Ferda la Fourmi fête ses 90 ans
Personnage qui a bercé l’enfance de nombreuses générations de Tchèques, Ferda la Fourmi (Ferda mravenec en tchèque) est né il y a 90 ans. A Prague, une exposition est actuellement consacrée à son auteur Ondřej Sekora.
Journaliste, dessinateur et caricaturiste passionné par la nature et le rugby, Ondřej Sekora a commencé sa carrière au sein du journal de Lidové noviny, dont il a été le correspondant à Paris entre 1923 et 1927. Chargé de la rubrique sportive et des pages réservées aux enfants, Sekora y a publié la première bande dessinée consacrée à Ferda en 1933. Le succès des aventures de cette fourmi bricoleuse et créative, qui rend service à tous les petits animaux qu’elle croise lors de ses expéditions, a été immédiat. On écoute Tomáš Prokůpek du Musée morave de Brno, auteur de la nouvelle exposition consacrée à Ondřej Sekora à la Villa Pellé, dans le quartier pragois de Bubeneč :
« Ferda la fourmi est un personnage extrêmement bien conçu et dessiné avec précision. Le style artistique de Sekora n’a pas vieilli, on ne dirait vraiment pas que Ferda a 90 ans ! Le dessin est vif et intemporel. De plus, le monde des insectes peut facilement être utilisé comme une métaphore. Sekora lui-même a transformé cette métaphore de différentes manières, en tenant compte de l’époque à laquelle il vivait, et cela fonctionne encore aujourd’hui. »
Bien que destinées aux petits lecteurs, les premières aventures de la fourmi astucieuse, à l’indispensable foulard rouge à pois blancs, reflétaient l’ambiance des années 1930 :
« Dans l’une des premières BD, Ferda joue au loup avec des petites mouches et d’autres insectes. Les yeux bandés, il se retrouve soudain en pleine guerre entre fourmis jaunes et fourmis rouges. Il faut se rendre compte que nous sommes en 1933, l’époque où Hitler arrive au pouvoir et où la rhétorique agressive de l’Allemagne se fait entendre partout… Dans cette histoire, des bombes sont larguées, des fourmis sont déchiquetées et des gaz toxiques sont utilisés. Ferda est présenté comme un pacifiste, comme une victime innocente de la guerre qui a la chance de survivre. »
A partir de 1936, Ondřej Sekora publie des livres pour enfants avec Ferda la Fourmi comme personnage principal, devenus très populaires en Tchécoslovaquie comme dans d’autres pays d’Europe. Après l’occupation du pays par les nazis en 1939, la vie de l’auteur bascule, elle aussi, dans le drame. Sa femme d’origine juive est déportée au camp de Terezín. Lui-même doit quitter la rédaction de Lidové noviny et passe la guerre dans des camps de travail.
Après la guerre, lorsque la famille se retrouve, Ondřej Sekora reprend son travail d’écrivain et d’illustrateur. Il publie des dizaines de livres pour enfants à succès, avec Ferda comme personnage principal, ainsi qu’avec d’autres héros du monde animal. Ces histoires sont parfois influencées par la propagande du régime communiste, comme l’explique Tomáš Prokůpek :
« Sekora croyait sincèrement en idéaux communistes. Dans ses BD des années 1950, Ferda passe pour un travailleur laborieux qui emmène des scarabées aux frottoirs brillants à la collecte des matières premières, et quand une limace paresseuse se met sur son chemin, lui et ses amis fourmis la jettent dans un ruisseau. Ce qui est également problématique aujourd’hui, c’est la manière dont il représentait parfois les femmes ou les gens de couleur. Mais la plupart des histoires peuvent être rééditées sans problème et sont compréhensibles pour les enfants aujourd’hui. »
Ferda la Fourmi a également joué, dès 1944, dans plusieurs films de marionnettes et dessins animés. L’exposition qui se tient jusqu’à la mi-mai à la Villa Pellé est consacrée non seulement à ce personnage aimé des tout-petits en Tchéquie comme à l’étranger, mais également au parcours de son père Ondřej Sekora, par ailleurs intimement lié à l’univers francophone.
Elle présente, entre autres, ses dessins et reportages du Tour de France et des Jeux olympiques de Chamonix, ainsi que ses peintures inspirées d’Henri Rousseau, sans oublier que c’est en France que l’artiste s’était passionné pour le rugby, discipline qu’il a ensuite fait découvrir aux Tchèques, initiant, dans les années 1920, la création des premiers clubs du rugby dans le pays et traduisant les règles du jeu du français vers le tchèque.