Décès de Viktor Fainberg, dissident soviétique opposé à l’écrasement du Printemps de Prague
Né à Kharkiv, Viktor Isaakovitch Fainberg est mort en ce début d’année 2023 à l’âge de 91 ans après avoir dénoncé en URSS puis en exil les crimes du Kremlin.
Nombreux sont les hommages à Prague depuis l’annonce mardi soir du décès de celui connu ici comme l’un des « huit courageux », l’une de ces huit personnes à l’immense bravoure qui à l’été 1968 ont osé protester sur la place Rouge contre l’invasion de la Tchécoslovaquie. 50 ans après, en 2008, Viktor Fainberg s’était souvenu sur notre antenne de cette journée du 25 août à Moscou, quatre jours après l’arrivée des chars soviétiques à Prague :
« J’ai pensé que la seule réaction possible à cet acte barbare serait une manifestation à Moscou. J’étais absolument sûr que les dissidents moscovites avaient la même opinion et les mêmes sentiments que moi. J’habitais la ville de Pavlovsk et je suis allé à Moscou où j’ai rencontré mes amis et participé à cette manifestation sur la place Rouge, devant la cathédrale Saint-Basile. Ce jour-là, il faisait très très chaud, 38 degrés. La place Rouge était pleine de touristes. Nous avons lancé des slogans – Dehors de Tchécoslovaquie ou Pour votre et notre liberté… La huitième participante, c’était une très jeune fille, Tatiana Bayeva, mais mes amis l’ont persuadée de dire qu’elle était par hasard là-bas et ainsi, elle a pu être libérée. Une minute ou deux après, j’ai reçu des coups, perdu immédiatement quatre dents et ma chemise étaiet pleine de sang. Les hommes du KGB étaient très en colère et avaient en même temps très peur, car ils étaient responsables de la manif… »
« Mes camarades ont été jugés et condamnés à des camps de travail, tous sauf Natalia Gorbanievskaïa, parce qu’elle avait deux petits enfants. Mais elle a tout de même était emprisonnée un an plus tard quand elle a écrit un livre sur la manifestation et sur ses conséquences… Moi, j’ai été envoyé de la prison de KGB dans un établissement psychiatrique où il y avait un département spécial pour les gens qui ont été arrêtés par le KGB. Après un mois d’observations, une commission étroitement liée au KGB a donné un diagnostic. C’était presque toujours le même diagnostic : schizophrénie, syndrome paranoïaque. Puis, je suis allé dans un établissement psychiatrique spécial à Leningrad qui était destiné à des gens souffrant de maladies mentales graves et dangereuses. Sous Brejnev et même bien longtemps avant, il était utilisé pour les dissidents. C’était le bâtiment d’une vieille prison avec un personnel de prison – officiers et soldats du ministère de l’Intérieur – 750 prisonniers dont douze personnes qui étaient jetées là-bas pour des raisons politiques et qui étaient absolument sains, bien sûr. Et elles étaient traitées de la même manière que les gens malades – injections, médicaments etc. Les gens qui étaient là-bas n’avaient aucun droit. Ils étaient considérés comme des gens mentalement malades, donc non responsables. »
« Je suis attristé par la nouvelle du décès de Viktor Fainberg, qui était l'un des huit braves qui s'opposèrent publiquement à l'occupation de la Tchécoslovaquie à Moscou en août 1968 », a déclaré le Premier ministre tchèque Petr Fiala, qui considère aussi que « son acte héroïque a un impact sur le présent et nous devons remercier tous les courageux citoyens russes qui protestent aujourd'hui contre l'invasion russe de l'Ukraine ».
Interné plus de cinq ans avant d’émigrer en Israël puis en France, Viktor Fainberg, tout en fondant une Campagne contre les abus psychiatriques à des fins politiques, n’a jamais cessé son combat pour dénoncer les méthodes du Kremlin. Le 25 août 2015, 47 ans après la célèbre manifestation moscovite, il dénonçait les verdicts prononcés par la justice russe notamment contre le réalisateur ukrainien Oleh Senstov.
A cette époque, il voyait dans l’abandon de l’Ukraine un parallèle avec l’abandon de la Tchécoslovaquie : « l'Europe a oublié ce que lui a coûté la trahison de Munich », déclarait sur RFI Viktor Fainberg, qui de manière prémonitoire ajoutait : « Cette répression au sein d'un État totalitaire est extrêmement dangereuse pour le monde, car ils préparent la guerre ».
Sur son site, le Kharkiv Human Rights Protection Group rappelle que Viktor Fainberg était né à Kharkiv et que dans sa lettre de 2015 à Nadiya Savchenko, alors en grève de la faim dans une prison russe, il a écrit : « La première nature que j'ai vue, les premières chansons que j'ai entendues, c'étaient la nature et les chants de Mère Ukraine ».
Dans son hommage à Viktor Fainberg, le ministère tchèque des Affaires étrangères estime que « son héritage reste très pertinent dans l’actuelle période turbulente ». En 2018, le ministère lui avait remis ainsi qu’aux deux autres survivants de la Place rouge - Tatyana Bayeva et Pavel Litvinov - le Prix Gratias Agit.
Sur les réseaux sociaux, la dernière photo postée par Viktor Fainberg était un cliché pris lors d’une manifestation pour l’Ukraine à Prague en octobre dernier avec le slogan « Défense aérienne – un parapluie pour l’Ukraine ».