De la psychédélie tchéco-américaine
Dans notre nouvelle émission musicale, nous vous offrons une perle rare, sous forme d’un musicien globetrotter tchèque, qui a passé plus de la moitié de sa vie à sillonner les États-Unis. Kamil Krůta, alias Jameel Abdul Kebab est le seul chanteur, guitariste et compositeur, qui se cache derrière le projet Koonda Holaa, un one man band, aux sons proches du country psychédélique et à la voix douce d’un Far West éloigné. En compagnie de Radio Prague, Kamil en a révélé davantage sur sa vie en exil et sur ses expérimentations musicales.
« Je suis allé à Munich pour expérimenter le monde libre, mais on m’a tout de suite fait savoir que ce monde n’est pas vraiment fait pour moi, et que je dois attendre en file pour pouvoir en profiter. C’est une des raisons principales pour laquelle j’ai décidé de bouger aux États-Unis, car j’avais l’impression que toute la musique qui m’était chère, provenait des États-Unis. Puis il y avait aussi cette sorte de ‘promesse’, d’après laquelle chacun pouvait y être son propre « self-made-man ». Et, de ce fait, le lieu d’origine importait peu. Et c’était vrai. Lorsque je suis arrivé aux Etats-Unis, cela n’avait absolument aucune importance si j’étais Tchèque ou Russe. Personne ne s’en souciait. »
Après avoir joué avec plusieurs groupes dans son pays natal, comme le groupe punk rock tchèque F.P.B. – Čtvrtá cenová skupina, ou aussi appelé Fourth Price Band, créé en 1980, il va conquérir le monde avec ses premières bases musicales. Toujours plus tenté par de nouveaux lieux, Kamil traverse l’Atlantique, pour rester aux États-Unis plus de vingt ans. Même s'il est originaire de la ville de Teplice, il ne peut cacher son « internationalisation », notamment en ayant parlé en anglais tout au long de notre entretien.« Je crois que lorsque l’on est originaire d’un petit pays, et la République tchèque peut être considérée comme un petit pays, on se voit obliger, en quelque sorte, de quitter le pays et voir d’autres endroits de ce monde. Les expériences des petits pays sont souvent limitées à nos proches, aux personnes qui appartiennent au même groupe. Nous sommes tous un peu apparentés les uns aux autres ici. Dans les petites villes, on se connaît tous les uns des autres. Ce n’est plus du tout la même chose, si on se rend à Los Angeles ou à New York. C’est un ensemble beaucoup plus grand qui y rassemble cette société humaine. C’est quelque chose qu’il faut apprendre. Ce n’est pas concevable en République tchèque. »
Mais qu’est-ce qui l’a poussé à rejoindre les États-Unis ?
« La situation d’aujourd’hui est différente par rapport à celle d’il y a plus de vingt ans. Je suis arrivé aux États-Unis en 1992, et à cette époque vivre en Europe était complètement différent par rapport à vivre aux États-Unis. La vie y était facilitée d’une toute autre manière. On avait des opportunités que l’on ne pouvait pas avoir dans des pays européens, et plus particulièrement parce que l’on était originaire de l’Europe de l’Est. Il y a vingt ans, il ne nous était pas permis de vivre en France, ou d’y travailler. Il fallait y rester de manière illégale. Donc, on se retrouvait toujours à la périphérie de la société. On y était obligé, il n’y avait pas de choix. »Aux États-Unis, le musicien Kamil Krůta, collabore notamment avec The Stooges, The Residents, ou Lydia Lunch. C’est dans le cadre de sa première tournée solo, qu’il arrive en France en 2003. Après de nombreux va-et-vient réguliers, il s’installe avec sa famille en banlieue parisienne en 2008, plus précisément à Ivry sur Seine, où il se joint au collectif Sans Plomb. Selon ses propres mots, Kamil découvre la France comme un pays riche en humanité, où les mots Liberté, Egalité et Fraternité n’ont pas perdu de leur valeur.
Dans le cadre de sa tournée tchèque au mois d’octobre dernier, une des premières après dix ans d’absence, Koonda Holaa s’est arrêté dans près d’une trentaine de villes tchèques. Si ce projet aux sons proche d’une musique dark country western est l’aboutissement de différentes expériences, il ne semble toutefois pas vouloir s’endiguer dans un sentier préétabli. L’indépendance musicale progressive constitue peut-être bien une des raisons de ce que Koonda Holaa est resté un projet solo :« Il est difficile de partager cette expérience avec d’autres gens, car je n’ai pas vraiment l’envie de créer de ‘disciples’. Je ne crois pas que je comprenne encore vraiment ce qu’est la vie. Et je suis toujours en train de chercher. Et voilà comment je m’y prends maintenant. Je joue tous les soirs, et j’observe ce que cela fait aux gens, ce que cela me fait à moi. Et c’est entre ces deux mondes que je me reconnais le plus. »
Dénonçant notre tendance à calculer la vie de tous les jours, Kamil justifie son non-conformisme par un optimisme inégalable. Koonda Holaa est alors un projet qui continue d’évoluer à sa manière. A propos de sa musique, et de l’histoire de la country, importée aux États-Unis par différentes nations européennes, Kamil a précisé :
« Il y a avait une country musique joyeuse, puis il y avait une country qui était plus spirituelle, mélancolique, comme Johnny Cash, dont pratiquement toutes les chansons parlent de combats et d’épreuves. Je vois ma musique de la même manière. Je crois que l’on est un peu prédisposé à être mélancolique en République tchèque, alors ma musique est mélancolique. Je ne dirais pas ‘déprimée’, parce que je me bats pour des jours meilleurs, je n’abandonne pas. Mais je vois l’obscurité, je vois les souffrances que le monde provoque auprès des gens. J’y vois l’inutilité de la chose aussi, car c’est tout à fait contradictoire au progrès. Et c’est aussi de cela que parle ma musique. »