Edouard François : « L'architecte doit écrire l'architecture avec un vocabulaire qui est dans l'air du temps »
Dans cette émission aujourd'hui c'est exceptionnellement d'architecture dont nous allons parler, à l'occasion de la Semaine de l'architecture à Prague. Cette manifestation a l'ambition d'évoluer vers un festival annuel international de l'architecture moderne et contemporaine dans la capitale tchèque. Pour ce premier essai une Journée de l'architecture française était organisée, avec l'architecte et urbaniste français Edouard François. Architecte de renommée mondiale, il est l'auteur de la Tower Flower et de l'Hôtel Fouquets Barrière à Paris. Son champ d'activité s'étend aux hôtels de luxe, aux centres commerciaux et aux centres de loisirs et détente. A l'Institut français, Edouard François a donné une conférence sur le développement contemporain de l'architecture en France et sur son expérience d'architecte.
« Je vais parler un peu de mes deux périodes. J'ai une période jusqu'à peu près en 2004 où je me suis beaucoup intéressé à l'environnement, au contexte, et donc c'est un peu ma période verte. J'ai développé des immeubles végétaux, non pas parce que la végétation est très glamoureuse mais parce que ça avait un sens dans les endroits où je développais l'architecture ; dans un endroit plein de nature, par effet de caméléon, c'est assez intéressant d'avoir une architecture elle-même camaléon d'où verte, d'où ce développement végétal de feuillages. Actuellement, je suis sur ma deuxième période où je travaille sur des problématiques énergétiques. Je suis toujours dans ce « sustainable development » et j'essaie de trouver l'écriture architecturale de l'énergie. »
Prague a une renommée internationale pour son architecture. Qu'est-ce que la ville vous a inspiré ?
« J'ai connu la ville il y a 19 ans, j'y étais au moment où le mur est tombé. C'était une sorte de ville complètement historique, à l'époque, puisque je n'ai pas encore fait mon petit tour, mon « coming out » en ville. J'en garde une idée d'une sorte de ville musée comme Rome, un état arrêté du monde. »Vous avez basé votre travail sur l'intégration à l'environnement et le développement durable. Quelles sont les possibilités d'aménagements et de contructions contemporains dans une ville comme Prague à votre avis ?
« Il y a plein de développements. Je pense que la vraie question est de ne pas rivaliser avec ce qui existe, ne pas non plus essayer de lui trouver une sorte d'opposé schizophrénique, soit à ce qui est classique, mettre quelque chose de moderne. Je pense qu'il faut se poser la question de l'extension limitée de ce qui existe, en donnant une relecture aux qualités qui sont présentes. »
Des projets de grattes-ciel visant à former une sorte de « petit Manhattan » sont en cours depuis plusieurs années, sur une colline du sud de la ville, à Pankrac. Les habitants du quartier, des associations, et surtout le co-architecte de la célèbre « Maison dansante » de Prague s'opposent fermement à ces projets. Qu'est-ce que celà vous évoque, en tant qu'architecte, puisque l'envie, le besoin fondamental d'un architecte est semble-t-il de construire et de créer ?« Ce sont des réponses difficiles à formuler. On a à la fois un besoin de silence, peut-être de comprendre ou de revoir ou de ré-écouter tout ce qui c'est fait. Dans cette société d'abondance, où quand on va dans le moindre supermarché se trouve toute la planète à vos pieds, qu'attend-on d'un nouveau produit ? Face à cela, on peut légitimement se dire « la tour, oui mais... ». En même temps, la ville, n'est-ce pas aussi un lieu qui doit bouger et qui n'est pas un lieu arrêté ? Ce n'est pas un état arrêté du monde. Le tour, j'y réfléchis, je me pose la question, je suis en train d'en prévoir dans certaines villes. Je pense que la tour aujourd'hui est à comprendre comme un signe d'acuponcture pour réveiller la ville de sa torpeur. Dans ce sens-là, ce geste est compréhensible mais d'une manière très mesurée et avec une forte implication culturelle. »
Le projet de la nouvelle bibliothèque nationale, imaginée par Jan Kaplicky, est ici à Prague très controversée. On dit même qu'il fait le tour des écoles d'architecture à l'étranger comme contre-exemple. Est-ce que vous connaissez ce projet, et qu'est-ce que vous en pensez ?
« A peine arrivé ici on m'a parlé d'une sorte de méduse qui aurait été scotchée sur une colline, une méduse violette et verte, et donc je pense que la manière dont on me l'a décrite fait peur. Mais après, je n'ai pas vu le projet, je sais que l'architecte a beaucoup de qualités, donc je demande à voir. »
La controverse tourne aussi autour du fait que la bibliothèque serait visible du bas de Prague, à coté du Château de Prague. Que pensez-vous de tels contrastes entre une architecture contemporaine et des monuments historiques ?
« Qu'est-ce qui est contemporain ? J'ai développé des architectures contemporaines totalement vertes, végétales, qui sont des folies végétales, qui finalement trouvent leur sens et leur compréhension parfaitement naturellement à côté de châteaux historiques, comme des sortes d'arbres démesurés. Donc dans ce sens, le problème ne se pose pas. Je pense que l'architecte doit écrire l'architecture avec un vocabulaire qui est le vocabulaire qui est dans l'air du temps. Ce faisant, il peut outrer ce vocabulaire et faire réellement une oeuvre. Alors la méduse est-elle dans le vocabulaire ? Ne l'ayant pas vue, je ne peux pas vous répondre. Je ne sais pas si elle est appropriée ou pas, dissonante. Je fais confiance aux talents que je connais de l'architecte mais ce n'est pas une caution. »