Humpolec, chef-lieu de « Ploucland » ?

Humpolec, photo: Fojsinek, CC BY-SA 3.0

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague ! Tout est dans le titre, sauf la réponse. Pour cette fois, nous allons nous intéresser à deux mots plutôt amusants et quelque peu curieux de la langue tchèque. Deux mots qui n’ont rien à voir avec cette jolie ville qu’est Humpolec, même tout pourrait le laisser croire. Explications.

Humpolec,  photo: Fojsinek,  CC BY-SA 3.0
Récemment, deux journalistes français étaient de passage en République tchèque pour un reportage sur la situation politique dans le pays. Rien que du très classique ces derniers temps avec, pour les besoins du reportage, la nécessité d’interroger des électeurs du président réélu Miloš Zeman sur les raisons de leur vote, histoire d’essayer de mieux comprendre celui-ci. C’est ainsi que nos deux journalistes en question, accompagnés d’une traductrice, se sont retrouvés à Humpolec, paisible ville d’une dizaine de milliers d’habitants située dans la région très verte de Vysočina, quelque part à mi-chemin entre Prague et Brno. Humpolec, sa place, ses deux très belles églises, l’une catholique et l’autre évangélique dans une terre traditionnellement de protestantisme, son ancienne synagogue, son cimetière juif, ses rues pavées, son écomusée et, bien sûr, sa brasserie magnifiquement restaurée qui produit l’excellente Bernard Pivo, une des toutes meilleures bières produites aujourd’hui en République tchèque. Bref, une jolie petite ville typique de la Bohême et de la Moravie, et plus généralement de l’Europe centrale. Or, v’là-t’y pas que l’une des deux journalistes a qualifié, quelque peu péjorativement, Humpolec de… « Ploucland » !

Puisque nous n’étions pas en leur compagnie pour cette virée et ce grand reportage dans la campagne tchèque, si nous le savons, c’est parce que c’est la traductrice qui nous l’a dit… C’est elle en effet, pour ne pas accuser à tort nos journalistes français, qui nous a donné l’idée de cette rubrique en nous expliquant qu’elle leur avait fait part de l’existence en tchèque du substantif « humpoláctví » et de l’adjectif « humpolácké ». Deux mots qui, si l’on s’en tient au bon vieux dictionnaire tchéco-français qui traîne dans nos bureaux, désignent une forme de balourdise. Tout le monde sait parfaitement ce que l’on pense lorsque l’on dit de quelqu’un d’autre que c’est « un gros balourd », à savoir une personne à l’esprit obtus, fruste, bourru, qui manque de finesse, de tact, et qui est maladroite, voire grossière, tant dans son comportement que dans ses propos.

Humpolec,  photo: Dezidor,  CC BY 3.0
Naturellement, le premier réflexe est de penser que les habitants d’Humpolec sont « humpoláčtí », c’est-à-dire donc des balourds, des paysans bruts de décoffrage, bref des ploucs. Sauf que… Sauf que les choses ne sont bien évidemment pas si simples.

D’abord parce que l’adjectif « humpolácký » peut aussi servir à qualifier des choses rudes ou épaisses, en tous les cas assez rudimentaires, fruits d’un travail grossier fait sans délicatesse et sans soin. Dans la principale source que nous avons trouvée, tirée d’une rubrique proposée il y a quelques années de cela par la Radio tchèque, il est ainsi fait mention d’une chronique signée Karel Čapek, journaliste à ses heures perdues, dans laquelle l’écrivain explique que « to slovo se obyčejně vysvětluje z humpoleckých suken, jež prý slynula svou drsností a pevností », autrement dit « ce mot s’explique habituellement par les tissus de Humpolec qui sont connus pour leur rudesse et leur solidité ». Toutefois, cette explication relative à l’étymologie du mot « humpolácké » ne convenait guère à Čapek, qui préférait celle selon laquelle le substantif « humpoláctví » serait davantage à rapprocher du… français et du mot « humble » dans le sens non pas d’humilité ou de modestie, mais plutôt dans celui de quelque chose sans éclat, peu élaboré, autrement dit sans prétention, comme lorsque l’on parle d’humbles travaux ou d’une humble maison.

Quand Čapek aussi se trompait

Seulement voilà, le sens que renferme le mot « humpoláctví » ne correspond pas à l’idée que l’on se fait des valeurs que sont la modestie et l’humilité et n’ont, au bout du compte, pas grand-chose en commun. Pour mieux comprendre, essayons donc de nous intéresser à l’origine de l’appellation d’Humpolec. Et là, on découvre, sans grande surprise, que cette origine est allemande, et ce parce que la ville – qui n’en était pas encore une d’ailleurs à l’époque – a été fondée au début du XIIIe siècle par un ordre de chevaliers germaniques. En allemand, Humpolec s’appelait donc « Gumpolds », littéralement « le village de Gumpold », qui est un vieux prénom allemand. Ce n’est que plus tard que ses habitants ont donné une connotation tchèque à l’appellation, qui est d’abord devenue « Humpolc », puis Humpolec. Cette étymologie nous confirme ainsi que le nom Humpolec n’a absolument rien à voir avec la rudesse évoquée précédemment, que ce soit du point de vue linguistique ou de celui des caractéristiques spécifiques des habitants d’Humpolec.

Humpolec,  photo: melechovsky,  CC BY 3.0
Il convient donc de chercher ailleurs l’origine du mot « humpoláctví », ce qui, comme souvent en tchèque, nous ramène de nouveau à l’allemand et confirme l’idée selon laquelle pas même le grand Karel Čapek n’avait raison quand il faisait le lien avec le français et l’adjectif « humble », probablement aussi pour un motif phonétique.

Pensons alors ici (c’est du moins ce qu’ont fait les linguistes tchèques…) au vieux verbe « humplovat », dont - nous dit-on - il était fait usage dans des dialectes de Moravie et de Bohême de l’Est. Ce verbe signifiait alors « détruire, abîmer, gâcher quelque chose » et provenait de l’allemand « Humpler » qui désignait une personne maladroite, celui ou celle qui gâchait tout. La seule chose que l’on ne sache finalement pas est si les mots actuels « humpoláctví » et « humpolácké » découlent du verbe dialectal « humplovat » ou directement de l’allemand « Humpler ». Mais cela importe assez peu, l’essentiel étant de savoir qu’Humpolec n’est pas « Ploucland » et que ses habitants ne sont pas des « burani » ou des « křupani » comme disent aussi les Tchèques, bref des paysans ou des péquenauds. Et ce, même si comme partout ailleurs, qu’ils votent ou non Zeman, quelques ploucs doivent bien aussi se cacher parmi eux…