupées sur les trois premiers mois, de janvier à mars, donc il y aura une certaine pression et cela va être très intéressant à suivre. »
Du côté tchèque on a une certaine impression de déjà-vu avec une présidence européenne à un moment où se prépare un gros appel d’offre nucléaire. En 2009, le gouvernement tchèque a chuté en plein milieu de la première présidence tchèque de l’UE et l’appel d’offres nucléaire pour la centrale de Temelin avait été par la suite annulé. Cette fois-ci, il s’agit de la centrale de Dukovany. Est-ce que, même si la présidence européenne a été quelque peu vidée de sa substance par le Traité de Lisbonne, ce passé récent met davantage de pression sur l’ambassadeur que vous êtes et sur l’administration tchèque en général ?
« Beaucoup de choses ont changé depuis 2009, notamment dans les rapports franco-tchèques. Si en 2009, beaucoup de fonctionnaires tchèques se plaignaient d’une certaine suffisance du côté des interlocuteurs français, cette suffisance n’existe plus. Il y a une vraie confiance et une collaboration soutenue avec une communication intense pour l’organisation du trio entre la France, la Tchéquie et la Suède, qui assurera ensuite cette présidence de l’UE. »
« Pour ce qui est de l’appel d’offres nucléaire, cela n’a pas d’incidence sur la présidence européenne. Les discussions se poursuivent. Prague a décidé de ne laisser que les Sud-Coréens, les Français et les Américano-Canadiens dans cette appel d’offres et cette décision a bien sûr été bien accueillie ici à Paris et la France a nommé un responsable de ce dossier qui est en contact avec les responsables en Tchéquie pour bien mettre en place la candidature et faire en sorte que cela se passe mieux que par le passé. »
La culture tchèque mise en avant pendant la présidence européenne
L’accent mis sur la diplomatie économique vous permet-il de vous consacrer à la culture en tant qu’ambassadeur ?
« J’espère m’y consacrer plus qu’un petit peu. La diplomatie culturelle, surtout en France, est un élément important de la diplomatie. J’ai repris les flambeaux des ambassadeurs précédents pour développer la présentation de la culture tchèque en France. Nous avons notamment réussi à remettre en état le tombeau de Josef Šima et à présenter quelques-unes de ses œuvres autour de l’ambassade. Nous aurons ensuite des expositions sur l’égyptologie puis sur le verre tchèques. Ces expositions doivent ensuite tourner en France grâce à nos consuls honoraires, qui sont de formidables relais.
Pour la présidence européenne de la Tchéquie nous préparons beaucoup de choses, avec notamment l’énorme travail du Centre culturel tchèque. J’essaie de faire passer un accord entre les orchestres de Radio France et de la radio publique tchèque pour des concerts communs. Et j’aimerais notamment faire venir à Paris le Théâtre national de Brno avec la pièce de Milan Kundera, Le propriétaire des clés. »
Milan Kundera est-il un élément important dans ce rapport culturel franco-tchèque ?
« Enorme. C’est le plus grand écrivain tchèque à l’échelle mondiale. Que les Français le considèrent comme un des leurs est très bien, mais nous on sait qu’il est tchèque et nous défendons bien sûr sa mondialité. Il est l’un de ceux qui ont réussi à mettre la République tchèque au niveau de la pensée mondiale, de la littérature mondiale, tout en gardant son côté de Brno. »
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Et ses archives personnelles sont d’ailleurs en train d’être transportées vers la Moravie…
« C’est une chose très importante. Toute sa bibliothèque et toutes les éditions étrangères de ses livres ainsi que ses archives seront à Brno. »