Il y a 65 ans, Prague était bombardée

« Mercredi des cendres » est le titre d’une exposition inaugurée dans la galerie de l’hôtel de ville de la Nouvelle-Ville de Prague. L’Institut d’histoire militaire, à l’origine de cette exposition, y présente des photos inédites du bombardement aérien de Prague par les alliés américains et britanniques, il y a de cela 65 ans, le 14 février 1945.

L’historien Jan Boris Uhlíř évoque les origines des photos exposées :

« Nous avons obtenu ces photographies grâce à l’héritage du photographe Stanislav Maršál à la fin de 2008. L’atmosphère qui émane de ces images exclusives est sans précédent. Nous exposons près de 70 photographies d’époque complétées par des clichés pris à l’heure actuelle pour permettre une comparaison de la Prague bombardée et la Prague aujourd’hui. »

Le son des sirènes déclenchant l’alerte aux avions et appelant la population à aller se réfugier dans les bunkers a retenti à Prague le mercredi 14 février 1945, à midi. Dans un ciel tout bleu, près de 60 bombardiers B-17 de la 8e armée de l’air américaine apparaissant au sud-ouest, ont lâché plus de 150 bombes sur la ville. En 4 minutes, le bombardement a fait 700 morts, près de 1 200 blessés graves, et d’importants dégâts matériels. Le nombre important de victimes est dû au fait que l’alerte aérienne a été donnée trop tard, souligne Václav Ledvinka, directeur des Archives de Prague :

« Le bombardement a été soudain et inattendu. Il a frappé le centre même de Prague. D’après ce que nous savons aujourd’hui, l’alerte a été donnée 5 minutes avant que les premières bombes n’explosent, et les gens qui étaient dans les rues n’ont pas eu le temps d’aller se réfugier dans les abris. »

Les premières bombes ont touché les quartiers de Radlice et de Smíchov, dans la partie ouest de Prague, les autres ont atteint les quartiers de Pankrác, Nusle et Vršovice, situés vers le sud-est. Le quartier de Vinohrady est devenu l’épicentre des bombardements, avec notamment l’ensemble gothique d’Emmaüs, complètement détruit qui est devenu le bâtiment symbolique de ce désastre. L’alerte a été levée à 13 heures 10 minutes, mais Prague était en flammes encore trois jours après. Le nombre de bâtiments tombés en ruines suite au bombardement est évalué à 700. Parmi eux, des maisons d’habitation, des écoles, des hôpitaux, ainsi que de nombreux monuments précieux comme la maison Faust sur la place Charles, l’église Saint-Venceslas de Zderaz, le bâtiment du théâtre Na Vinohradech, le pont Palacký, la villa Grebe, et aussi la somptueuse synagogue au coin de la rue Sázavská disparue à jamais.

Les raisons du bombardement ont été au centre de nombreux débats et bien que les milieux officiels américains aient exprimé leurs regrets, la réponse reste ouverte. Selon certaines sources, Prague a été bombardée par erreur : une mauvaise visibilité aurait induit en erreur les bombardiers qui ont alors confondu Prague avec Dresde. Or Dresde avait été bombardée la veille avec une intensité sans comparaison, alors que Prague était restée jusqu’alors pratiquement intacte, une constatation qui remet en cause cette hypothèse. Une faute fatale dans la navigation suite à une panne du radar de bord du chef de l’escadrille pourrait également en être la raison, observe l’historien Jiří Rajlich :

« Des conditions climatiques assez défavorables ont régné au moment où l’escadrille quittait les îles britanniques. Des vents contraires très forts soufflaient au-dessus de l’Europe centrale ce qui a fait qu’une partie des bombardiers ont changé de trajectoire, plus au sud de quelques 60 à 100 milles. L’erreur a été mise à jour relativement très tôt, lors d’un débriefing après l’opération. Le colonel Luis Ensign, commandant de la 398e escadrille, chargé du bombardement de Prague, en a été rendu responsable. »

Après le bombardement dévastateur du 14 février qui a profondément choqué les Praguois et dont on croyait qu’il serait le dernier, deux raids de moindre intensité ont encore été exécutés, les 2 et 3 mars 1945. Le 25 mars, des bombardiers américains sont une fois de plus apparus au-dessus de Prague, lançant leur charge sur la partie nord-est, où se trouvaient des usines stratégiques pour la guerre. Plus de 60 usines ont alors été détruites dans les quartiers de Vysočany et Libeň, dont les usines mécaniques de Českomoravská Kolben-Daněk. Le bombardement entrepris le 25 mars 1945 a provoqué des dégâts matériels énormes, ainsi que 250 morts et 500 blessés. Le fait que le bombardement ait eu lieu un dimanche et que les employés n’aient pas été au travail a empêché que les pertes ne soient pas plus lourdes.

Il a fallu un demi-siècle pour que Prague puisse effacer les traces des bombardements. La Maison dansante de l’architecte américain Frank Gehry est le dernier bâtiment construit dans un espace vide laissé par une bombe sur le quai Rašín. L’exposition de photographies du bombardement aérien de Prague d’il y a 65 ans est à voir dans les locaux de l’hôtel de ville de la Nouvelle Ville jusqu’au 14 mars prochain.