Disparition du cinéaste Jiří Menzel, dernier représentant tchèque de la nouvelle vague
Le cinéma tchèque et mondial est en deuil en ce début de semaine après l’annonce du décès ce samedi du grand Jiří Menzel, connu entre autres pour ses adaptations à l’écran des romans de son ami Bohumil Hrabal. Mort à l’âge de 82 ans, il était le dernier d’une génération de réalisateurs qui ont représenté l’âge d’or et la nouvelle vague du cinéma tchécoslovaque des années 1960.
En plus d’être particulièrement pénible sur le plan sanitaire, l’année 2020 aura été fatale à la nouvelle vague de la cinématographie tchécoslovaque et à ses derniers représentants tchèques : après le décès d’Ivan Passer en janvier, Jiří Menzel était le dernier des mohicans, dont les illustres collègues Vojtěch Jasný et Miloš Forman avaient disparu au cours des deux années précédentes.
Contrairement à ces trois-là, mais tout comme la grande Věra Chytilová, Jiří Menzel n’a pas quitté la Tchécoslovaquie « normalisée » après l’écrasement du Printemps de Prague. Sur la quinzaine de films qu’il a réalisés figurent donc également quelques classiques des années 1970 et 1980.
Oscarisé en 1968 à 30 ans
Mais ce sont évidemment les Trains étroitement surveillés qui feront d’abord entrer un Menzel âgé seulement de 30 ans dans la postérité, un film récompensé en 1968 par l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Le réalisateur avait déjà participé à l’adaptation des écrits de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal dans un film de 1965, Le crime à l’école de jeunes filles.
Sa collaboration et sa complicité avec l’une des plus grandes plumes de la littérature tchèque contemporaine va marquer la carrière du réalisateur, qui déclarera que cette amitié « a davantage compté dans sa vie que tous les prix qui lui ont été décernés », oscar compris.
"Vos collègues fabriquent le film et vous pouvez faire la tournée des festivals !"
« Je n’avais pas le courage d’être sur scène ou devant la caméra mais je voulais devenir réalisateur. La réalisation est une très bonne profession : les acteurs jouent pour vous et vous en tirez gloire, vos collègues fabriquent le film et vous pouvez faire la tournée des festivals » : relativisant le nombre important de rôles qu’il a interprétés (environ 80), voilà comment Jiří Menzel décrivait son métier, non sans un certain humour et un sens de l’auto-dérision qui ont marqué son œuvre, qu’elle soit inspirée par Hrabal ou d’autres.
Son adaptation en 1968 du livre de Vladislav Vančura, Un été capricieux (Rozmarné léto), contient des scènes et des dialogues légendaires que connaissent encore par cœur les plus jeunes générations de Tchèques et de Slovaques. Ce film figurait dans la sélection officielle du festival de Cannes qui sera finalement annulé en 1968.
Après l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie, d’autres grands auteurs aideront le réalisateur à sortir du marasme ambiant : les prolifiques créateurs du théâtre Jára Cimrman (dont il fera partie deux ans), Ladislav Smoljak a Zdeněk Svěrák, sont notamment les auteurs du scénario de Na samotě u lesa, qui permettra en 1976 de faire oublier quelque peu Celui qui cherche l'or (Kdo hledá zlaté dno), réalisé deux ans plus tôt et qualifié de « film de la normalisation ».
"Je suis opportuniste, je n'aime pas les conflits"
Jiří Menzel a déclaré « ne pas avoir honte d’avoir signé l’Anticharte », ce sinistre document que le régime communiste a fait signer à de nombreuses personnalités pour décrédibiliser la Charte 77 des dissidents tchécoslovaques. « Ce sont ceux qui nous ont contraints à signer qui devraient avoir honte », selon le réalisateur, qui exprimera pourtant de la honte pour ce qui se passe dans son pays au quotidien français Le Monde, en avril 1989 : « [Václav] Havel, lui, il sait exprimer ses opinions et en supporter les conséquences. Pourquoi me faire meilleur que je ne suis ? Moi, je me suis laissé décourager. Je suis opportuniste, je n'aime pas les conflits. C'est en cela qu'il est plus honnête que moi ».
Deux ans après la révolution de Velours de novembre 1989, le cinéaste tourne une adaptation de l‘Opéra du gueux (Žebrácká opera), d’après la version écrite en 1975 par le dissident Havel, devenu entretemps Président de la République.
Menzel profite aussi de l’ouverture des frontières pour aller travailler à l’étranger, notamment à Paris, où en 1993 le francophone qu’il est met en scène une pièce d’Eugène Labiche à la Comédie-Française, à la demande de son administrateur général Jean Lassalle.
Jiří Menzel en français dans un reportage diffusé par France 3 : « Quand Monsieur Lassalle m’a appelé, j’ai pensé que c’était une blague. Vous savez les Tchèques réagissent toujours avec de l’humour. Par exemple quand à l’Ouest il y a une grande panique à cause de Tchernobyl, à Prague on fait des blagues. Les Tchèques savent rire de toutes les situations. Mais maintenant l’humour manque un peu chez nous… »
Dernier rôle
Avant un dernier film, Donšajni, sorti en 2013 et très vite oublié, Jiří Menzel parviendra au terme d’un long feuilleton juridique à adapter une dernière fois l’œuvre de son défunt ami Hrabal avec Moi qui ai servi le roi d’Angleterre (Obsluhoval jsem anglického krále), récompensé par le Lion du meilleur film tchèque de l’année 2006.
Avant une lourde opération en 2017, le réalisateur est passé une dernière fois devant la caméra pour jouer le rôle principal de la production slovaco-autrichienne The Interpreter (L’interprète), sorti en 2018, l’année où il reçoit un prix spécial pour l’ensemble de son œuvre à la Berlinale. Il y avait remporté l'Ours d'or en 1990 avec son film Alouettes, le fil à la patte (Skřivánci na niti), un film tourné en 1969 mais alors interdit de sortie en Tchécoslovaquie.
NB : côté slovaque, il reste encore au moins un illustre représentant de la nouvelle vague du cinéma tchécoslovaque en la personne de Juraj Jakubisko, né en 1938 comme Jiří Menzel.