« Entre Prague et le roi Ferdinand V, c’est une longue histoire d’amour »
Ferdinand Ier, empereur d’Autriche de 1835 à 1848, est pour le moins méconnu par rapport à son prédécesseur François Ier et surtout comparativement à son successeur François-Joseph Ier. C’est pour le faire sortir de l’ombre que Jean-Luc Dousset a décidé de consacrer une biographie à cet homme qui, après son abdication en 1848, se retira à Prague et passa le reste de sa vie dans cette Bohême chère à son cœur. Jean-Luc Dousset évoque ce travail récemment publié aux Editions Jeanne d'Arc.
Pouvez-vous nous parler de votre démarche ? Vous avez choisi d’écrire de façon assez romancée…
« J’ai essayé de rendre cette biographie assez vivante en employant, pas un subterfuge, mais plutôt un artifice avec l’homme de l’ombre de la cour qui aurait suivi sans lui parler, sans le rencontrer, mais simplement en l’observant, tout le parcours de Ferdinand. »
Vous avez choisi pour titre « Ferdinand le Débile ». Or certains considèrent que cet empereur qui abdique en 1848 manquait sans doute surtout d’ambition. A Prague, les habitants l’avaient de plus surnommé Ferdinand le Bon. Pourquoi ce parti-pris d’appeler votre biographie « Ferdinand le Débile » ?
« Il y a peut-être un peu de provocation… Mais c’était aussi un des reflets de la réalité de l’époque. Il a été surnommé Ferdinand le Bon ou le Débonnaire, Ferdinand le Bénin, Ferdinand le Fini, Ferdinand le Débile… Mais c’est vrai que les Tchèques l’ont surtout appelé Ferdinand le Bon - Ferdinand I. Dobrotivý. Entre Prague et le roi Ferdinand V, c’est une longue histoire d’amour. Il a quand même été le dernier roi sacré en Bohême, à Prague, à la cathédrale Saint-Guy, puisque son successeur François-Joseph ne l’a pas fait, a dédaigné ce sacre. »Il abdique en 1848 à Olomouc, après le Printemps des peuples, en faveur de son neveu François-Joseph. Pourquoi choisit-il alors de se retirer à Prague ?
« Il choisit Prague parce que je pense qu’il avait toujours ressenti cette affection que le peuple lui témoignait dans cette ville, dans cette Bohême qu’il aimait, et que les derniers événements qui s’étaient déroulés à Vienne lui avaient laissé un goût amer. D’ailleurs il n’y reviendra pas, même pour le mariage de François-Joseph avec Sissi il sera absent, prétextant une crise d’épilepsie plus importante que de coutume. Et pourtant Dieu sait qu’elles étaient importantes puisqu’il en souffrait cinq à six fois par jour. »
Il va vivre 27 ans à Prague jusqu’à sa mort. Que fait-il pendant cette période ?
« Il mène une vie presque comme un citoyen ordinaire. Il habite au château de Prague, il sort presque en costume civil ; certains disent même dans des habits quelconques, surannés. Il s’arrête fréquemment, parle au peuple qu’il croise, il échange quelques mots et il aime beaucoup se promener dans les parcs et les jardins, qui sont nombreux à Prague d’ailleurs. C’est l’une de ses passions : les jardins, la botanique ainsi que les sciences. Autrement, il délaisse pratiquement totalement les obligations officielles, il reçoit très peu dans le château de Prague si ce n’est les musiciens qui sont de passage dans la ville car il adore la musique. D’ailleurs, petite anecdote, tous les matins, il se met à l’un des balcons du château de Prague et sa garde vient lui jouer ses airs favoris. »Au niveau musical il aurait d’ailleurs pris des leçons auprès du compositeur Bedřich Smetana. En tous cas, il l’aurait côtoyé…
« Il a pris des leçons, il jouait beaucoup de piano. Il avait même fait installer à la Hofburg à Vienne un piano dans son atelier de travail. Il a continué durant sa retraite à Prague à jouer et à s’adonner à la botanique en compagnie d’un professeur qu’il avait trouvé. »
Quelle a été la réaction en Bohême quand Ferdinand est décédé en 1875 ?
« Énormément de ferveur. Toute la ville a pris le deuil. Les habitants ont été plus que nombreux sur tout le parcours du convoi funèbre et ils l’ont accompagné jusqu’à la gare où un train affrété par François-Joseph attendait sa dépouille pour la conduire à Vienne où a eu lieu son inhumation. A Prague, ce qu’il y avait d’extraordinaire, c’est cette proximité qu’il a toujours gardé avec son peuple. Il ne revêtait son uniforme de général qu’une seule fois par an par exemple. C’était le 19 avril, le jour de son anniversaire. Ce jour-là il apparaissait à l’un des balcons du château de Prague tandis que la garde qui lui était assignée défilait en-dessous de lui. Sitôt la cérémonie achevée, il revêtait ses habits civils. »