Des synagogues baroques - témoins de l’histoire de la communauté juive sur notre territoire
L’histoire des synagogues est au coeur d’une exposition proposée depuis le 3 mars par la galerie Guttmann à Prague. Intitulée „Synagogues baroques dans les pays tchèques“, l’exposition découvre les destinées de ces constructions, depuis le XVe jusqu’au XXe siècle. Des centaines de synagogues ont été vouées à l’abandon, 71 détruites pendant la guerre, plus d’une centaine ont disparu sous le régime communiste. Le projet documente le passé et le présent de 23 synagogues baroques qui ont été restaurées après 1989 grâce aux soins des communautés juives tchèques et moraves auxquelles elles ont été restituées. Radio Prague s’est entretenue avec Arno Pařík, commissaire de l’exposition.
A la campagne, la plupart des synagogues étaient des synagogues de bois aujourd’hui inexistantes. A part les 23 synagogues baroques préservées et présentées dans la galerie Guttmann, il existe d’autres synagogues, 25 ou 30, transformées au fil du temps en logements ou désaffectées au point qu’il n’est plus possible de les réhabiliter dans leur état d‘origine. Ces 23 synagogues sont un témoin de l’histoire qui fournit un regard sur le passé et la vie des communautés juives dans notre pays, ainsi que le raconte Arno Pařík:
« Car les synagogues ont été un important centre de la communauté juive, pas seulement le lieu du culte et des offices, mais aussi un lieu de rencontres où la communauté se réunissait, où des fêtes, des mariages, des naissances, des circoncisions et d’autres événements communautaires étaient célébrés. En même temps, c’était le lieu de représentation personnelle: en témoignent des objets de culte qui faisaient partie de chaque synagogue et qui portent tous une dédicace. C’est une spécificité de ces objets. Ces dédicaces nous disent par qui ou à qui ces objets ont été offerts, par exemple à l’occasion de la naissance d’un enfant, à des fins de guérison ou de secours. »Les synagogues préservées ainsi que les objets de culte provenant des synagogues disparues sont une source de connaissance précieuse et une occasion unique pour notre génération de découvrir le passé. C’est le cas des synagogues peintes qui constituent la partie la plus précieuse du patrimoine juif. Arno Pařík en parle plus en détails:
« Les synagogues peintes se trouvent en grand nombre notamment en Moravie – à Boskovice, Holešov, Třebíč, Dolní Kounice, et partiellement aussi en Bohême. Les plus précieuses sont les synagogues à quatre colonnes intérieures ce qui est la manifestation la plus originale de l’architecture synagogale dans l’histoire qui apparaît au milieu du XVIIe siècle en Galicie, en Pologne de l’est et en Ukraine occidentale. Cette structure architectonique correspond à la base même du culte, à savoir la lecture de la Torah. L’endroit surélevé en forme de dais, appelé baldaquin pour pupitre de Torah repose sur des supports verticaux, en général au nombre de quatre. Ce principe est mis en valeur lors de la construction de grandes synagogues des communautés est-européennes jusqu’au début du XXe siècle. »Le style baroque a beaucoup influencé la forme des objets de culte juif - textile et argent en premier lieu. Le baroque a influé sur l’architecture des synagogues, sur leur décoration et leur aménagement intérieur. A part les grandes synagogues praguoises de style Baroque précoce, comme la synagogue Klaus érigée en 1694, la synagogue Nová construite en 1703 et démolie en 1898 ou Cikánova élevée en 1701 et détruite en 1906, des synagogues à quatre colonnes sont élevées également à Kolín (1696) ou à Polná (1682). L’association de mots « synagogue baroque » suscite l’étonnement, on se demande qu’est ce qu’il y a de commun entre le Baroque et les Juifs, observe Arno Pařík:
« Le baroque est la doctrine de propagation officielle de l’Eglise catholique, assez offensive, liée à une série d’actes hostiles aux Juifs. Rappelons le cas de Simon Ábeles, juif praguois converti en Jésuite et inhumé à Notre-Dame de Týn, et le procès contre ses prétendus assassins qui seraient ses proches. Les Jésuites ont alors joué un rôle très actif dans ce procès. Rappelons ensuite les tentatives de l’Etat de contrôler et de limiter de façon drastique l‘importance de la population juive au sein de la monarchie habsbourgeoise. La loi dite de famille, adoptée au début du XVIIIe siècle, est restée en vigueur jusqu’en 1848. De même, le décret dit de translocation de 1726 stipulait le déménagement des Juifs à la périphérie des villes, la démolition des synagogues et leur construction à un autre endroit, dans la banlieue des communes, afin que leur existence ne perturbe pas le déroulement des processions et des fêtes de la religion officielle. »Comme le souligne dans ce contexte le commissaire de l’exposition, la situation en Bohême a été toutefois bien différente de celle de la Moravie :
« En Moravie, et c’est très intéressant, la double expulsion des Juifs ne s’est pas manifestée. La noblesse morave, forte et autonome, a protégé ses Juifs en sorte que les problèmes de déménagement qu’a connus la Bohême n’ont pas concerné la Moravie. Les familles nobles moraves comme les Kounic, les Dietrichstein et autres, étaient plus proches de Vienne et les restrictions ne les touchaient pas de si près. Depuis déjà le XVIe siècle, les communautés juives installées dans les petites villes seigneuriales moraves vivaient dans un milieu relativement stable et économiquement favorable. »Le plus grand nombre de synagogues sauvegardées ont été érigées après 1850 et symbolisent la nouvelle étape dans la vie des Juifs après leur émancipation. Y a t-il quelque chose de typique pour le style baroque des synagogues élevées en Bohême et en Moravie, voilà la dernière question posée, pour conclure, à Arno Pařík:
« De même que dans toutes les périodes de l’histoire, les synagogues qui ont fait leur apparition déjà en Babylonie, et avant le début de notre ère en terre d’Israël et qui se sont multipliées ici jusqu’au VIIe siècle, étaient construites dans le style courant de l’époque, même si ce n’est pas l’entière vérité. Le facteur déterminant pour chaque type de construction, c’est le principe du culte, la lecture de la Torah, avec le pupitre au milieu et les hommes assis autour. »« Au XVIIe siècle, en Pologne, un nouveau type de décoration des synagogues voit le jour. Dans ce système, il n’y a pas de représentations d’hommes et de légendes. Les synagogues sont ornées d’un plafond à la décoration florale et animale – il y a des fleurs et des fruits de la terre sainte en tant que glorification du créateur et de l‘existence du monde. Ces motifs sont concentrés sur les plafonds et les voûtes, alors que sur les murs sont inscrits les textes des prières en forme de livre ouvert. Cette décoration par les textes de prières hébraïques prouve que c’est la parole, le principal élément de décoration, et ainsi, toute la culture millénaire y est préservée dans la même forme qui avait existé au Temple. »Les Juifs seraient arrivés en Bohême après la destruction du Temple de Jérusalem. L’ancien ghetto de Prague compris entre les rues bornant l’actuelle place de la Vieille-Ville et les quais de la rivière Vltava était l’un des plus anciens d’Europe centrale. L’existence d’une communauté juive à Prague est mentionnée en 965 dans un récit de voyage rédigé par Ibrahim ibn Jacob, marchand juif envoyé à Prague de Tortosa en Espagne. Cette première colonie a été installée au pied du château de Hradčany. Une autre s’est aussi implantée vers 1090 près de Vyšehrad. Au XIIe siècle apparaît une troisième colonie à proximité de la place de la Vieille-Ville, et c’est celle-ci qui forme aujourd’hui la fameuse cité juive praguoise, baptisée Josefov, en 1850.
L’exposition „Synagogues baroques dans les pays tchèques“ est à voir dans la galerie Guttmann à Prague jusqu’à la fin du mois d’août.