De Novotny à Husak : rouages et créatures du régime communiste tchécoslovaque

Gustav Husak

Il y 38 ans, en janvier 1968, le Printemps de Prague prenait un tour nouveau, menaçant de balayer le rôle dirigeant du Parti Communiste Tchécoslovaque. Le résultat sera le remplacement d'un conservateur par un autre et la fin de nombreux espoirs. Le remplacement de Novotny par Husak illustre parfaitement les méthodes du régime, faites de trahison, d'opportunisme et de tactique politique. Immersion, aujourd'hui, dans les rouages du régime communiste.

Président du pays depuis 1957, Antonin Novotny aura scellé sa carrière à la personnalité de Khrouchtchev. Il appliquait d'ailleurs les nombreux conseils que lui prodiguait le numéro un soviétique pour consolider son pouvoir : tenir en échec ses concurrents au sein du Parti, constituer des équipes formées de personnes réciproquement hostiles, acheter la loyauté de ses collègues par des avantages pécuniaires. Chaque mois, de petites enveloppes blanches rétribuent la fidélité des membres dirigeants du PCT.

A partir de 1967, la contestation anti-Novotny prend une ampleur considérable, venant aussi bien du Parti que de la population. Il faut souligner la position originale de Novotny, pris, au sein du Parti, entre le feu des réformistes libéraux qui lui reprochent son conservatisme et les durs du Parti, qui l'accusent de faiblesse face à la libéralisation de la société.

Bercé par l'illusion de son inamovibilité, Novotny se défend maladroitement. C'est particulièrement vrai pour ses attaques contre les « rouspéteurs slovaques », où il emploie un langage nationaliste. Ceci ne fera que dresser contre lui les membres slovaques du Parti, dont deux vont lui succéder, Dubcek et Husak.

Nikita Khrouchtchev
Brejnev, qui remplace Khrouchtchev à la tête du PCUS en 1964, soutient Novotny dans un premier temps, avant de décider son remplacement. Parmi les raisons possibles du désaveu, il y a sans doute l'audace avec laquelle Novotny avait, seul parmi les dirigeants du bloc soviétique, critiqué le départ de Khrouchtchtev. La conséquence en avait été le remplacement de l'ambassadeur soviétique à Prague. Bien sûr, Novotny s'était rapidement plié à la nouvelle ligne, se montrant bientôt un exécutant docile des volontés du Kremlin. Il donne même son accord à l'installation de bases de lance-missiles soviétiques à la frontière occidentale. Mais ce qui fut une maladresse de plus qui n'avait pas effacé la rancune de Brejnev.

Celui-ci se rend à Prague fin 1967. Deux jours après, Novotny réunit le Présidium du Comité central, pensant régler les litiges au sein du Parti. Le nouveau cours se dessine. Et les nouveaux valets de l'URSS l'accablent de critiques. Parmi eux figurent ses anciens alliés, dans une logique intrinsèque au régime : Kolder ou encore Hendrych, qui était son plus proche collaborateur, sans compter ses anciens courtisans, qui font désormais semblant de ne pas le connaître. Voilà pour les «moscoutaires» du PCT.

Les partisans du Printemps de Prague avec Dubcek à leur tête demandent également le départ de Novotny, au nom de la réforme libérale et de la révision incomplète des procès politiques des années 50. Parmi eux, le Slovaque Gustav Husak fait figure de véritable pourfendeur du pouvoir. Vieil ennemi de Novotny, il saisit enfin l'occasion de prendre sa revanche lors d'une réunion du Comité central. Ecoutons le témoignage de Karel Kaplan, historien et acteur de premier plan du Printemps : «Chaque mot qui sortait de sa bouche était lourd d'une haine condensée. Chaque phrase ressemblait à une lame de couteau pour tailler Novotny en pièces. »

Beaucoup parmi les réformistes du Parti s'inquiètent du réquisitoire de Husak, dont la dureté et le contenu évoque plutôt les années 50 que celles du Printemps. Ils n'ont pas tort...

Passant pour un fervent partisan du Printemps de Prague, Husak dispose, dans les premiers mois de 1968, d'une conjoncture favorable. La population et les membres réformateurs du Parti sont fatigués des tensions au sein du Parti. S'il est très populaire, Dubcek n'est pas un politicien aguerri et beaucoup pensent que son remplacement par Gustav Husak représente un moindre mal. On ne sait pas que Moscou a déjà choisi Husak pour incarner le nouveau cours.

Certains membres du Comité central se méfient, mais, rappelons-le, Husak reste une figure du Printemps de Prague aux yeux de beaucoup. Ainsi Milan Hubl, porte-parole des intellectuels et acteur de premier ordre du Printemps de Prague. Hubl se prononce en faveur de la candidature de Husak, rappelant leur collaboration dans le mouvement d'opposition à Novotny. Dans les années 60, Hubl avait d'ailleurs favorisé la cause de Husak au sein des milieux intellectuels tchèques. Seul bémol : Hubl suggère à Husak plus de tolérance politique envers ses détracteurs. Quelques mois plus tard, le Comité central décide une procédure judiciaire contre Hubl, qui est condamné à cinq ans de prison. L'illusion de la continuité du Printemps de Prague a vécu.

Gustav Husak était passionné par le pouvoir et on peut se demander à quel point son engagement dans le Printemps de Prague était sincère. Ses mobiles relevaient sans doute plus de considérations personnelles (revendications slovaques) que d'une recherche de libéralisation. Sa lutte contre Novotny pour la prise de pouvoir semble avoir été sa principale motivation. Plus troublant fut sans doute le retournement total de certains partisans du processus de démocratisation face au nouveau cours. Cernik, Bilak, Kolder ou Svobodova auront fortement déçu les membres du Parti qui croyaient encore, comme Karel Kaplan, Karel Kosik ou encore Josef Smrkovsky.