CzechMarket #9 – Dernière étape de la privatisation : les grandes banques

Karel Vašák, photo: LinkedIn de Karel Vašák

Restées propriétés de l’Etat plusieurs années après le changement de régime afin d’accompagner la transformation économique du pays, les grandes banques tchèques ont été à leur tour privatisées à la fin des années 1990. Les Français ont eu leur part du gâteau avec l’acquisition de la Komerční banka (KB) par la Société Générale en 2001. C’est le sujet de ce nouveau numéro, le neuvième de notre série.

Karel Vašák,  photo: LinkedIn de Karel Vašák
Après l’effondrement du communisme en Tchécoslovaquie, le processus de privatisation se déroule en trois étapes. Votée en novembre 1990, la « petite privatisation » (magasins, hôtels, restaurants et services courants) est assez vite achevée. La « grande privatisation » (qui concerna 4 227 entreprises d’Etat) est engagée un an plus tard, en octobre 1991. Fin 1996, plus de 80% de l’économie se trouve dans les mains du secteur privé. Reste la vente des sociétés de distribution d’eau, de gaz et d’électricité, et celle des grandes banques.

À l’époque, peu d’investisseurs locaux ont les moyens de les racheter. De 1995 à 2007, la part des actifs des banques étrangères dans le total des actifs bancaires en République tchèque passe de 17 à 81%. Entre 1998 et 2000, trois grandes banques sont cédées à des investisseurs étrangers : la Société Générale acquiert notamment la Komerční Banka (KB). Pour en parler Radio Prague a rencontré Karel Vašák, nommé directeur des ressources humaines à la KB au moment des faits, actuellement membre du comité d'administration.

Karel Vašák, vous êtes d’origine tchèque, mais on peut presque dire que vous êtes Français puisque vous avez longtemps vécu en France. Quand êtes-vous rentré pour la première fois en République tchèque ?

« La première fois que j’ai eu le droit de rentrer en Tchécoslovaquie, j’avais 14 ans et je venais voir mes grands-parents. Mais c’était à l’époque communiste, donc cela supposait bien entendu de passer par la police et de se faire expliquer en quoi mon père avait fait quelque chose de mal en quittant le pays en 1945 et en décidant en 1948 de ne plus y revenir. »

Vous êtes entré à la Société Générale en 1982 puis nommé à la Komerční Banka en 2001. Cela faisait donc déjà vingt ans que vous travailliez à la Société Générale en France…

« En réalité, j’avais travaillé pour le groupe Société Générale également en Angleterre et aux Etats-Unis, et quand je suis venu à Prague en 2001 au moment de l’acquisition de la Komerční Banka par la Société Générale, j’étais alors entre l’Angleterre et les Etats-Unis. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je pense que mon profil intéressait la Société Générale : la capacité à pouvoir aider à la transformation d’une banque rapidement, avec un œil plus international que seulement franco-français, tchéco-tchèque ou anglo-américain, et la capacité à comprendre les différences culturelles et à les faire vivre ensemble étaient importantes, je crois, dans la transformation de la KB pour en refaire la grande banque qu’elle était. »

En 2001, vous êtes donc nommé directeur des ressources humaines à la Komerční Banka. Quelles sont les premières actions que vous avez mises en place ?

« Alors il y avait deux sujets importants. Le premier c’était la transformation de la KB, qui sortait d’une période difficile, de résultats compliqués, dont la privation avait abouti à l’international comme toutes les autres banques tchèques. Il fallait donc restructurer, dans le sens de réorienter les employés vers les tâches telles qu’on voulait les faire et transformer la banque d’une activité administrative à une activité commerciale. Et puis il fallait aussi préparer l’avenir. Le plus compliqué je crois c’était, en même temps qu’on devait restructurer et par exemple limiter les opérations de caisse qui avaient tendance à diminuer très fortement, il fallait recruter des jeunes diplômés parce que c’était l’avenir et qu’on avait besoin de personnes qualifiées. Ce qui a demandé d’énormes efforts de formation, de mobilité géographique et d’apprentissage de nouveaux métiers. »

A ce moment-là, les personnes que vous recrutiez étaient essentiellement des Tchèques ou bien également des étrangers ?

« Le programme de jeunes diplômés qu’on avait mis en place, qui représentait quelques dizaines de jeunes diplômés par an, étaient des diplômés d’écoles supérieures tchèques. Tchèques ou slovaques d’ailleurs, il n’y avait pas de différence. »

En tant que directeur des ressources humaines, quelque chose vous a-t-elle surpris dans les outils de travail ou les manières de fonctionner à la KB, par rapport à ce que vous aviez vu en France, aux Etats-Unis ou en Angleterre ?

Photo: ŠJů,  CC BY-SA 3.0 Unported
« On dit parfois que la banque est le deuxième plus vieux métier du monde. Je ne sais pas si c’est vrai mais la réalité c’est qu’un métier de banquier est relativement similaire, dans ses nombreuses composantes, où que vous le fassiez. Après, tout dépend de son niveau de sophistication, et la KB en Tchéquie et en Slovaquie où on a également une activité était très intéressante de ce point de vue-là car vous aviez à la fois des choses qui correspondaient à un système bancaire d’il y a dix ou vingt ans et d’autres éléments, notamment liés aux activités de paiement par cartes ou de banque par internet qui étaient émergeantes à l’époque, où la KB était très en avance. D’ailleurs, elle a toujours un niveau de banque directe et de banque en ligne qui est à la pointe y compris dans ce que fait le groupe Société Générale. »

« Sur le positionnement marketing et l’utilisation des cartes bancaires, par exemple sur la personnalisation des cartes, les équipes tchèques étaient bien en avance et avaient développé le concept de marketing bien plus rapidement et, de mémoire, j’ai l’impression que c’est eux qui ont appris cela au groupe Société Générale. »

Entre 1998 et 2000, trois grandes banques tchèques ont été cédées à des investisseurs étrangers, alors que durant les premiers temps de la privatisation la participation maximum autorisée du capital étranger était de 25%. Qu’est-ce qui a provoqué, à la fin des années 1990, le déclic de cette ouverture ? C’était nécessairement lié à des besoins, lesquels ?

« Alors, ce que je reconstitue c’est qu’entre la première privatisation des fonctionnaires tchèques et le maintien des banques tchèques dans leur jus local, cela avait abouti à une quasi-faillite du système bancaire tchèque. Investiční a Poštovní Banka a disparu de la circulation, Agro Banka a fait faillite et a été repris par ce qui est aujourd’hui General Electric Moneta, d’autres banques ont fermé. Le gouvernement se retrouvait avec des participations majoritaires dans des banques qui étaient en train de s’effondrer et il a dit : c’est fini on arrête, on laisse entrer des gens qui ont un métier de banquier. Ça a été les Français, les Italiens, les Belges et les Autrichiens, qui ont chacun repris ce qu’ils voulaient et ce qu’ils pouvaient reprendre. J’oubliais, les Américains aussi avec General Electric. La Société Générale avait soumissionné pour essayer de racheter chaque grosse banque qui avait été mise sur le marché, et finalement c’est la Komerční Banka qu’on a repris. »

« La Tchéquie est peut-être petite, il n’empêche que c’est un pays très développé. Le marché était évidemment très intéressant : PIB par habitant relativement important et niveau d’éducation donc de sophistication à la fois de la part des clients et des employés à la hauteur de ce qui est nécessaire pour avoir une activité de qualité. »

« Komerční » en tchèque signifie « commercial » : était-ce une banque davantage tournée vers l’aide à la création d’entreprises ?

Photo: Filip Jandourek,  ČRo
« La façon dont le système bancaire tchèque a été structuré par la Banque centrale en 1989-1990 au moment de l’effondrement du système communiste était la suivante : une banque devait s’occuper des entreprises, c’était la Komerční Banka, une autre plutôt de la banque d’investissement, c’était la Investiční a Poštovní Banka qui a disparu depuis, une banque devait s’occuper du secteur agricole, c’était l’Agro Banka qui n’existe plus non plus en tant que telle, et une dernière devait s’occuper du commerce extérieur, c’est ce qui est devenu la ČSOB. La Caisse d’Epargne (Česká spořitelna) existait déjà, c’était la banque des particuliers. Donc oui, la KB partait d’une activité auprès des entreprises, installées ou en création, et elle a très vite voulu développer, déjà avant son acquisition par la Société Générale, une activité universelle c’est-à-dire auprès des particuliers, des petites entreprises, des artisans, etc. »

D’où, déjà, la réflexion marketing sur la carte à puce…

« La carte est un produit, donc c’est plus l’approche clientèle oui, qui consiste à dire : il y a plusieurs types de clients, donc vous les traitez différemment. Vous ne traitez pas de la même façon un médecin et un particulier salarié parce que leurs besoins ne sont pas les mêmes. C’est ce qu’on appelle des segments de clientèle, et vous devez être capable de vous mettre à disposition de cette clientèle. »

Dans le paysage bancaire tchèque actuel, retrouve-t-on, malgré les bouleversements des années 2000, cette spécificité de la Komerční Banka envers les petites entreprises ?

« Vous avez toujours aujourd’hui cette position de Komerční Banka qui est la banque leader sur le marché des entreprises. Elle est plus forte sur le marché des grandes et moyennes entreprises que sur le marché des petites, même si elle est aussi, je crois, leader sur le marché des petites entreprises. »

Est-ce que la présence d’un groupe financier français est favorable aux entreprises et aux entrepreneurs français qui exercent une activité ici ?

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« Alors je vais vous faire une réponse de Normand que je ne suis pas. La première chose qu’il faut avoir à l’esprit c’est que la Komerční Banka est une banque tchèque au service de la clientèle tchèque. C’est-à-dire que trois quarts des clients qu’on a en entreprises sont des clients d’entreprises tchèques qui travaillent sur le marché tchèque, en import, en export ou sur le marché domestique. La deuxième chose, c’est qu’évidemment il y a aussi une partie de la clientèle qui est internationale, et bien entendu avoir une proximité culturelle avec cette clientèle est très important. On a donc des équipes qui sont spécialisées, capables de traiter avec des clients fussent-ils français, allemands, italiens ou autres. Notre première clientèle internationale, ce sont d’abord des entreprises allemandes parce que les Allemands sont extrêmement présents sur le marché tchèque. Evidemment pour les entreprises françaises qui ont des activités ici, la capacité à pouvoir communiquer à la fois avec les équipes locales et les équipes qui gèrent le groupe international est quelque chose qui aide énormément et qui nous permet de les accompagner aussi efficacement que possible. »

La présence de banques étrangères favorise-t-elle ou perturbe-t-elle la stabilité économique des pays d’accueil ?

« Les banques étrangères ont été, suite aux problèmes des années 1990 jusqu’à 2000, facteurs de stabilisation et de solidité du système bancaire tchèque tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Ce système bancaire a beau être aujourd’hui propriété d’entreprises internationales, il est d’une grande qualité et d’une grande solidité. »

J’ai l’impression à travers tout ce que vous dites que le système bancaire tchèque est un modèle.

Photo illustrative: adamo / FreeDigitalPhotos.net
« C’est en tout cas un système qui a beaucoup appris des errements et des problèmes des années 1990, et je crois que c’est resté dans le fonctionnement des banques, de leur régulateur et du gouvernement. Vous regardez le système bancaire slovène aujourd’hui, il a d’autres difficultés car tout le système n’a pas été réorganisé dans le sens étymologique du terme : organiser de nouveau, comme il l’a été en République tchèque. Chacun des actionnaires en République tchèque a mis de l’ordre et de la structure dans son établissement, au service d’une clientèle. Donc oui, aujourd’hui, le service bancaire tchèque est un îlot de stabilité dans un environnement parfois compliqué. »