Féminisme et identité créole au cœur du festival Afrique en création
Coup d’envoi ce samedi du festival Afrique en création, qui jusqu’au 11 décembre, propose l’ensemble de sa programmation en ligne. Au cœur de la 16e édition de ce rendez-vous des cultures africaines en Tchéquie, notamment le féminisme africain, la pandémie de Covid-19 mais aussi la quête de l’identité créole. Radio Prague Int. en parle avec son organisatrice, Lucie Němečková.
Le festival Afrique en création a lieu en décembre, mais en cette année très spéciale, il s’est en réalité décliné en plusieurs temps, avec une partie en juin dernier, puis en septembre, et maintenant en cette fin d’année. Une édition au long cours, donc, cette année…
« Oui, d’habitude, Afrique en création a lieu autour du 25 mai qui est la Journée mondiale de l’Afrique. Cette année, en raison de la pandémie, ce sera déjà la quatrième étape du festival. Jusqu’au dernier moment, nous avons rêvé de faire venir des auteurs et artistes du Mali, de Côte d’Ivoire, de la Martinique et du Nigéria. Finalement, nous organisons tout en ligne. »
Evidemment, cette année, c’est difficile de ne pas parler de la pandémie de coronavirus. D’ailleurs, est-ce que ce thème de la crise sanitaire se reflète dans l’édition en ligne d’Afrique en création ?
« Oui, la pandémie a frappé l’Europe autant que l’Afrique, même si celle-ci a peut-être moins été touchée. Les artistes africains traitent de ce sujet via des petits sketches, dans leurs histoires. C’est le cas de la compagnie malienne Nama, qui a réalisé un petit sketch avec ses marionnettes. Il y a trois personnages : le lion, l’hyène et le lapin qui expliquent ce qu’est la pandémie et ce qu’il faut faire pour se protéger contre le virus, avec humour et de bonnes explications pour tous les âges. »
Ce qui est intéressant, c’est de voir que malgré les différences évidentes entre culture tchèque, européenne, et africaine, cette tradition du jeu de marionnettes et des contes est quelque chose de commun en Tchéquie comme dans d’autres pays d’Afrique…
« Oui, c’est tout à fait cela. Pour cette raison, nous avions prévu d’inviter deux compagnies, l’une de Côte d’Ivoire, Ivoire Marionnettes, l’autre du Mali, Nama, qui vont présenter leurs spectacles en ligne. Ivoire Marionnettes proposera un spectacle de rue, ‘La main qui donne’, qui a reçu un prix aux Jeux de la francophonie en 2013. C’est une création de Soro Badrissa, qui dirige la compagnie et de Werewere Liking, une femme très importante dans le théâtre ivoirien, notamment dans les domaines des marionnettes, de la danse, dans ce mélange de différents genres. Elle est aussi dramaturge. La compagnie malienne Nama présentera donc son petit sketch ‘Les marionnettes contre la pandémie’. Enfin, nous avons préparé ensemble un documentaire qui présente tout ce que fait Nama dans le domaine des marionnettes, qu’elles soient petites ou géantes. »
Puisque vous parliez de Werewere Liking, cette femme dramaturge, il est intéressant de constater que la question de la femme est aussi un des thèmes importants dans l’édition de cette année…
« En effet, les femmes sont très importantes cette année. On va pourtant démarrer sur le féminisme africain… avec un homme ! Il s’agit d’un grand personnage du théâtre d’Afrique de l’Ouest, Adama Traoré, metteur en scène, dramaturge, et le directeur du Théâtre des Réalités à Sikasso au Mali. Nous présentons deux de ses pièces : Confidences, qui met en scène un femme qui veut devenir actrice et qui raconte tous les obstacles qui l’empêchent de faire aboutir sa carrière. L’autre pièce s’appelle Nieba, l’histoire d’une femme qui se révolte contre la violence de son frère devenu islamiste. Elle veut être libre et s’exprimer sans contraintes. Voilà les idées que défend Adama Traoré, autant d’idées qui déplaisent à tous les djihadistes et islamistes de son pays. L’autre thème féminin est lié de Daniely Francisque, auteure et actrice martiniquaise, qui présente sa pièce Cyclones que nous avons traduit et que nous allons lire en tchèque, en collaboration avec le Théâtre Švanda. »
Puisque vous mentionnez cette auteure martiniquaise, on constate que ces dernières années les cultures africaines des Antilles sont beaucoup plus présentes dans la programmation du festival…
« Notre festival s’appelle ‘Afrique en création, ou Nous sommes tous africains’. Aux Caraïbes, en Martinique, j’ai découvert un territoire où toutes les cultures se mélangent, où se mélangent les cultures africaines, européennes, américaines, asiatiques. Toutes ces influences se mélangent également dans les œuvres des auteurs. C’est également le cas de Daniely Francisque ou de Bernard Lagier qui a écrit ‘Moi, chien créole’, une pièce très importante pour la dramaturgie caribéenne. C’est la confession d’un chien, qui est une métaphore de la vie créole et parle de la recherche de l’identité créole. »
Comment envisagez-vous la prochaine édition du festival ? Difficile de faire des projets à l’heure actuelle, surtout à long terme, mais avez-vous une petite idée, tout de même, de la forme que pourrait prendre la prochaine édition ?
« J’ai même une grande idée sur la question. Pendant 16 ans, nous avons vraiment fait du bon travail, nous avons tissé des liens avec de nombreux artistes africains et la collaboration marche désormais parfaitement. Je suis heureuse de pouvoir bénéficier du soutien de la mairie de Prague, du Fonds national de la culture, et de certains théâtres et festivals tchèques, mais aussi avec l’Organisation internationale de la francophonie, l’ambassade de France ou l’Institut français de Prague. Donc, je souhaite faire évoluer tout cela, et j’espère qu’on pourra mettre sur pied quelque chose en dépit des soucis financiers. Il ne faut vraiment pas lâcher ce projet… »