Dix années de la vie du porte-parole de Václav Havel

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« Je n’ai jamais pensé écrire un livre sur la période passée au Château de Prague, » dit Ladislav Špaček dans la préface de son livre intitulé « Mes dix années avec Václav Havel ». Il a pourtant fini par rédiger ses souvenirs et nous a donné un portrait intimiste et plein de sympathie de l’ancien président tchèque. Outre de nombreux épisodes amusants et parfois émouvants de la vie du président, le livre nous confirme une chose dont nous nous doutions déjà. Dans toutes les situations, Václav Havel a su rester lui-même : un homme propulsé au sommet de la hiérarchie sociale qui est pourtant resté humble dans son for intérieur.

Au début des années 1990, au lendemain de la Révolution de velours qui a balayé le régime communiste en Tchécoslovaquie, Ladislav Špaček enseignait à la Chaire de langue tchèque à l’Université Charles de Prague. Après la chute du régime arbitraire sa carrière a pris cependant un tournant inattendu. En 1990, il entre à la Télévision publique tchécoslovaque, devient chef de son service d’information et son visage devient familier à tous les téléspectateurs. Il est remarqué aussi par Václav Havel qui lui propose le poste de porte-parole du président de la République. Entre 1992 et 2003 Ladislav Špaček est donc porte-parole et proche collaborateur de Václav Havel et vit avec le président tous les grands moments de sa turbulente existence. En 2003, il se retire de la politique, revient à l’université et devient spécialiste des médias. Il publie également plusieurs livres sur l’étiquette c’est-à-dire sur l’ensemble des règles appelées « bonnes manières ». Ce n’est qu’en 2012 qu’il écrira son livre sur Václav Havel :

« Ma décision d’écrire ce livre a été prise tout à coup et d’une façon inattendue au moment où la mort de Václav Havel a levé la vague de sympathies vis-à-vis du président. J`étais par ailleurs décidé de ne jamais écrire de Mémoires. Alors je me suis dit qu’il faudrait écrire quelque chose qui serait attractif pour les lecteurs, quelque chose pour de larges catégories de gens. Et cela ne pouvait donc être que de petites histoires, des souvenirs, plutôt des bribes de souvenirs. Toutes les histoires que j’ai réunies dans ce livre sont déjà des ‘affaires prescrites’ et c’est pourquoi j’ai pu aller très loin. »

Ladislav Špaček,  photo: Tomáš Beran,  www.ladislavspacek.cz
Le 3 janvier 2012, Ladislav Špaček rencontre les responsables de la maison d’édition Mladá fronta pour leur proposer d’écrire un livre sur Václav Havel et déjà le 23 janvier il leur remet le manuscrit du livre achevé. Le travail sur le livre lui a donc pris exactement vingt jours. Il est resté assis pendant trois semaines devant son ordinateur, il a bu beaucoup de vin en écrivant et a investi dans ce travail beaucoup de forces et d’énergie :

« Au bout de ces trois semaines j’ai remis à l’éditeur le manuscrit et je pouvais me dire : ‘Voilà, c’est fait.’ Quand j’ai commencé à écrire, je craignais de ne pas être capable d’évoquer une quantité suffisante de souvenirs. Et soudain j’ai réalisé que chaque anecdote faisait naître une autre anecdote, chaque petite histoire générait une autre histoire. Et tout à coup le livre commençait à gonfler, je m’immergeais de plus en plus dans ma matière et j’ai pris peur de dépasser la limite du nombre des pages sur lequel nous nous étions mis d’accord avec les responsables de la maison d’édition. »

Le livre de 232 pages que Ladislav Špaček a tiré de sa collaboration avec Václav Havel n’est pas composé selon un plan chronologique. L’auteur cherche plutôt à nous faire connaître diverses facettes de la personnalité du dramaturge dissident devenu chef d’Etat. Par petites touches il brosse un portrait d’un homme appelé à devenir un personnage historique. Le lecteur retrouve le président dans les moments dramatiques de l’histoire tchèque et notamment au moment de la partition de la Tchécoslovaquie en 1993 que Václav Havel voulait éviter. L`auteur retrace aussi les difficultés des premières années du mandat du premier président de la République tchèque, et revient sur ses maladies et sur les moments dramatiques lorsque sa vie était en danger. Il nous parle également de la vie familiale de Václav Havel, de ses deux épouses Olga et Dagmar, de ses proches, des animaux qui l’entouraient, de ses passe-temps et de ses loisirs. Il raconte de nombreux détails savoureux des rencontres du président avec les grands de ce monde, dont certains, comme Bill Clinton, Madeleine Albright, le roi Juan Carlos et autres, sont devenus ses amis.

Ladislav Špaček
Ladislav Špaček a aussi accompagné le président lors de ses innombrables voyages en Tchéquie et l’étranger. Ils ont visité ensemble 60 pays du monde. Les chapitres consacrés à ces voyages illustrent l’art de Václav Havel de rester naturel et de ne pas perdre son humour même dans les situations inattendues et gênantes dues au choc des civilisations auquel il a été souvent exposé. Ladislav Špaček cherche à ne pas glorifier le héros de son livre et évoque aussi ses faiblesses, ses petites manies, ses faux-pas et le rend ainsi encore plus attachant :

« La critique m’a reproché d’avoir raté l’occasion d’écrire une véritable œuvre historique. Comme j’ai étudié l’histoire je serais peut-être capable d’écrire un tel livre. Mais je serais obligé de prendre beaucoup de notes, j’aurais besoin d’une équipe de collaborateurs, je serais obligé de chercher dans les archives. Et je finirai par écrire un livre qui serait lu peut-être par quelque 80 spécialistes. Moi, je voulais au contraire écrire un livre pour tous. Pour ces 10 000 personnes qui accompagnaient le cercueil du président dans le cortège funèbre. Pour ces milliers de personnes qui sont venus le jour de la mort de Václav Havel sur la place Venceslas pour allumer des bougies. »

Ladislav Špaček souligne avoir voulu écrire un livre de petit format, un recueil de petites histoires, un opuscule au caractère subjectif. Tout ce qu’il raconte est donc vu sous une optique qui lui est propre et il admet que les souvenirs de certains témoins de la vie de Václav Havel peuvent être bien différents de ceux qu’il évoque. Même s’il le voulait, il ne pourrait pas être tout a fait objectif, parce que les dix années de la vie du président Havel dont il parle sont aussi dix années de sa propre vie :

Quand je fais maintenant le bilan, je dois constater que c’était vraiment une période pendant laquelle je me suis complètement dévoué au service d’un homme et d’une institution.

« Quand je fais maintenant le bilan, je dois constater que c’était vraiment une période pendant laquelle je me suis complètement dévoué au service d’un homme et d’une institution. Il est intéressant que ce soit l’unique institution constitutionnelle qui soit représentée par une seule personne physique. Présenter les vues de cette institution signifiait donc dans ce cas présenter les opinions de Václav Havel. Il me fallait m’infiltrer dans sa personnalité pour être absolument sûr que je serais capable de répondre même à minuit si par exemple un journaliste de San Francisco me téléphonait pour me demander quelle était l’opinion de Václav Havel sur la protection des droits de l’homme au Timor oriental. Pour pouvoir réagir dans de telles situations je devais être lié très étroitement à Václav Havel. »

Le livre démontre que pour Václav Havel, il n’a pas été facile d’assumer les responsabilités présidentielles et que cet homme épris de liberté avait souvent beaucoup de peine à se plier aux exigences de son rôle politique, aux officialités diplomatiques, aux rigidités du protocole et à l’attention incessante, rigoureuse et stressante des médias. Le lecteur a l’occasion de voir aussi la face cachée de la scène politique qui finit souvent par contaminer ses protagonistes par la soif du pouvoir et déforme leur caractère. Václav Havel, homme malade et physiquement faible, était pourtant immunisé contre une telle contagion. Et c’est peut-être aussi l’information la plus importante que nous apporte le livre de son ancien porte-parole.