Du hockey sur glace de Náchod à Rabat : les chocs culturels vus à hauteur d’adolescents

'Letní hokej'

C’est l’histoire d’une équipe de jeunes hockeyeurs tchèques de Náchod, dans le nord-est de la Bohême, à la frontière polonaise, qui rencontre une équipe de jeunes hockeyeurs marocains. Cet échange improbable entre la Tchéquie et le Maroc a eu lieu en 2017 et dans les deux pays, et les réalisateurs Rozálie Kohoutová et Tomáš Bojar l’ont filmé. Dans ce film intitulé Letní hokej (Off Sides en anglais) et présenté en première mondiale au festival Visions du Réel à Nyon, on suit les jeunes adolescents qui, en plus de découvrir une nouvelle culture, doivent apprendre à connaître et apprécier leurs adversaires sur la glace. Des échanges qui ne vont d’ailleurs parfois pas sans incompréhensions ou malentendus. Quelques jours avant la première tchèque, qui aura lieu le 29 juin, au Festival international de Karlovy Vary, Radio Prague a rencontré Rozálie Kohoutová qui a d’abord rappelé la genèse du projet :

'Letní hokej',  photo: Film Servis Karlovy Vary

« C’est assez drôle parce qu’à l’origine il y a M. Czerný, qui avait travaillé à l’ambassade tchèque à Paris, puis à Rabat. Quand je vivais à Paris, j’ai réalisé plusieurs projets avec lui. Un jour, il m’a appelé du Maroc et m’a proposé de faire un film sur une coopération tchéco-marocaine dans le domaine du hockey sur glace. J’ai cru à une blague ! Il m’a persuadée que c’était quelque chose de sérieux. Je me suis donc déplacée au Maroc et j’y ai découvert une équipe assez motivée. Ils m’ont dit que leur rêve était de réaliser une sorte d’échange entre la République tchèque et le Maroc, entre deux équipes. Quand je suis revenue en Tchéquie, je me suis dit que ce pourrait être le sujet d’un film. »

Cet échange c’est ce que vous filmez, entre l’équipe de jeunes hockeyeurs marocains et celle de jeunes tchèques de Náchod. Comment s’est déroulé ce tournage entre les deux pays ?

Rozálie Kohoutová,  photo: Martin Melichar,  Radio Wave
« On n’avait pas beaucoup de jours de tournage. Si je compare avec mon film précédent, FC Roma, on a eu la moitié… »

C’est-à-dire combien de jours ?

« Quinze jours, voire un peu plus. Après, il y a aussi eu la scène à Paris, on a aussi tout le temps de préparation. J’exagère peut-être, c’était peut-être un peu plus mais pas plus que 25 jours. Si je compare avec FC Roma, on avait 40 jours de tournage, ce qui est un temps normal. Mais ce qui était vraiment difficile avec ce film, c’était l’organisation de cet échange. Notre aide a été essentielle parce que je ne suis pas sûre que ça aurait pu être géré correctement entre Náchod et l’équipe marocaine. Il a fallu tout préparer : les visas, la logistique, la communication entre nous, l’ambassade, le côté tchèque, le côté marocain. C’était épuisant. Mais au final, les Marocains ont fait le déplacement, les Tchèques aussi, ils ont passé du temps dans les familles, et c’est quelque chose de rare. »

Comment s’est passé le séjour de ces jeunes dans leurs familles respectives ? Dans le film, vous suivez notamment une famille tchèque avec un jeune adolescent, Ondra. Comme tous les adolescents, il est assez blasé, il a des réflexions qu’on pourrait aisément qualifier de xénophobes, mais son portrait est contrebalancé par celui d’une autre jeune Tchèque, Artur, qui lui, s’intéresse sincèrement à ce que font les Marocains, à leur culture… C’est lui qui fait véritablement le lien entre les jeunes Tchèques et les jeunes Marocains.

« Vous avez raison, c’est Artur qui est un peu le seul à faire des efforts. C’est un peu honteux qu’il soit le seul, mais il n’y avait que deux autres garçons qui parlaient un peu anglais. Artur était le seul capable de communiquer couramment. Cela dit aussi quelque chose de notre système scolaire en Tchéquie… Voilà un groupe de quinze garçons, et presque aucun d’entre eux ne parle anglais. Grâce à cette langue étrangère, Artur était capable de communiquer avec les jeunes Marocains. Tandis qu’Ondra, qui est un peu le personnage principal du film, était perdu sans Artur. En plus, je pense que pour la plupart des jeunes, ce voyage au Maroc était leur premier voyage aussi long. »

'Letní hokej',  photo: Film Servis Karlovy Vary

Tous ces jeunes sont-ils encore en contact aujourd’hui ? Quels souvenirs gardent-ils de ces échanges ?

« Oui, plusieurs sont encore en contact, même un des joueurs marocains va rendre visite à la famille d’accueil tchèque cet été. Il a déjà obtenu son visa, ce qui est parfait. Je crois qu’il aimerait bien faire ses études en République tchèque. Pour le reste, je pense que le contact s’est conservé via les réseaux sociaux. Je suis sûre que tous les jeunes gardent de très bons souvenirs de ce voyage. Pour les adultes, par contre, je crois que c’était assez épuisant donc je ne pense pas qu’ils aient envie de répéter l’expérience. Comme je disais avant : l’organisation et le déroulement ont été assez compliqués. »

Le film a-t-il été vu en Tchéquie et au Maroc par les protagonistes ?

'Letní hokej',  photo: ČT
« On a organisé une projection à Náchod et je pense qu’ils ont tous bien aimé, même si on a eu quelques remarques par rapport au comportement d’Ondra. Plusieurs mères m’ont dit, après la projection, qu’il n’est pas très bien éduqué ! J’ai aussi d’autres réactions, de mes amis à Prague, qui trouvent qu’Ondra est le seul personnage honnête, entier, qui dit les choses comme elles le sont, que ce n’est pas une question d’éducation… »

Il est franc du collier, c’est le moins qu’on puisse dire…

« Exactement ! Malheureusement on n’a pas pu organiser de projection au Maroc parce que les entraîneurs nous ont dit qu’ils n’aimaient l’image du Maroc donnée par le film. Je pense que c’est un peu plus compliqué et cela peut être lié à la fin du film. »

Le film se clôt sur un des jeunes Marocains qui a profité de ce voyage en Europe pour demander l’asile en France, sur le chemin du retour.

'Letní hokej'
« Oui, c’est cela. Mais sinon, nous avons quand même eu une offre d’un festival à Agadir, un festival subventionné par le ministère de la Culture marocain. On va peut-être pouvoir y projeter le film, j’espère donc que les entraîneurs vont changer d’avis. On peut même inviter les joueurs à la première marocaine et faire ce qu’on fait aussi en République tchèque. »

Qu’est-ce que ce film vous a apporté ? Qu’est-ce que cela vous appris sur la possibilité d’effacer les barrières culturelles à travers le sport et l’amitié ?

« J’espère que c’est un peu le message du film, même si le film se termine en effet sur ce garçon qui profite de son séjour en Europe pour y rester. Cela s’est vraiment passé. En montant le film, on s’est demandé si on allait mettre cette scène finale, comment cette scène allait changer le sens du film. La réponse a été tout de suite : ça s’est vraiment passé, donc il faut le dire. J’espère que le film montre qu’on est tous différents : Ondra est très différent d’Artur, Artur est très différent d’Haitam, et Haitam est différent d’Amine qui a décidé de rester en Europe… »

Le film sera distribué dans les salles tchèques à partir du 18 juillet.