Des crypto-anarchistes du monde entier réunis à Prague pour « sortir du système »

6e édition du Congrès des hackers

Comme chaque année depuis 2014, la 6e édition du Congrès des hackers a réuni, le week-end dernier à Prague, plus de 600 défenseurs de la liberté et passionnés de technologies. Capitale internationale du bitcoin, Prague est la ville dans le monde qui compte le plus grand nombre de commerces autorisant les paiements dans cette monnaie dématérialisée.

6e édition du Congrès des hackers

Trois jours durant, conférences, échanges et workshops se sont succédés au sein d’un « monde parallèle » - Paralelní Polis en tchèque -, dans un immeuble à la façade entièrement noire portant l’inscription « Institut de crypto-anarchie ». En préambule, Pavol Lupták, le cofondateur du congrès, a rappelé le thème de cette année: « opt-out », comprenez « sortir du système ».

6e édition du Congrès des hackers à Paralelní Polis,  photo: Camille Montagnon
« Les systèmes démocratiques que nous connaissons, ne nous permettent ni de gagner en liberté, ni de rendre la société plus libre. Pour autant, il ne faut pas désespérer, car Internet a permis de connecter des millions de personnes différentes qui aspirent à la même chose : la liberté. Ce que l’on essaie de faire, c’est de rassembler toutes ces personnes afin de leur montrer comment il est possible de créer une société plurielle et de sortir du système. »

Réputé pour avoir été le premier café au monde à n’accepter que des crypto-monnaies, Paralelní Polis accueille chaque année le Congrès international des hackers, dont le crypto-absolutiste et extrémiste de la vie privée Smuggler est un habitué :

« Le crypto-anarchisme participe à une stratégie dont le but est, d’une certaine façon, d’acquérir plus de liberté. C’est différent de la plupart des autres anarchismes parce qu’en fait, il ne s’agit pas d’attaquer des systèmes de pouvoir, de recréer un système de domination ou autre, mais plutôt d’ébranler cette domination. »

En 1978, le dissident anticommuniste tchèque Václav Benda avait créé le concept de « Paralelní Polis » en lien avec le mouvement de la Charte 77. Dans son essai éponyme, Benda estimait que la lutte contre un gouvernement est illusoire, en raison du rapport de force inégal qu’elle implique. L’idée n’est donc pas de détruire les institutions en place mais de créer un système et une société parallèles qui, à terme, les rendraient obsolètes.

Smuggler,  photo: Pavel Šinágl,  @rbullcz on Instagram / Paralelní Polis
Intégralement vêtu de noir, le regard dissimulé par des lunettes teintées et le visage à demi couvert par un foulard, Smuggler explique comment il parvient à s’extraire de la surveillance du Big Brother 2.0 :

« Je n’ai pas Facebook, j’ai un smartphone, mais il est éteint la plupart du temps, je préfère payer en cash quand c’est possible, et habituellement je porte ce masque. »

Au total, le congrès a rassemblé plus de quarante intervenants spécialisés dans des disciplines variées telles que les neurosciences, l’écologie, l’économie, le droit... Les crypto-monnaies ont, elles aussi, beaucoup fait parler d’elles durant ces trois jours, adoptées par la plupart des participants tels que le spécialiste de la protection des données Paul Rosenberg. Pour ce crypto-hippie, ces monnaies virtuelles entièrement ou partiellement intraçables nous permettraient, en renforçant le respect de la vie privée, d’échapper à la gouvernance des institutions politiques, numériques et financières :

Paul Rosenberg,  photo: Pavel Šinágl,  @rbullcz on Instagram / Paralelní Polis
« Les crypto-monnaies sont des monnaies qui ne sont pas contrôlées par la sphère politique et qui ne peuvent être ni stoppées, ni générées par quelque leader que ce soit et qui serait aux manettes. »

Dans cette société plus libre plébiscitée par Rosenberg et tant d’autres, c’est la technologie de la « blockchain » qui permet des échanges sécurisés et décentralisés, rendant caduque toute tentative de contrôle de la part des administrations classiques – les banques au premier chef.

« La décentralisation est un bien meilleur modèle pour l’homme. La centralisation, dans tous les cas qui me viennent à l’esprit, mène à la tyrannie: c’est une hiérarchie qui use de la force pour que tous ceux qui n’en font pas partie, fassent ce qu’elle demande. C’est fondamentalement un mauvais modèle, qui endoctrine et dégrade les individus. »

Une réflexion que partage le créateur de la société ERA Mark Nadal, spécialisé dans la décentralisation et la technologie :

Mark Nadal,  photo: Pavel Šinágl,  @rbullcz on Instagram / Paralelní Polis
« La décentralisation est importante à mon sens parce qu’il nous faut faire face aujourd’hui à des monopoles comme Facebook ou Google, qui sont capables d’abuser de leur pouvoir, ce qui est injuste pour nous, citoyens et utilisateurs des nouvelles technologies. D’après moi, la décentralisation est un moyen non seulement de restaurer la justice sur Internet, mais aussi de rompre avec les abus et la manipulation auxquels nous sommes confrontés. »

Le mathématicien américain insiste sur la nécessité de démocratiser ce concept de décentralisation, qui pourrait, dit-il, « changer votre vie et créer une société plus juste, plus libre et plus honnête ».

Si vous n’êtes pas initié aux crypto-monnaies, sortir du système commence par l’achat d’un café en bitcoin. Assisté par l’un des membres de Paralelní Polis, vous pourrez crypter votre monnaie en moins d’une minute, vous familiarisant ainsi avec ce que les crypto-anarchistes considèrent comme la monnaie de l’avenir. Un avenir plus proche que ce que l’on croit puisqu’une centaine de pays, dont la République tchèque, reconnaissent et ont légalisé le bitcoin, comme nous l’a expliqué Paul Rosenberg :

« A peu près partout, la régularisation du bitcoin est un peu incertaine, parce que c’est une nouvelle chose qu’on se sait pas forcément comment appréhender. L’exemple des Etats-Unis est probablement le meilleur que je connaisse : l’Etat veut gagner de l’argent en taxant les crypto-monnaies. Cela veut dire qu’il ne peut pas les rendre tout à fait illégales du fait de l’intérêt qu’ils ont à les taxer ! Mais en même temps ils sont effrayés à l’idée de les légaliser complètement parce qu’elles pourraient remplacer le dollar. Vous savez, le dollar est le maître du monde actuellement, mais ça ne durera pas toujours. »