Hastrman, le génie des eaux devenu éco-terroriste

'Hastrman', photo: První veřejnoprávní

« L’impulsion principale pour écrire ce livre a été la colère et le désespoir provoqués par la destruction des collines en Bohême du Nord, » dit le romancier Miloš Urban (*1967) à propos de son livre Hastrman (L’Ondin) paru en 2001. Le roman qui a propulsé son auteur parmi l’élite de la jeune génération des écrivains tchèques, vient d’être porté à l’écran sous une forme réduite par le réalisateur, comédien et musicien Ondřej Havelka (*1954).

Le retour d’un baron mystérieux

Photo: Argo
C’est dans un paysage plein d’étangs et de ruisseaux dans le nord de la Bohême qu’est situé le roman de Miloš Urban. Au début du XIXe siècle, les paysans de cette contrée mènent une vie rythmée par l’alternance des saisons, les coutumes populaires et les fêtes religieuses. Cette vie paisible est perturbée par l’arrivée d’un homme étrange et mystérieux. Le baron Johan Salmon de Caus qui a longtemps vécu à l’étranger, vient pour s’occuper du domaine hérité de son père et dès son arrivée des événements inquiétants commencent à se produire. Les villageois du bourg de Stará Ves ne se doutent pas que sous l’allure aristocratique du baron se cache un ondin venu pour régner sur les eaux de la région et donc aussi sur leurs vies. C’est ainsi que s’ouvre le roman de Miloš Urban et le film qui en a été tiré. Pour réaliser ce film, Ondřej Havelka a choisi un paysage en Bohême du Nord :

'Hastrman',  photo: První veřejnoprávní
« J’ai décidé de tourner ce film surtout dans la région où est situé le roman de Miloš Urban. C’est une région sous la colline de Vlhošť ou se trouve tout un réseau d’étangs. Miloš Urban connaît très bien cette contrée parce qu’il y venait dans son enfance pour rendre visite à sa grand-mère. Il a vu que cette région souffrait des méfaits de la civilisation et c’est un thème qu’il a introduit dans son roman. Il était donc évident pour nous de tourner ce film là-bas. »

La face humaine du génie des eaux

'Hastrman',  photo: První veřejnoprávní
Le personnage du baron est ambigu. Le lecteur et le spectateur se demandent s’il est venu pour faire le bien ou le mal, s’il est venu pour assainir et recultiver la terre de ses ancêtres ou pour assouvir avant tout ses goûts de rapace et élargir sa collection d’âmes de noyés qu’il conserve emprisonnées dans de petits pots. Cet aristocrate éclairé qui lit les philosophes interdits et fait reconstruire le réseau des étangs sur son domaine, est-il un être capable de compatir avec les humains ou un monstre insensible et cruel qui ne laisse que rarement poindre ses intentions profondes ? Le comédien Karel Dobrý, qui incarne le baron dans le film, est tantôt effrayant, tantôt sympathique car le réalisateur Ondřej Havelka insiste sur l’ambiguïté du personnage :

« Je dis toujours qu’en chacun de nous il y a une bête, et si c’est un prédateur, il faut se demander si nous sommes prêts à le combattre et à le dompter dans notre for intérieur d’une façon ou d’une autre. »

Un être surnaturel dans le monde des hommes

'Hastrman',  photo: První veřejnoprávní
Un des thèmes du roman et du film est donc le conflit intérieur entre la sensibilité et la bestialité dans l’âme. Bien qu’il noie quelques villageois, l’ondin ne le fait pas par férocité mais parce qu’il estime que les noyés ont mérité d’être punis. Il noue peu à peu des relations avec le curé et le maître d’école du village et assiste aussi de loin à la vie des paysans et à leurs festivités campagnardes. Il se rapproche du maire du village et surtout de sa fille Kateřina dont la beauté fait rêver les hommes de la région. Le baron lui aussi, subit le charme de cette jeune fille indomptable et avide de savoir, qui perpétue dans le pays les traditions et les coutumes païennes symbolisant les liens profonds entre l’homme et la nature. Mais cette sympathie entre deux êtres exceptionnels qui tourne peu-à-peu à une passion dévorante, se heurte à la barrière entre le monde humain et le royaume des esprits. Ondřej Havelka avoue avoir voulu tourner un film romantique :

Ondřej Havelka,  photo: První veřejnoprávní
« Je dirais que c’est un récit d’amour romantique mais je redonne au romantisme sa signification fondamentale. Le romantisme implique donc aussi l’érotisme, la décadence, les éléments d’horreur et les aspects rudes de la vie. Oui, ce sujet comprend aussi des éléments d’horreur ainsi que certains aspects d’un thriller, mais c’est un thriller conçu très ironiquement. »

Le dilemme d’un réalisateur de cinéma

Le paysage d’une beauté austère et mélancolique devient donc témoin de cette histoire d’un génie des eaux qui s’éprend d’une vierge. Une histoire d’amour condamnée à l’échec car, à la fin, les villageois découvrent la nature monstrueuse du baron et le chassent du pays. Il part en emportant l’âme de Kateřina dans un petit pot après avoir déposé son corps dans une glacière souterraine pour pouvoir la ressusciter dans un avenir lointain. Et c’est la fin de la première partie du roman.

Dans la suite le romancier raconte le retour de l’ondin dans la région après une absence de presque deux siècles. Cependant, le réalisateur Ondřej Havelka n’est pas allé jusque-là. Après une période d’hésitations il a décidé finalement de ne porter à l’écran que la première partie du roman :

'Hastrman',  photo: První veřejnoprávní
« Il faut dire que nous avons longtemps réfléchi à la façon de représenter dans notre film les deux époques, le passé et le présent. Et dans les premières versions du scénario figurait aussi la partie de l’histoire située à l’époque contemporaine. Mais plus nous y réfléchissions, plus cette partie contemporaine du scénario se rétrécissait parce qu’elle nous plaisait de moins en moins. Et nous avons fini par décider que nous ne pouvions pas, certes, omettre dans notre film le message actuel du roman de Miloš Urban, mais que ce message n’y figurerait que de façon symbolique. Les lecteurs du roman seront donc peut-être déçus mais ils doivent admettre que c’est une œuvre si vaste et si richement structurée, que nous avons été obligés de renoncer à certaines choses pour pouvoir nous concentrer sur d’autres parties. »

La furie dévastatrice de la fin du XXe siècle

'Hastrman',  photo: První veřejnoprávní
Revenu dans le pays après deux siècles d’absence, l’ondin ne retrouve ni le village de Stará Ves ni les champs, les forêts et les étangs de son domaine : tout a été englouti dans les eaux d’un barrage. Et même la colline de Vlhošť, ce sommet magique de la région, est rongée par une carrière de pierre. L’ondin décide de mettre fin à cette furie dévastatrice et lance une campagne pour sauver le paysage de ses ancêtres mais il se heurte à l’indifférence, à l’incompétence et aux intérêts clientélistes des personnes responsables. Face à ces nouveaux adversaires qui occupent des postes importants dans le pays, il redevient un mauvais génie et n’hésite pas à commettre des meurtres pour venger les crimes contre la nature. L’ondin devenu éco-terroriste rappelle donc aux gens que leur pays est dévoré par des intérêts égoïstes, l’âpreté au gain et l’indifférence. Ce ne sera cependant pas lui mais les jeunes membres d’une organisation environnementale qui réussiront finalement à mettre fin à l’extraction de pierre dans la région. Le moment est venu pour l’ondin de retrouver dans la glacière le corps de Kateřina pour lui insuffler la vie. L’existence terrestre de l’ondin approche de sa fin et Kateřina doit exécuter le geste final pour accomplir son destin.

'Hastrman',  photo: První veřejnoprávní