Heydrich et la Solution finale (2)

Edouard Husson
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Seconde partie, aujourd’hui, de notre entretien avec l’historien Edouard Husson, auteur de Heydrich et la Solution finale. Nous nous pencherons sur la Shoah mais aussi sur les phénomènes de résistance et de collaboration en Bohême et sur leur interprétation depuis la chute du communisme.

Edouard Husson
Autour de la question de la Shoah, deux écoles historiques structurent les travaux des chercheurs, deux écoles aux contours de plus en plus poreux. Pour les intentionnalistes, Hitler et les nazis avaient décidé de longue date l’extermination des Juifs d’Europe. Pour les fonctionnalistes, c’est la guerre et son évolution à partir de 1941-42 qui, dans un processus d’engrenage, a abouti à la décision génocidaire.

A l’image de nombreux historiens, Edouard Husson emprunte aux deux courants, les complétant plutôt que les opposant. Pour lui, cependant, le génocide est présent à l’esprit de Hitler très tôt...

Adolf Hitler
Dès 1939, Hitler prononce son discours sur la « juiverie internationale » qui périra si la guerre devait advenir. Pour vous, cela signifie-t-il qu’il a alors clairement à l’esprit la décision d’exterminer l’ensemble des Juifs d’Europe ?

« Tout d’abord une précision : oui, je viens plutôt de l’école intentionnaliste mais j’ai intégré dans mes travaux tout ce qu’a fait l’école fonctionnaliste. Je suis un élève de Ian Kershaw, qui, lui, vient de l’école fonctionnaliste.

Sinon, oui très clairement, Hitler (dès 1939) imagine une guerre, une guerre terrible avec des millions de morts, et il imagine, entre autres, pendant cette guerre, la mort de millions de Juifs mais ça ne veut pas dire qu’il en a déjà une représentation concrète, ni que l’ensemble des dirigeants nazis en aient une représentation concrète. Ca c’est une autre question : celle de la mise en oeuvre. Le but du nazisme, c’est de créer une Europe sans Juifs et sans les autres races dites inférieures ou en tout cas une partie d’entre elles ».

L’existence du "camp des familles tchèques" à Auschwitz, (des Juifs tchèques épargnés préservés à l’écart pendant quelques mois, avant d’être gazés) est-elle liée à la visite de la Croix-Rouge dans le camp de Terezín en 1941, déguisé alors en camp modèle par les nazis ?

« Oui il s’agit de considérations tactiques et immédiates dans un but de communication vers l’extérieur. »

Hanna Arendt parlait de la banalité du mal en prenant l’exemple d’Eichmann. Heydrich, votre sujet d’étude, n’est-il pas l’anti-exemple de l’homme moyen. Parmi les responsables et décisionnaires de la Shoah, il y avait aussi des gens appartenant au monde éduqué de l’Allemagne...

Hanna Arendt
« Oui, Hanna Arendt s’est trompée sur Eichmann lui-même. Effectivement, le Eichmann de 1961 (NDLR lors du procès à Jérusalem) est devenu insignifiant, il est éteint, et tout d’abord pour sa propre défense car il n’a pas intérêt à mettre en avant son idéologie. Mais Eichmann en 1941, le subordonné de Heydrich, est un individu fanatiquement antisémite. Et de ce point de vue là, je ne crois pas qu’on puisse parler de la banalité du mal. »

Lors de sa conférence à l’Institut Français de Prague, le 31 mai dernier, Edouard Husson évoquait la position particulière des ouvriers dans la Bohême occupée. Indispensables à l’effort de guerre allemand, ils connaissaient en effet des conditions de travail bien meilleures qu’ailleurs en Europe. Pourtant, après la guerre, le pouvoir communiste tenta de faire des milieux ouvriers l’étendard de la résistance.

« Je crois que, concernant l’histoire de la résistance et de la collaboration, il faut se garder des simplifications. Oui, il y a eu des ouvriers collaborateurs, n’en déplaise aux historiens marxistes, de même qu’il y a eu des résistants parmi eux. Il en va de même pour les classes moyennes et les grands bourgeois, avec des exemples magnifiques de résistance. »

« Je crois vraiment qu’il faut sortir de cette image inversée. Après la chute du communisme, on a eu tendance à inverser exactement le discours que tenait le communisme et ça a abouti à cette chose absurde que l’on ne fait que reproduire les exclusions que l’idéologie communiste pouvait proférer. Evidemment, dans toute l’Europe, y compris dans l’Allemagne nazie, les ouvriers n’ont pas représenté le terreau de la résistance que les communistes voulaient voir a posteriori mais bien sûr, il y a eu de magnifiques efforts de résistance parmi les ouvriers dans toute l’Europe et il faut les reconnaître pour ce qu’ils sont. »