Henriette Violon-Mayer, ou le destin d’une jeune Française pendant la première République tchécoslovaque
Il y a souvent des personnes dont la petite histoire anonyme croise la grande Histoire. C’est le cas d’Henriette Violon-Mayer, une jeune Française née en 1901 à Jarnac, en Charente, et qui après avoir épousé un soldat tchécoslovaque stationné dans sa ville, se retrouve dans la toute jeune Tchécoslovaquie démocratique créée en 1918 sur les ruines de l’empire austro-hongrois. Son destin est tragique, puisqu’Henriette est morte le 5 mai 1945, sans descendance, au moment du Soulèvement de Prague. Son histoire sort aujourd’hui quelque peu de l’oubli grâce au travail de recherches d’Hélène Laborde, professeur d’histoire au Lycée français de Prague, et Marie Dussart de l’association Prague Accueil. Radio Prague les a rencontrées.
Hélène Laborde et Marie Dussart, bonjour, vous êtes toutes deux des Françaises installées à Prague. Vous êtes membre de l’association Prague Accueil et vous éditez notamment un magazine intitulé Le Mag, destiné aux expatriés français en République tchèque. Dans le cadre de ce magazine, Hélène, vous avez rédigé un article particulièrement intéressant et intitulé « Un destin franco-tchèque », consacré à une certaine Henriette Violon-Mayer, ou Mayerová. C’est aussi l’histoire d’une recherche à partir de rien. Comment êtes-vous tombée sur cette fameuse Henriette Violon-Mayer dont vous retracez l’histoire ?
HL : « C’est parti d’un hasard. Au Lycée français de Prague, en faisant du rangement, on a trouvé sur une étagère au secrétariat un livre relié qui était l’annuaire du Lycée français de l’entre-deux-guerres. De cet annuaire s’est échappée une photographie qui nous a tout de suite intriguées, puisqu’on n’arrivait pas à lire la signature en bas. A partir de là et en lisant la dédicace au verso de la photo, il m’a paru intéressant de retracer la vie d’une femme dans l’entre-deux-guerres. C’est un matériau dont les historiens rêvent parce que c’est un jeu de piste, une énigme. »C’est une véritable enquête, car vous n’êtes partie de rien, seulement de cette photographie qui vous a émue…
HL : « A partir d’une photo d’une femme qui est très belle, et puis surtout d’un mystère : derrière la photographie il y a cette dédicace. Elle a offert cette photo à une petite fille, Alenka, en 1932. Et il y a deux textes écrits en-dessous, l’un en français, l’autre en tchèque, qui nous apprennent qu’elle meurt en mai 1945 au moment du Soulèvement de Prague. Le texte en français précise même qu’elle meurt d’une balle tirée par une femme allemande. A partir de là, le mystère s’épaississait et il devenait important de savoir ce qui était arrivé à cette femme. »
Henriette Violon-Mayer est décédée le 5 mai 1945, juste avant la fin officielle de la Deuxième guerre mondiale, pendant le Soulèvement de Prague…
HL : « C’est le premier jour du soulèvement de Prague. C’est une période très troublée pendant laquelle les nazis ne sont pas encore partis. Le 5 mai 1945, à la radio tchèque, on parle pour la première fois en tchèque depuis des années, et c’est un appel au soulèvement. La ville se couvre de barricades. C’est donc une période très troublée car le danger est partout et nulle part. Les derniers SS fanatiques vont vendre chèrement leur peau et mettre la ville à feu et à sang. Les recherches que j’ai faites sur Henriette m’ont conduite à trouver deux morts un peu différentes : dans un article, j’ai trouvé qu’elle était morte parce qu’elle agitait un drapeau français à sa fenêtre, et dans un autre, qu’elle était morte parce qu’elle avait porté secours à une troupe de prisonniers français qui traversaient Prague et qu’elle avait ravitaillés. »
C’est étonnant qu’il existe deux versions aussi différentes…
HL : « En effet. Je pense que ce qui est écrit sur la dédicace de la photo, ‘tuée par une femme allemande alors qu’elle agitait un drapeau’, correspondrait plus à la réalité de l’époque. »En tout cas, il existe à Prague une plaque commémorative. Il faut savoir que partout dans la capitale tchèque se trouvent des plaques rappelant qu’à cet endroit sont tombés des Tchèques pendant le Soulèvement de Prague. Henriette Violon-Mayer a également la sienne…
HL : « C’est la première chose que j’ai retrouvée dans mes recherches. Une fois que j’ai repéré qu’il s’agissait d’une femme appelée Henriette Violon-Mayer, j’ai tapé son nom dans Google à la tchèque, Henriette Mayerová, et je suis tombée sur un site qui répertorie toutes les plaques posées à Prague et qui honorent les martyrs tombés pendant la guerre. En listant toutes les photographies des plaques, j’ai fini par trouver celle d’Henriette. »
Où se trouve la plaque d’Henriette ?
« Dans la rue Na baště svatého Tomáše, donc non loin de son domicile puisqu’elle habitait rue Na valech, dans le Ier arrondissement de Prague. Cette plaque m’a permis d’en savoir plus long sur elle. C’est là que j’ai appris qu’elle était née à Jarnac. »
Jarnac, beaucoup de Français l’associeront avec François Mitterrand, mais ce n’est pas uniquement cela. Il y a en effet une histoire franco-tchèque à Jarnac liée à celle d’Henriette !
HL : « Il faut en effet remonter à la Première guerre mondiale. Des ressortissants tchèques et slovaques se sont engagés dès 1914 auprès des troupes françaises pour combattre l’empire austro-hongrois. A partir de 1917-1918, ces légionnaires ont été formés à Cognac et Jarnac. Il y avait donc de jeunes soldats tchèques à Jarnac où ils formaient le 22e régiment. Je ne sais pas exactement comment Antonín Mayer est arrivé à Jarnac car en rencontrant le petit-neveu d’Henriette Mayer qui vit toujours à Prague, Jiří Pech, il nous a dit qu’Antonín avait été fait prisonnier en Albanie. Donc sans doute prisonnier en tant que soldat de l’empire austro-hongrois. Je suis donc allée chercher les liens qu’il pouvait y avoir entre des prisonniers tchèques sur un front lointain et Jarnac. Sur le site de l’ECPAD, j’ai trouvé que de nombreux Tchèques et Slovaques avaient été prisonniers et retournés. Ils ont donc ensuite décidé de combattre du côté des forces de l’Entente. Il pourrait donc s’agir du cas d’Antonín qui se retrouve à Jarnac où il fait connaissance d’une jeune boulangère de 17 ans, Henriette Violon, qu’il épouse en 1921. »Il va ramener Henriette en Tchécoslovaquie…
HL : « Oui. Henriette entre dans une famille de la bourgeoisie tchèque. La famille serait d’ailleurs apparentée à celle du célèbre éditeur Jan Otto. Peut-être qu’un frère d’Antonín aurait été épousé une fille de Jan Otto. Une autre fille épouse un peintre, avec lequel Henriette a peut-être pris des cours de peinture. On sait en tout cas qu’elle en a pris avec un certain Josef Vízner et M. Pech nous a montré d’ailleurs un tableau d’Henriette réalisé par ce peintre. On imagine donc bien la famille bourgeoise, d’intellectuels, qui accueille cette petite Française à Prague. »
Que fait-elle pendant ces années de vie à Prague ?
HL : « Elle est devenue institutrice au Lycée français de Prague. Elle entre en 1927 en tant qu’institutrice en maternelle, en 1929, dans la liste des professeurs des annuaires, on signale qu’elle passe en primaire. On la retrouve année après année dans l’annuaire du Lycée jusqu’en 1940, puisque 1939-1940 est la dernière année d’ouverture du Lycée français qui ferme par la suite. »Perdez-vous sa trace pendant la guerre ou savez-vous ce qu’elle a fait ?
HL : « On a complètement perdu sa trace… Elle meurt donc en 1945. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’elle a eu des funérailles quasiment nationales en Tchécoslovaquie. Les légionnaires tchécoslovaques lui rendent hommage à l’Institut Ernest Denis. Quand j’ai reçu des nouvelles de France sur Henriette, la ville de Jarnac a inauguré en 2010 une rue à son nom. La mairie nous a envoyé des renseignements concernant Henriette, et en particulier une chanson composée à l’époque en son honneur. Voilà ce que m’a écrit la mairie : ‘On lui rendit à Prague un hommage national et un chant tchèque à la gloire de la petite jarnacaise fut même composé en son honneur.’ Ce n’est donc pas une morte comme les autres. Elle a été reconnue comme quelqu’un d’important sinon elle n’aurait pas eu ce type de funérailles, puisque son cercueil a été porté par des militaires… »
Vous supposez qu’elle a fait partie de la Résistance ?
HL : « C’est ce qui me laisse penser qu’elle a pu avoir un rôle dans la Résistance tchèque, qui reste à déterminer. Il faudrait trouver les archives qui en parlent. »
Marie Dussart, vous êtes aussi partie prenante de ces recherches menées par Hélène Laborde…
MD : « Quand j’ai lu l’article d’Hélène, j’ai tout de suite été sous le charme du personnage. Mon premier métier, c’est la production de films et de documentaires et j’ai tout de suite dit que c’était un sujet formidable, qu’il fallait le creuser et essayer de faire un documentaire et un portrait sur cette femme et les légions tchécoslovaques en France. Je me suis intéressée au sujet et je travaille donc avec Hélène à essayer de remonter le fil. »Avec pour objectif final, de réaliser un documentaire ?
MD : « Tout-à-fait. A mon avis, cela pourrait très bien intéresser une chaîne comme Arte par exemple ! »
Qu’est-ce qui vous a fascinées dans ce destin franco-tchèque ?
HL : « C’est un destin qui croise deux guerres. Son destin bascule avec la Première guerre mondiale et rebascule avec la Deuxième guerre mondiale. Et entre les deux, il y a la naissance d’une nation, la Tchécoslovaquie. »
MD : « Je suis tout-à-fait d’accord. Et puis, nous nous sommes un peu reconnues dans ce destin de femme qui est dans la petite et la grande histoire. »