En Tchéquie, les arbres de mai ne sont pas érigés seulement en mai
La tradition de l’arbre de mai est un rite millénaire, connu jadis un peu partout en Europe, mais aujourd’hui souvent un peu oublié. En République tchèque, cette coutume reste cependant toujours bien vivante. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les arbres de mai n’y sont toutefois pas érigés seulement au cours du mois de mai… Radio Prague vous propose de découvrir les histoires locales de cette tradition, ainsi que les légendes qui l’entourent.
Une tradition et de nombreuses variantes locales
« Máj », « Máje », « Májka » ou « Máječka » : tels sont les différents noms que les Tchèques donnent à l’arbre de mai, un grand arbre coupé, débarrassé de ses branches dans sa partie basse et décoré de différents rubans, qui est érigé solennellement chaque premier mai dans de nombreux villages et communes tchèques. Cette tradition, dont les origines sont inséparablement liées à l’arrivée du printemps et aux fêtes de la fécondité, remonte à bien loin en République tchèque. Il y est fait mention pour la première fois en 1422 à Prague : un garçon installe un arbre de mai sous la fenêtre de sa bien-aimée et obtient sa main grâce à ce geste.Selon l’ethnographe Zlata Potyková du Musée national à Prague, les racines de cette coutume sont toutefois plus vieilles encore et les raisons pour lesquelles les arbres de mai ont été créés sont très diverses :
« Selon une légende racontée en Bohême du Sud, les arbres de mai devaient protéger les fermes contre la grêle. Les fermiers demandaient donc aux garçons du village d’ériger ces arbres à proximité de leurs maisons et ils les aidaient à le faire. Mais il existeune autre légende, connue dans les alentours de Rožnov pod Radhoštěm, en Moravie, qui parle d’une jeune fille qui était très pieuse et ne voulait pas se marier. Les autres filles se moquaient d’elle et lui disaient que personne ne l’aimait. Elle a donc adressé des prières à Saint Philippe et Saint Jacques. Le lendemain matin, elle a trouvé un arbre de mai joliment décoré devant sa maison. Les autres filles étaient jalouses d’elle. Elles ont donc demandé à leurs amants de leur faire leur propre arbre de mai. »
Dans d’autres villages, les arbres de mai étaient censés protéger les habitants contre les sorcières et les forces du mal qui devenaient plus puissants dans la nuit précédant la fête de Saint Philippe et de Saint Jacques, célébrée traditionnellement le 1er mai. Enfin, une autre légende situe la naissance de cette tradition chez les premiers chrétiens, quand les apôtres Philippe et Jacques essayaient d’échapper leurs persécuteurs. La nuit venue, les deux hommes se sont cachés dans une maison au milieu d’un village. Pour mettre la main sur eux au lever du jour, leurs poursuivants ont marqué la maison où ils avaient trouvé refuge par une branche en fleur afin de la retrouver facilement dans la matinée. A leur surprise, le lendemain, des branches similaires avaient été plantées devant toutes les maisons du village… Mais qu’en pensent les ethnographes ? Zlata Potyková :« En général, les arbres de mai font penser à de vieilles traditions préchrétiennes de vénération de différents dieux. Dans les pays tchèques, il s’agissait le plus probablement de Vesna, la déesse slave du printemps, de la fertilité et de l’amour. Les arbres de mai étaient de deux types : un arbre central qui était érigé sur la place principale de la ville ou du village et qui représentait la déesse Vesna. Cet arbre était très haut et très bien décoré avec des fleurs et des rubans. Mais on érigeait également des arbres de mai plus petits sous les fenêtres de toutes les jeunes filles célibataires. »Dans certaines régions, cette tradition a ensuite bien évoluée. Si un arbre de mai planté devant une maison signalait traditionnellement une fille à marier, à Chodouň, près de la ville de Příbram, en Bohême centrale, les garçons érigeaient ces arbres uniquement pour leur fiancée en témoignage de leur amour et pour dissuader d’éventuels prétendants. Dans d’autres villages encore, les arbres de mai étaient plantés sous les fenêtres des jeunes filles qui avaient déjà perdu leur virginité.
En Moravie, les arbres (pas vraiment) de mai
En Moravie, la coutume a évolué bien plus encore. Les arbres de mai célébraient en effet non seulement l’arrivée du printemps et le renouveau de la nature, mais aussi les kermesses qui y ont eu lieu justement au printemps. Cela a radicalement changé avec une ordonnance de l’empereur Joseph II qui voulait unifier la période de ces festivités sur son territoire en ordonnant de les organiser entre la fin de l’été et le mois d’octobre. La tradition d’ériger ces arbres de mai à l’occasion des kermesses était toutefois si bien implantée dans cette région qu’elle s’est poursuivie même en dehors du mois de mai. Zlata Potyková poursuit :« Une autre coutume était liée à ces arbres de mai érigés à l’occasion des kermesses : les villages essayaient, pendant la première nuit après leur installation, de les voler aux communes voisines. Si un village se faisait voler son arbre de mai, c’était une véritable humiliation pour tous ses habitants. Ils devaient ensuite racheter leur arbre en échange de différents aliments, du vin etc. Cette tradition représentait donc une lutte concurrentielle entre les habitants de villages voisins. C’était une question d’honneur et de fierté car les garçons qui réussissaient à voler un arbre de mai de leurs voisins étaient considérés comme des héros. »Une coutume intemporelle
En 1637, l’Eglise a décidé d’interdire la tradition de l’arbre de mai en la qualifiant d’immorale et d’impudique. Cette interdiction n’a pourtant pas eu un grand succès, la coutume étant bientôt de nouveau autorisée :
« La tradition des arbres de mai est toujours bien vivante. En mai, vous pouvez voir ces arbres notamment en Bohême. En Moravie, les arbres de mai sont érigés surtout lors de la période des kermesses. Mais en Bohême, c’est assez commun. Les arbres sont traditionnellement érigés le 1er mai et abattus solennellement le 31 mai. Mais parfois, ils restent sur place tout au long de l’été. Aujourd’hui, c’est de plus en plus fréquent. Il est vrai qu’à la fin de l’été, les arbres de mai ne sont plus si jolis, ils sont souvent endommagés par la pluie, ils ont perdu leurs rubans… Mais vous pouvez les voir quasiment partout en vous rendant à la campagne l’été en Bohême. »Aujourd’hui, l’arbre de mai ne célèbre plus vraiment l’arrivée du printemps ou l’amour entre un homme et une femme. Il s’agit avant tout d’une occasion pour les habitants du village de s’arrêter l’espace de quelques heures et de se rassembler autour de ce symbole pour danser et pour s’amuser.