Il y a 555 ans débutait le périple européen de Léon de Rozmital
A la fin du mois de novembre de l’année 1465, Lev (ou Léon) de Rozmital (de son nom complet tchèque Jaroslav Lev z Rožmitálu a na Blatné) entreprit un long voyage pour le compte de son beau-frère Georges de Podebrady (Jiří z Poděbrad), le roi de Bohême qui avait l’objectif de former une alliance des pays d’Europe. Les participants à ce pèlerinage étaient avides surtout de connaître de nouveaux pays, de faire connaissances de leurs princes et de voir les coutumes et mœurs des peuples étrangers.
Venez donc avec nous faire un voyage en France dans la suite du Messire Lev de Rozmital qui l’un des plus grands seigneurs des pays de la couronne tchèque. Les documents d'époque présentent Lev de Rozmital, frère de la reine de Bohème, comme un seigneur brillant admiré par les hommes et chéri par les femmes. Il a décidé de se rendre dans plusieurs cours d'Europe européennes et aussi en France, pays qui attirait les peuples du 15ème siècle par son rayonnement politique et culturel et qui imposait sa mode à tout le continent.
Grâce à deux des membres de l'expédition nous avons aujourd'hui des témoignages écrits sur ce voyage mémorable qui nous instruit sur les coutumes de l'époque et étale devant nous les fastes du Moyen Age tardif. Une description en a été faite par Gabriel Tetzel en allemand. Le récit tchèque des aventures de Lev de Rozmital et de sa suite a été écrit par le chevalier Vaclav Sasek de Birkov.
Bien que la version originale du récit ait été perdue, nous possédons heureusement une traduction latine de ce texte publié en 1577 par l'évêque d'Olomouc, Stanislav Pavlovsky de Pavlovice. Comme je viens de dire, Lev de Rozmital n'entendait pas donner à ce voyage organisé pour son plaisir un caractère politique, mais désirait d'en profiter pour améliorer dans les pays européens la réputation des pays de la couronne tchèque qui ont souffert des guerres hussites. Ces guerres ont opposé les Tchèques à pratiquement toute l'Europe catholique.
Il se proposait de montrer que les Tchèques n'étaient pas un peuple sauvage et hérétique, qu'ils n'étaient pas seulement de bon soldats capables de mettre en fuite des armées catholiques. Il voulait démontrer avec éclat que son peuple était hautement civilisé et ne craignait pas de s'égaler aux populations européennes les plus raffinées. Connu pour sa générosité, il n'a ménagé ni ses efforts ni sa bourse pour faire dans les cours européennes la meilleure impression. Sa suite comptait une cinquantaine de chevaux et il s'est fait entourer de plusieurs chevaliers et de nombreux serviteurs, dont des musiciens et des cuisiniers, qui devaient le protéger contre les incommodités du voyage mais témoigner aussi de sa gloire et de sa noblesse.
L'Allemagne, la Flandre, l'Angleterre, la France, l'Espagne - tels étaient les objectifs principaux de ce voyage. L'expédition a traversé toute l'Allemagne, s'est rendue à Francfort et a été reçue avec beaucoup d'honneurs par le duc de Bourgogne à Bruxelles. Ensuite, elle s'est rendue à la cour d'Angleterre, a traversé la Manche, a rencontré à Nantes François, le duc de Bretagne. A Tours, Lev de Rozmital et sa suite ont rendu visite à Madeleine, fille du roi Charles VII qui avait été fiancée au roi Ladislas de Bohême mort prématurément en 1457. Après avoir visité les châteaux d'Amboise et de Blois, les seigneurs tchèques ont rencontré le roi de France Louis XI à Meung qui leur a réservé un accueil quasi royal.
Laissons parler maintenant le chevalier Vaclav Sasek de Birkov (Václav Šašek z Bířkova) qui nous a laissé un témoignage assez détaillé sur l'arrivée de Lev de Rozmital et de sa suite à Meung.
"C'est là que nous rencontrâmes le roi de France avec son épouse; il reçut Messire Lev avec honneur et l'invita à un festin ainsi que sa suite. La France est le plus grand des pays et le plus riche en toute chose de tous les pays chrétiens... Le roi invita Messire Lev pour le troisième jour chez lui, le traita très aimablement et le présenta à la reine et à ses demoiselles. La reine reçut Messire Lev et chacune des dames l'embrassa sur la bouche. Car ainsi le roi l'avait ordonné et voulu. Ensuite, la reine serra la main à chacun de ses chevaliers et toutes ces dames étaient très aimables pour lui et pour ses chevaliers. Ensuite le roi fit préparer un admirable festin pendant lequel notre seigneur et ses chevaliers furent servis par de puissants comtes et seigneurs. Et le roi pria Messire Lev de venir en ami avec lui : et il le pria de rester chez lui six mois ou toute une année et se déclara prêt à tout faire pour lui. On a dit que le roi n'avait jamais, a aucun prince, fait un tel honneur qu'à notre Messire Lev de Rozmital."
Le pèlerinage de Lev de Rozmital et de ses chevaliers a duré deux ans. Après avoir passé de beaux moments à la cour de France, les voyageurs tchèques, ravis par cet accueil chaleureux, ont repris leur chemin et se sont dirigés vers le Sud. Ils sont passés par plusieurs villes françaises, dont Poitiers, Blaye et Saint-Jean-de- Luz et ont franchi la frontière espagnole. Ils ont parcouru l'Espagne de long en large, sont descendus jusqu'au Portugal. Ils ont admiré la beauté des villes espagnoles et la splendeur de leurs cathédrales. Ils ont traversé la Castille, l'Aragon, la Catalogne et ont été reçus à la cour. Finalement, ils ont décidé de rentrer en Bohême.
Le voyage de retour fut long, compliqué mais intéressant. Revenus en France, ils sont arrivés dans le Roussillon, sont passés par Narbonne, Nîmes, Avignon et finalement par le Dauphiné. En Italie ils se sont rendus dans le Piémont, ont admiré les beautés de Milan, de Vérone et de Venise et ont regagné la Bohême par la Carinthie et la Styrie. Leur pèlerinage leur a permis de connaître les cours les plus importantes d'Europe, de nouer des contacts avec des princes et des personnalités politiques de plusieurs pays. Enrichis de nombreuses expériences précieuses ils sont arrivé finalement dans la capitale du Royaume tchèque. Dans une étude sur les relations intellectuelles entre la France et la Bohême, Hanus Jelinek résume ainsi leur mission et évoque leur retour au pays:
"Par leur conduite chevaleresque, par leur force et leur adresse dans les tournois autant que par leur noble désintéressement les seigneurs tchèques avaient beaucoup contribué à dissiper les préjugés répandus en Occident sur la nation des Hussites. Il revinrent chargés d'honneurs et d'insignes d'ordres étrangers: à Prague il furent reçus par une procession portant le Saint-Sacrement, l'archevêque hussite Rokycana en tête du clergé et des étudiants, une foule de nobles et de chevaliers suivant avec une centaine de clairons: ils durent monter au château où le roi et la reine reçurent à bras ouverts leur frère et ses compagnons."
(Le fragment du récit de voyage de Vaclav Sasek de Birkov cité dans ce programme a été traduit en français par Hanuš Jelínek.)