Guy Goffette : «Verlaine apporte un petit supplément d’âme dont tous les êtres humains ont besoin.»
C’est grâce à la foire, Le Monde du Livre, que nous avons eu l’occasion d’accueillir à Prague Guy Goffette. Ce poète et romancier mais aussi enseignant, libraire et éditeur, est lauréat de nombreux prix littéraires dont le Grand Prix de poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Grand admirateur de Verlaine, il a écrit une biographie imaginaire de ce poète intitulée «Verlaine d’ardoise et de pluie». Ce livre ainsi que le rapport entre la poésie et la vie de Verlaine sont les thèmes principaux d’un entretien que Guy Goffette a accordé à Radio Prague.
Qu’est ce qui a été plus important pour vous quand vous avez décidé d’écrire un livre sur Verlaine, la poésie ou la biographie ? Les vers ou la légende de la vie de Verlaine ?
«C’est d’abord la poésie. Il faut dire que pendant quarante-sept ans je n’ai pas connu Verlaine. A l’école on m’avait parlé de Verlaine et de Rimbaud, mais comme j’étais dans une école catholique et, comme vous le savez, à dix-sept ans on n’est pas sérieux comme disait Rimbaud, j’ai choisi plutôt Rimbaud que Verlaine. Et c’est ainsi que pendant des années, je n’ai pas lu Verlaine. Et puis à quarante-sept ans, au Québec, j’avais besoin d’entendre la voix, la poésie française et j’ai lu Verlaine. J’ai entendu à la radio un poème de Verlaine, je l’ai appris par cœur, et après, j’ai appris la biographie, je me suis passionné pour le personnage qui est meilleur qu’on ne le dit. On le présente toujours comme un vieil alcoolique violent. Et pourtant c’est un homme très bon, sauf quand il a bu.»
C’est justement ce que je voulais demander. Qui est-ce ? Qui est Verlaine pour vous. Est-ce ce poète lyrique, charmant et doux ou un poète maudit, un homme violent, un vieux satyre qui n’a reculé même pas devant la pornographie?
«D’accord avec Jorge Luis Borges, je dirais que c’est un poète français par excellence. Ce n’est pas Victor Hugo, ce n’est pas Baudelaire, ce n’est pas Rimbaud, c’est Verlaine qui a su traduire dans la langue française avec une délicatesse de dentellière la beauté de la langue française. Il a inventé l’impair, il a rendu sa mélodie et sa musique à la langue française qui commençait à être lourde avec l’alexandrin qu’on connaissait depuis Racine. On dit que Verlaine est le poète le plus musical. Donc Verlaine pour moi c’est d’abord un poète. Sa vie vient après. Verlaine, poète érotique, est un mauvais poète. Dans les recueils ‘Hombres’ et ‘Femmes’, il n’y pas de très bons poèmes. C’est le poète de la fin, le poète alcoolique qui a perdu sa voix. Le grand Verlaine, c’est le Verlaine du début, des ‘Poèmes saturniens’, des ‘Romances sans paroles’.»
‘C’est un oeil avant toute chose,’ dites vous au début d’un des chapitres de votre livre, est c’est une évidente allusion au vers de Verlaine ‘De la musique avant toute chose’. Pouvez-vous expliquer cela ? Pourquoi l’œil?
«Paul Claudel disait que l’œil écoute. C’est le titre d’un de ses livres. Effectivement, chez Verlaine il y a d’abord la perception visuelle avant la perception auditive. Et cette perception visuelle, le fait de voir, le fait entendre. Il entend la musique du paysage. Vous voyez des collines et vous les entendez dans ses poèmes. Par exemple ces vers : ‘Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L’inflexion des voix chères qui se sont tues.’ On entend le vallonnement. Verlaine écrivait en marchant. Il écrivait en regardant, parce que dès qu’il étais assis, il buvait et ne pouvais plus écrire. Donc c’est vraiment un poète qui voit d’abord. Et je crois que les poètes sont d’abord les gens qui regardent avant d’entendre parce que ce qu’ils entendent, n’est pas ce que tout le monde entend. Ils entendent ce qu’ils voient. C’est pour moi la poésie : entendre ce que l’on voit.»
Quand on dit Verlaine, on dit aussi Rimbaud. Cette rencontre avec Rimbaud, cette liaison avec Rimbaud, a-t-elle joué vraiment un rôle si important dans sa vie?
«Je crois que cette rencontre a été très importante pour Verlaine. Elle a été même catastrophique puisqu’il a quitté sa femme, il a tiré sur Rimbaud, il s’est retrouvé en prison. Mais pendant quelques années, Verlaine est sorti de la petite vie qu’il menait à Paris, une vie d’employé à la Mairie de Paris, et il est allée sur les routes. Je crois que c’était son destin, c’était quelqu’un qui devait marcher sur les routes. Donc en rencontrant Rimbaud il a rencontré son destin, ce qu’il devait faire, ce qu’il devait être. Est-ce que Rimbaud a influencé Verlaine ou Verlaine Rimbaud ? Je pense que c’est Verlaine qui a influencé Rimbaud. Je crois même qu’il existe quelque part un texte d’un ami de Verlaine qui s’appelait Ernest Delahaye et qui dit qu’un jour Verlaine a demandé à Rimbaud pourquoi il était avec lui. Et Rimbaud lui a répondu : ‘Moi, je sais ce qu’il faut écrire, et toi, tu sais comment il faut l’écrire.’
Donc la différence entre Rimbaud et Verlaine c’est que Rimbaud est un visionnaire. Ayant beaucoup lu, il a le sens d’une vie qui est courte, il a une sorte de génie de précocité. Il doit tout dire tout de suite et sait ce qu’il doit dire, comme Mozart qui savait se qu’il devait écrire, tandis que Verlaine est plus l’homme du ‘comment écrire les choses’. D’ailleurs vous savez, on a peu de manuscrits de poèmes de Rimbaud, on a beaucoup de manuscrits de poèmes de Rimbaud écrits de mémoire par Verlaine vingt ans après. Donc dans quelle mesure les poèmes de Rimbaud ne sont-ils pas récrits par Verlaine? Je crois que cela a été une rencontre très importante mais très brève puisqu’elle a duré un peu plus d’un an. Je crois qu’elle les a marqué tous les deux. Je crois que Rimbaud a fait ce qu’il avait envie de faire. C’était un cancre, une espèce de voyou - même si j’aime Rimbaud. Et Verlaine était un lâche, un grand garçon, un grand gamin, un grand enfant, pas vraiment un homme. Et il a suivi l’autre qui était la mauvaise voie. »
Nous sommes au début du XXIe siècle. Lit-on Verlaine encore aujourd’hui ? Et pourquoi faut-il lire Verlaine ?
«Si l’on le lit encore? Je pense qu’on le lit beaucoup. Même si Verlaine n’a pas une grande place à l’Université parce que Verlaine est impalpable. C’est très difficile de parler de Verlaine à l’Université. (…) Je pense que Rimbaud c’est James Dean de la poésie. C’est fulgurant et puis c’est fini. Tandis que Verlaine c’est quelqu’un qui a quand même écrit de bons poèmes pendant très, longtemps. Il a tenu malgré tout. Je pense qu’il a le génie lent. Donc il est toujours lu.
Pourquoi devrait-on le lire aujourd’hui ? Il a le génie de la grâce, il a quelque chose de tellement important pour les gens. Quand il dit ces choses simples : ‘Le ciel est par-dessus les toits, si bleu, si calme…’, ces mots sont les mots de tous les jours, les mots les plus simples et il réussit à leur donner une musicalité qui fait du bien au cœur. Et vous savez, dans une société comme la nôtre, une société où seul l’argent est important, la vie de Verlaine et son oeuvre apportent ce qu’on appelle le petit supplément d’âme dont tous les êtres humains ont besoin.»