Huis-clos dans la Prague de l'après 1968
Françoise Henry est écrivain et vient de publier au printemps, chez Grasset, Juste avant l’hiver, un roman qu’elle a situé à Prague, en 1969. Alors que le pays sombre dans la normalisation, un tragique huis-clos se déroule dans un café pragois : Ivana en est la patronne assez âgée. Elle observe avec envie les amours clandestines de sa serveuse jeune, et pleine de vie, Anna, avec un des clients, Pavel, un jeune étudiant dissident. Au coeur de ce café pragois se joue en condensé le destin historique d’un pays à travers les destins individuels de quelques personnages du récit.
« Cela faisait très longtemps que j’étais sur ce projet puisqu’une première version datait de 1991. Ce livre est né avec le personnage de la serveuse slovaque Anna. Ma soeur et moi avons eu autrefois une ‘nounou’ qui était tchèque. Toute mon enfance a été baignée d’objets de là-bas, de poupées, de tabliers brodés. Cette personne que j’ai assez peu connu, puisque j’ai quitté Paris à l’âge de 6 ans, et je ne l’ai retrouvée que plus tard à Paris, alors qu’elle allait bientôt mourir. Bien sûr, le personnage principal c’était elle, mais souvent quand on écrit, c’est un autre personnage qui prend la voix, là, c’est la patronne du café. En outre, mes parents étaient en août 1968 à Prague. Ils ont vécu l’intervention des chars russes en direct. Ca m’a beaucoup marquée car ils nous en ont parlé. Et puis, il y a eu voyage en mai 1989 avec mon mari, où j’ai découvert un pays sous régime communiste. Ca a été comme entrer dans un autre monde. C’est une impression qui est toujours aussi forte en moi aujourd’hui, qui a déclenché l’écriture de ce livre. »
Vous dites que ce livre est né d’une longue gestation... pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Vous attendiez le moment opportun ?
« Oui, quand j’ai demandé une mission Stendhal en avril 2000, j’ai découvert une autre Prague, complètement différente. Cela a accentué mon désir de parler de la Prague d’avant, telle que je l’avais vue encore sous le régime communiste. J’ai écrit une première version. Ce n’était plus alors une question d’écriture, puisque l’histoire était là, mais une question de point de vue. De plus en plus quand j’écris, il faut que j’attende que les choses viennent sous une certaine voix. En l’occurence, ça a été la voix de cette patronne de café qui n’était pas du tout un personnage principal dans les précédente versions, qui s’est mise à parler et quand cette voix a été là, j’ai su que ce serait par elle que passerait l’histoire. Par cette femme brisée, par ce qui lui est arrivé en 1948, vingt ans auparavant, dont l’amour a été brisé par le régime. Que c’est par cette voix venue de loin, de nostalgie, d’envie et de souffrance que passerait l’écriture de l’histoire d’Anna, cette jeune serveuse. »
Suite de cet entretien dans la rubrique culturelle de dimanche.