Entre Prague, Oslo et Paris : la musique d’avant-garde en République tchèque
La culture est l’un des domaines pour lesquels la crise économique ne change que très peu de choses tant les fonds publics et privés alloués aux activités artistiques en République tchèque sont rares et faibles. Le jazz et la musique expérimentale n’échappent évidemment pas à la règle. Pourtant, malgré ce contexte difficile une petite scène de musique d’avant-garde fait son apparition à Prague. Le co-fondateur et pianiste du célèbre orchestre de jazz tchèque Vertigo, Vojtěch Procházka, dévoile les multiples sources et lieux de son inspiration qui ont donné naissance à son nouveau trio de musique contemporaine, le Vojtěch Procházka trio.
Vojtěch Procházka, vous êtes musicien, vous pouvez vous présenter ?
Je suis un musicien de trente ans, né à Prague. Je vis actuellement à Oslo où j’ai vécu ces trois dernières années.
Dans quel cadre ?
Dans le cadre d’un séjour d’étude de musique improvisée venant du jazz.
Ca veut dire que vous êtes passé par le jazz pour arriver à la musique contemporaine ?
Exactement. Je suis même passé d’abord par le classique. J’ai une formation de piano classique, je suis pianiste-compositeur. Je suis passé au jazz traditionnel puis au jazz moderne et enfin au jazz expérimental. Actuellement, je pense être sorti complètement du jazz.
Vous avez joué et vous jouez toujours avec Vertigo, vous pouvez nous parler de ce groupe ?
C’est un groupe qui va fêter ses dix ans au mois de février. C’est un groupe composé de personnes qui vivent à Prague, trois Slovaques et trois Tchèques. C’est une belle histoire composée de quatre albums et d’une centaine de concerts.
Comment qualifiez-vous la musique que vous jouez avec ce sextet de Vertigo ?
Vertigo reste dans le domaine du jazz, il y a même des morceaux qui ont du swing et des solos structurés. Mais en même temps on fait de petites aventures dans la musique contemporaine. Des choses plutôt basées sur le son que sur l’harmonie.
Vous vous consacré désormais à votre trio, Vojtěch Procházka trio. Comment est née l’idée de ce trio ?
J’ai toujours voulu jouer dans un trio de piano-basse-batterie, parce que c’est un modèle qui marche, qui est beau à jouer et j’ai toujours eu des petits trio de jazz. Le premier était avec la section rythmique de Vertigo avec Daniel Šoltis et Ratislav Uhrik, mais ça a vraiment repris lorsque je suis arrivé à Oslo où j’ai rencontré Adrian Myhr et Tore Sandbakken des musiciens fantastiques de Trondheim. Je les ai rencontrés à Oslo dans une Jam session et on a trouvé tout de suite une langue commune. On a commencé comme un trio de jazz moderne dans le genre de Paul Bley ou Keith Jarrett, un peu free et un peu écrit et on a sorti le premier disque qui est un peu comme ça avec des petits morceaux que j’ai écrit et des standards peu connus. Des choses un peu free, mais depuis on a peu à peu changé de direction. Aujourd’hui nous faisons des concerts qui sont complètement improvisés et qui n’ont pas de structures prévues ni de morceaux prévus, et on a beaucoup travaillé sur le son du groupe qui essaie de partir le plus possible du son traditionnel des instruments et du son d’une formation traditionnelle en trio.
Donc un trio qui se positionne dans la recherche musicale, dans la recherche de nouveaux sons et de nouvelles structures musicales. Comment êtes vous arrivés à Oslo ?Après avoir fini mes études à Prague à la Vyšší odborná škola Jaroslava Ježka (le conservatoire de Jaroslav Ježek), je n’avais aucune idée de ce que je pouvais faire à Prague,. J’avais alors le sentiment que j’avais tout essayé. Je ne savais pas quoi faire de plus. J’avais un trio qui marchait un peu, il y avait Vertigo, j’avais un groupe consacré à la musique de Thelonius Monk avec lequel je jouais assez fréquemment. Je voulais d’autres choses, d’autres inspirations. D’abord j’ai passé un concours pour aller dans une école aux USA, mais ils m’ont répondu trop tard, ensuite j’ai passé le concours du CNSM (le Conservatoire) de Paris au département de jazz.où ils m’ont pris. J’ai passé deux ans à Paris. Mais je ne trouvais pas ce que je cherchais.
La source de votre inspiration n’était pas à Paris…Non, pas tout à fait, j’ai trouvé d’autres choses, j’ai découvert la musique de l’Inde du Nord avec un super professeur de musique indienne, Patrick Moutal, j’ai trouvé d’autres choses mais c’était la musique de Norvège qui m’attirait. J’avais des disques de Christian Wallumrød, de Arve Henriksen ou encore de Trygle Seim. J’ai essayé de trouver des moyens de rester là-bas. J’ai tenté le concours du Master de jazz improvisé à Oslo, et j’ai réussi.
Est ce qu’il y a un espace en République tchèque pour la musique que vous jouez?
Oui, il y en a un, ça s’ouvre peu à peu, mais il n’y a pas une scène très soutenue, très large et très ouverte. Il ya des petits coins, il y a le Café v lese, il y a Školská, Potrva… il ya des gens plud que des scènes. Mais Il y en a très peu et très mal soutenues
Vous dites soutenues… par les ministères et la ville de Prague?Il ya très peu d’argent qui va dans cette direction. J’imagine que c’est difficile d’obtenir des grants….
…des fonds, des soutiens publics…?
Oui et puis il y a de la bureaucratie, mais c’est faisable.
Et si vous comparez avec d’autres villes, comme Berlin, Oslo ou Paris, pour la musique que vous jouez?
A Paris, il n y a pas beaucoup de soutiens, les musiciens font des grandes organisations…
…des grandes associations ou des fédérations qui regroupent…
Oui, et les groupes louent un local et essaient de fonctionner sans soutiens de l’Etat ou de la ville. A Oslo, le soutien est très direct et la bureaucratie est très souple. Il est très simple d’obtenir des fonds. Donc, ça marche et il y a une belle scène là-bas.
Donc à Oslo il y a un soutien de l’Etat… un public aussi j’imagine?
Oui et ça c’est le plus important. Ici les jeunes gens que je rencontre au conservatoire à Prague ne sont pas intéressés aux choses différentes, aux choses qu’ils ne connaissent pas. Il y a très peu de curiosités musicales. Il y a un public, mais le problème est que le public du jazz et de la musique improvisée ne se croisent pas trop. Ce sont des gens qui écoutent surtout de l’indie, de l’électronique, qui connaissent sans doute la musique contemporaine, mais il ne nourrissent pas le jazz, le public jazz. Il y a très peu de relations….
Le cercle des jazzmans et des musiciens de la musique contemporaine sont deux cercles qui fonctionnent en vase clos…C’est ça, à Oslo, c’est très mélangé, on a des projets avec des musiciens classiques, on a des projets avec des musiciens de la musique folklorique. Il y a beaucoup d’échanges entre des musiciens de divers styles et de divers âges. A Prague, cela prendra du temps pour éduquer un public sensible à la musique, la musique avec un grand „M“ avec tout ce qu’il y a dans la musique, car on peut trouver du beau dans différents styles… c’est pas le style qui est important.