Environnement : Ostrava, point noir de la République tchèque ?
« Le cœur d’acier de la République » : c’est ainsi que, sous le communisme, était appelée Ostrava. Malgré ses efforts, comme en témoigne sa candidature malheureuse au titre de Capitale européenne de la culture 2015 ou encore la tenue chaque été du célèbre festival de musique judicieusement baptisé « Colours of Ostrava », Ostrava, avec son prestigieux passé minier et son importante activité industrielle, possède la réputation de compter parmi les villes en Europe où la pollution atmosphérique est la plus importante. Mais ne s’agit-il pas seulement d’une réputation liée à l’image grise de la cité et de la région de Silésie ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes donc rendus à Ostrava… Reportage.
« Ostrava Černá » (Ostrava la Noire) est le refrain d’une chanson composée par le plus célèbre des chanteurs d’Ostrava : Jaromír Nohavica. Troisième plus grande ville de République tchèque avec une population de 300 000 habitants, parmi lesquels Christine Chilaud, Française installée depuis quelques années, Ostrava, ancienne cité minière aujourd’hui encore place forte de l’industrie lourde du pays, possède une triste réputation, sale pourrait-on même dire.
Une recherche récente, menée par une équipe de l’Institut de médecine expérimentale de l’Académie tchèque des sciences, a démontré que la population d'Ostrava s'est génétiquement adaptée au niveau élevé de la pollution de l'air. Les conclusions de cette recherche ont démontré que les habitants d’Ostrava se montrent plus résistants à la pollution qu'une population vivant dans un environnement plus sain. Toutefois, l’étude n’ayant été menée que sur 150 habitants, tout le monde à Ostrava ne s’est visiblement pas encore adapté à ces conditions de vie particulières…
Mardi matin pluvieux de début octobre. Nous sommes dans le cabinet de consultation de la docteur Eva Schallerová :« Adam est un patient classique pour nous, avec des ennuis de santé qui pour cette région sont tout à fait typiques et habituels… »
Pédiatre, Eva Schallerová soigne non seulement Adam, petit garçon de deux ans, mais aussi les enfants de Radvanice, un quartier d’Ostrava situé à un kilomètre et demi à vol d’oiseau des usines du géant sidérurgique ArcellorMittal…
« C’est un enfant qui était voulu, ses parents sont en bonne santé, ils ne fument pas, ils ont un style de vie très sain et la grossesse s’est passée sans problèmes. Adam vient tout juste d’avoir deux ans. Dès les premiers mois qui ont suivi sa naissance, il a développé une pneumonie qui a nécessité une hospitalisation. Il a ensuite souffert de trois autres pneumonies avant son premier anniversaire, à chaque fois avec de graves symptômes. Depuis, un traitement à base notamment d’inhalations de corticoïdes lui a été ordonné, il est suivi par un allergologue et il revient d’une cure dans une station thermale. C’est une exception, car normalement, les enfants doivent être âgés d’au moins trois ans pour pouvoir être envoyés en cure. Son état de santé s’est donc stabilisé, mais malheureusement, suite aux pneumonies, il souffre maintenant d’asthme, ce qui est la complication la plus fréquente ici pour les enfants. »
Bien connue à Ostrava, Eva Schallerová affirme que le tiers des 1 050 enfants enregistrés chez elle présentent les mêmes symptômes :« Pour nous, les choses sont très claires : la situation sanitaire actuelle est vraiment la conséquence de la pollution de l’air. Les enfants sont toujours malades et ont des crises d’asthme surtout en période de smog. Cela a été démontré par les recherches scientifiques. »
Issu de l’anglais, le smog, épaisse brume brunâtre provenant d’un mélange de polluants atmosphériques, est devenu un mot indissociable d’Ostrava et de ses environs. Chaque année, à l’approche de l’hiver, et durant ensuite l’essentiel de celui-ci, le smog, dont la présence est associée à plusieurs effets néfastes pour la santé et l’environnement, revient sur le devant de l’actualité. Et bien souvent, les usines, fourneaux et hautes cheminées fumantes d’ArcelorMittal, qui à eux seuls et avec les quelque 6 000 employés constituent une ville à l’intérieur de la ville, sont désignés comme les principaux facteurs responsables de la mauvaise qualité de l’air. Toutefois, si ArcelorMittal est bien le plus grand pollueur en Moravie du Nord, des efforts notoires ont néanmoins été entrepris ces dernières années, comme le précise Petr Beranek, responsable environnemental chez ArcelorMittal :
« On ne peut pas produire de l’acier sans certaines émissions. Quand j’ai été embauché dans cette société il y a vingt-cinq de cela, nous émettions environ 28 000 tonnes de poussières par an. Aujourd’hui, nous en sommes à 3 % de cette quantité et nous continuons à réduire nos émissions. Récemment, nous avons mis en service un nouveau filtre de ces poussières, ce qui représente un investissement de près d’un milliard de couronnes (environ 40 millions d’euros). Seuls six pôles comme le nôtre peuvent se targuer de disposer d’un tel équipement, qui sera obligatoire à partir de 2016 selon la législation européenne. Je pense donc pouvoir affirmer que nous sommes à la pointe dans le domaine. » Suite à la diffusion d’un film documentaire britannique en 2011 (Exposure : The Factory), film il est vrai très tendancieux présentant Ostrava comme une ville constamment plongée dans un épais brouillard grisâtre et dont les pauvres habitants sont victimes de l’activité industrielle, les responsables de la communication chez ArcelorMittal ont pris leurs précautions avant d’accepter de nous recevoir. Et pour Petr Beranek, accuser uniquement ArcelorMittal et les autres sociétés industrielles présentes à Ostrava et dans les environs équivaut à de la désinformation :« La qualité de l’air dans la région d’Ostrava et plus généralement dans le bassin de la Silésie n’est pas bonne, surtout l’hiver. C’est un fait. Mais l’activité industrielle n’est pas la seule raison. Il y a aussi les combustibles qu’utilisent les gens pour se chauffer chez eux et la circulation automobile. En ce qui nous concerne, ArcelorMittal à Ostrava en fait plus pour améliorer la situation que ce qu’exige actuellement la législation européenne. Mais nous n’y arriverons pas tout seuls. Il faut aussi qu’il y ait une réduction des autres sources de pollution si nous voulons que la situation d’ensemble s’améliore vraiment. »
Qu’on ne s’y trompe pas : si l’air est rarement pur à Ostrava, il n’y est pas non plus irrespirable à longueur d’année. A la mairie d’Ostrava, Dalibor Nadej est l’adjoint au maire en charge des questions environnementales. Sur son bureau, il a déplié une grande carte de la région et nous explique que, géographiquement, Ostrava se trouve dans une cuvette ; une donnée primordiale selon lui :
« Cela dépend beaucoup en effet des conditions de vent, notamment quand il y a une inversion des températures, c'est-à-dire que l’air le plus chaud se trouve au-dessus d’une couche d’air plus froid. Dans ce cas-là, la masse d’air qui se trouve près du sol ne peut pas s’élever et se dissiper dans l’atmosphère. On pourrait comparer la situation d’Ostrava à une marmite sur laquelle est posé un couvercle ou à une voiture dont vous laisseriez tourner le moteur dans un garage fermé. Je pense donc vraiment que la position géographique de toute la région est le principal facteur de la situation. »L’avis de Dalibor Nadej n’est pas partagé par Jan Kozina, fondateur de Čisté nebe (Un ciel pur), une association qui, comme son nom l’indique, a fait de la défense de l’environnement en Moravie-Silésie son cheval de bataille :
« Le problème est que nous ne savons pas aujourd’hui encore quelles sont les sources de pollution, et c’est un des reproches que nous faisons aux politiques. Bien sûr que nous connaissons le rôle néfaste de l’activité industrielle. Mais quel est l’impact de la circulation automobile ? Quel est celui du chauffage des gens ? Quel est l’impact de la Pologne voisine, qui à quelques dizaines de kilomètres d’ici, a une activité industrielle lourde encore plus importante ? Si nous ne savons pas tout ça, nous ne pouvons pas non plus savoir où investir pour améliorer la situation. Faut-il construire un périphérique à Ostrava ? Faut-il obliger les gens à changer leurs chaudières ? Ou les sociétés industrielles polluent-elles encore plus que ce qu’elles prétendent officiellement ? Tout cela nous empêche de progresser, mais la réalité, c’est que personne n’en sait rien. »
Une chose est sûre néanmoins : si Ostrava n’est certainement pas la ville en Europe où la qualité de l’air est la meilleure, ce n’est pas non plus la ville noire noyée dans un nuage de pollution comme certains s’efforcent de la présenter. Il convient comme souvent de faire la part des choses et finalement, c’est peut-être bien Christine, notre Française neutre d’Ostrava, qui en sait encore le plus :
« Ah oui, Ostrava peut être aussi très jolie. A part les industries polluantes, c’est quand même un endroit où il fait bon vivre. C’est une ville qui n’est pas très grande et où tous les gens peuvent se connaître facilement. Il est vrai que quand on sort de chez soi et que ça pue, on se dit ‘Ah ! Encore une bonne journée’, mais à part ça, la nature est très belle ici. C’est très vert, très boisé, et on a la montagne à quarante-cinq minutes d’ici. Donc on ne peut pas dire qu’on souffre de vivre à Ostrava, c’est complètement faux. »