Hlavni nadrazi - Hlavna stanica : Praha - Bratislava

Praha Hlavni nadrazi

Ils sont nombreux les trains qui nous font rêver : le Transsibérien, et ses 9000 kilomètres, plus longue voie du monde, qui relie Moscou à Vladivostok, via Pékin et Oulan-Bator sur les lignes du Transmandchourien et du Transmongolien ; le Fléche Rouge, trait d'union, au coeur de l'histoire de la Russie profonde, orthodoxe, entre Moscou et Saint-Pétersbourg ; le luxueux Orient-Express, qui effectue encore, une fois l'an, le mythique parcours Paris-Istanbul, via Budapest et Bucarest... Du Nord au Sud, et d'Est en Ouest, les trains sillonnent le monde. En Amérique latine, suivant des tracés vertigineux et se faufilant dans les lacets nuageux de la cordillère des Andes, ils tutoient les dieux et empruntent les voies sacrées des cités incas. En Afrique, depuis le delta du Nil, en passant par le Sahara, la jungle et les réserves animalières, ils évoquent l'éternité du continent. Aux Etats-Unis, enfin, inoubliables et légendaires sont les trains aux locomotives à vapeur, symbole de la conquête de l'Ouest et de son immensité, et auxquels s'opposent, désormais, les trains à grande vitesse, comme le « Shinkansen » japonais, premier du genre au monde, filant au pied du mont Fuji au milieu des rizières, ou encore l'Eurostar « high-tech » s'enfonçant dans son eurotunnel sous La Manche. Partout dans le monde, le chemin de fer provoque, stimule l'imagination. En République tchèque aussi...

Praha Hlavni nadrazi
Alors, ce mercredi, Radio Prague a pris le train pour vous offrir un voyage déjà mille fois effectué par les Tchèques et les Slovaques. Le Rychlik, ou Rapide, n° 421 transporte chaque nuit, depuis des années, des centaines de passagers entre Prague et Bratislava, les deux capitales de la défunte Fédération tchécoslovaque. 396 kilomètres, parcourus en 5 heures et 45 minutes, qui, de la Hlavni nadrazi à la Hlavna stanica, les gares centrales des deux villes, font découvrir d'autres faces, parfois plus sombres, mais tout aussi passionnantes, de la République tchèque et de la Slovaquie. Chers auditeurs bourlingueurs, en route pour l'aventure ! Prague-Bratislava en train de nuit...

Il est minuit, la nuit noire d'octobre est franchement frisquette, et dans une indifférence propre aux grandes métropoles, SDF, toxicomanes, alcooliques, jeunes paumés et délinquants ont pris possession de l'entrée de la plus grande gare et du plus important noeud ferroviaire de République tchèque pour en faire leur quartier général. Après avoir bifurqué de la place Venceslas et poliment repoussé les avances des perles bulgares qui règnent sur ses trottoirs, le tableau est désolant. C'est bien ici, à Hlavni nadrazi et dans ses proches environs, que se concentre toute la patologie sociale dont souffre Prague. Le train pour Bratislava part à 0H21, et le billet aller-retour en deuxième classe, acheté pour une trentaine d'euros, en poche, il reste un peu de temps pour jeter un oeil sur l'impressionnante coupole Art Nouveau qui surmonte le bâtiment de la gare. Le dôme dominateur est assurément un exemplaire du style unique à Prague, mais force est pourtant de constater, à regret, qu'il tombe en décrépitude. De toute façon, au milieu des odeurs de mauvaises saucisses et des regards fuyants et méfiants, mieux vaut prendre la direction du quai d'embarquement, respirer une dernière fois à pleins poumons et monter à bord du Rychlik 421. Surprise, les passagers sont plutôt peu nombreux et certains compartiments complétement vides. A l'intérieur, le confort est sommaire, mais les poubelles ont été vidées et les sièges sont propres, restés vierges de tout tag. Le convoi peut lentement se mettre en marche, s'ébranler dans la grisaille des faubourgs de la capitale, et l'insupportable chauffauge, impossible à régler, avec lui...

Pardubice
Avant de descendre vers le sud et la Moravie, le Rychlik 421 prend la direction de la Bohême de l'Est. Kolin et Pardubice sont les deux deux premiers arrêts. A Ceska Trebova, après deux heures de voyage, le train est partagé en deux. Certains wagons fileront vers Ostrava, la minière mal reconvertie, en Moravie du Nord frontalière à la Pologne, puis continueront leur route plus à l'Est encore, en Slovaquie, avec pour terminus Kosice, la déprimée industrielle, plus très loin alors de l'Ukraine...

Le reste des wagons piquera, lui, plus au sud, en direction de Brno, chef-lieu de la Moravie et deuxième ville tchèque la plus importante, puis achèvera, enfin, son parcours à Bratislava, peu après six heures et trois quarts d'heure avant le lever du soleil.

Bercés par les ronronnements monotones et les secousses régulières du train, tous les passagers se sont rapidement assoupis. Certains dorment à poings fermés. Le silence règne dans les compartiments, seules quelques voix de fumeurs réveillés par les sifflements du train sélèvent, parfois, lors des arrêts, sur les quais. La nuit, le temps du voyage garde certes sa saveur particulière, savant mélange d'immobilité, de paisibilité et d'ennui propice à la réflexion, à l'évasion et au rêve. Mais au contraire du jour, le voyage de nuit n'est pas le temps de la rencontre, de l'échange rapide de sourires et de la naissance d'une sympathie furtive avec les voisins de compartiment ou de couloir.

Bratislava
Bientôt, après le contrôle des passeports à la frontière tchéco-slovaque, c'est, enfin, Bratislava qui approche. La nuit sombre commence à se faire plus claire. La plaine blanchie par le gel s'étend indéfinniment. De petits villages, perdus, encore endormis, apparaissent, soudainement, de temps à autre, ici ou là, au fil du voyage. Enfin, après de cinq heures de voyage, voilà Bratislava, la capitale aux airs provinciaux, et sa Hlavna stanica. Sur ses bancs, les SDF finissent leur nuit avant que la police ne vienne les réveiller. Ici comme à Prague, le quart-monde est omniprésent. Puis, peu à peu, les passages se font plus nombreux. Bratislava se rend au travail et à l'école. Il est alors temps de sortir le bout de son nez. Dehors, l'air est sec et frais, le soleil resplendissant est bas et allonge les ombres des passants. Il faut alors se hâter, lentement, pour s'ennivrer, de pas en pas, de la beauté et du charme ensorcellants des nymphes slovaques. Pour leurs traits tellements slaves, leurs regards et leurs sourires complices, rien que pour cela peut-être, le voyage Prague-Bratislava en train de nuit vaut la peine d'être enduré. Car un vrai bonheur, l'enchantement des sens, se trouve au bout de la route et de l'aventure. « Dovidenia », au revoir en slovaque...