Des Fourberies de Scapin aux aventures de Don Quixote
Le spectacle « Don Quixote », présenté à Prague au début du mois d’août dans le cadre de la 13e édition des Fêtes d’été de musique ancienne par une troupe française en collaboration avec un compositeur et des musiciens tchèques et slovaques, est le deuxième projet d’improvisation théâtrale et musicale franco-tchéco-slovaque mené à bien par Jana Semerádová, directrice du Collegium Marianum de Prague et Bastien Ossart, metteur en scène et acteur. La particularité de la pièce est tout d’abord d’être une adaptation d’un texte qui n’est, à l’origine, pas destiné au théâtre et qui, surtout, est l’un des textes les plus complexes de la littérature mondiale. De plus, les trois acteurs, Bastien Ossart, Julien Cigana et Benjamin Egner, se partagent les rôles des deux protagonistes et des personnages qu’ils rencontrent sur leur chemin. En mêlant jeu des acteurs, danse, chant, musique et ombres, la troupe Scapinové nous entraîne dans un monde d’aventures avec pour guide le duo inséparable de Don Quixote et Sancho Panza. Bastien Ossart, metteur en scène de ‘Don Quixote’ est revenu au micro de Radio Prague sur les conditions de création de la pièce :
« J’ai choisi ‘Don Quixote’ pour une raison particulière. Bien sûr, le roman possède de nombreuses profondeurs de champ, mais la principale raison, c’est le lien qui unit Don Quixote et Sancho Panza pendant tout le roman. Ce sont deux personnes qui partent ensemble sans se connaître, qui sont surtout extrêmement opposés l’un à l’autre et qui finissent par devenir inséparables parce qu’ils partent à l’aventure, mais qui, lorsqu’ils sont séparés, se manquent l’un à l’autre. On se rend compte que les différences qui les caractérisaient au début du récit deviennent une richesse incroyable. C’est notamment pour cette raison que j’ai choisi cette œuvre. Ensuite, il y a toutes les variations possibles, la quête d’absolu de Don Quixote qui reste une donnée qui me touche beaucoup parce qu’effectivement nous vivons dans un monde très pragmatique, mais il y a ce personnage un peu fou qui nous dit que tout est possible, parce que Sancho et lui partent à l’aventure malgré leur absence de moyens et d’armes. Cette quête d’absolu de Don Quixote était pour moi très importante. »
Comment avez-vous réussi à adapter le livre ?
« Cela n’a pas été facile. J’ai fait une première adaptation dans laquelle je me suis surtout attaché à la relation entre Don Quixote et Sancho Panza, qui a été mon fil conducteur. Dans ce roman, il y a des dizaines et des dizaines de personnages que Don Quixote et Sancho croisent, mais c’est à leur relation entre eux deux que je me suis attaché. Puis, les répétitions sont arrivées et elles ont un peu bouleversé l’ordre des choses et j’ai donc fait une autre adaptation en gardant toujours ce fil conducteur. L’adaptation a fait bouger le texte original. »Comment faites-vous pour jouer cette pièce à trois ?
« D’une part, Don Quixote et Sancho, les deux personnages phares, on se les passe les uns les autres. Ce n’est jamais le même Don Quixote ni le même Sancho, on les joue chacun son tour. Et puis il y a une petite galerie de six autres personnages qui sont comme des témoins qui viennent raconter ce qu’ils savent de ces deux compagnons. Certains sont pour eux, d’autres contre eux. Ce sont des personnages hauts en couleur que l’on se partage. Tout le long du spectacle, il y a Don Quixote et Sancho et au milieu, de temps en temps, il y a la gouvernante de Don Quixote, le meilleur ami de Sancho, un aubergiste accompagné d’une prostituée, etc. »
Dulcinée apparaît-elle ?
« Dulcinée, non. D’une part parce qu’elle arrive tard dans le roman, à la fin du tome II, et dans l’adaptation, je ne suis pas allé si loin. Je me suis servi de quelques passages du tome II, mais il y a certains passages que je n’ai pas pu adapter, sinon le spectacle aurait duré 18 heures. Et Dulcinée, on ne la voit pas aussi pour une simple raison, c’est que Don Quixote ne la verra jamais. »Quelle est la place de la musique dans la représentation théâtrale ?
« Elle est extrêmement importante. D’une part, parce qu’avant même que l’on se retrouve pour répéter tous ensemble, j’étais déjà venu plusieurs fois à Prague pour réfléchir à la place de la musique dans le spectacle. Ce n’est pas un énième personnage. Les musiciens accompagnent l’action musicalement ou par des bruitages et des ambiances. Stanislav Palúch qui a composé la musique a composé de vrais thèmes : il y a le thème de Sancho, le thème de Quixote, c’est un peu comme dans les films dans lesquels Ennio Morrricone compose un thème pour le gentil et un thème pour le méchant. »
Le répertoire a été créé pour cette pièce ?
« Absolument. »
Y a-t-il des marionnettes ?
« C’était une idée de départ, mais avec les répétitions cela nous semblait compliqué. Dans ce que l’on souhaitait raconter, la marionnette n’avait pas tellement sa place. En revanche, il y a un peu de théâtre d’ombres. On se sert de l’ombre pour caractériser certaines scènes. »Quelles sont vos influences ?
« Il y en a plusieurs. D’une part, j’avais envie que la place de la dimension chorégraphique soit très présente parce qu’on est que trois, et qu’à trois, le meilleur moyen de signifier ou d’ouvrir l’imaginaire, c’est de donner une place importante à la chorégraphie. Je dis ‘chorégraphie’ mais nous ne sommes pas des danseurs. La scène des moulins à vent, par exemple, est chorégraphique : on a juste quelques bouts de tissus et nous, à trois, qui signifions les moulins et Don Quixote qui se fait emporter par les moulins. Mes influences sont diverses, l’idée des moulins par exemple m’est venue d’une image que j’avais vue dans un spectacle de James Thierrée il y a quelques années, ensuite la dimension relevant du théâtre dans le théâtre et de la manière d’ouvrir l’imaginaire du spectateur, c’est toute l’influence du théâtre indien kathakali. »
Quel est votre rapport avec la République tchèque ?
« Depuis 2007, nous venons travailler régulièrement ici. On avait monté le spectacle ‘Scapinové’ il y a quelques années. Il y a un an et demi, avec le Collegium et Jana Semerádová, on a décidé de monter ‘Don Quixote’ parce qu’on sentait qu’il était important que l’aventure entre nous continue. Nos rapports avec la République tchèque sont très bons et ils risquent de se poursuivre après ‘Don Quixote’. »Le spectacle continue-t-il en République tchèque ?
« Pour l’instant, on ne sait pas. On aimerait bien parce qu’avec ‘Scapinové’, on est allés jouer du côté de Brno. On va aller jouer à Bratislava en février, mais l’idée c’est qu’il y ait toujours une alternance entre la France et la République tchèque, c’est très important pour nous. »
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
« J’ai commencé à y penser il y a quelques jours : ça serait ‘L’affiche rouge’. ‘L’affiche rouge’, c’est l’histoire d’un groupe de résistants pendant la Seconde Guerre mondiale en France. Ils étaient vingt-trois dans ce groupe, de nationalités diverses, certains étaient Polonais, Italiens et Arméniens, etc. Ils avaient la particularité d’être tous Juifs. Ils se sont battus pour la libération de la France, se sont faits arrêtés par la Gestapo et ont tous été fusillés sur le Mont Valérien. Bien sûr, l’histoire en elle-même est importante, mais cela m’est venu parce que Louis Aragon, que j’aime beaucoup, a écrit un poème qui s’appelle ‘L’affiche rouge’. On nomme cette affiche ‘L’affiche rouge’ parce que sur tous les murs de Paris à cette époque là, les nazis avaient affiché une affiche qui était de couleur rouge avec la tête de tous les membres de ce groupe de résistance et il était écrit qu’ils étaient les mauvais et qu’ils avaient été arrêtés. Aragon a écrit un poème extraordinaire qui est issu d’une lettre du leader de ce groupe de résistance, qui s’appelait Missak Manouchian. Il a écrit une lettre absolument magnifique à sa femme, au moment de mourir, juste avant d’aller se faire fusiller, dans laquelle il dit qu’il meurt sans haine pour le peuple allemand et qu’il faut continuer à vivre, parce que la vie est magnifique. Les hommes, quand ils sont unis - c’est un peu mon thème de prédilection - peuvent tout traverser, même la mort. Dans ce cas en l’occurence, il va vers la mort très tranquillement. »