Industrie de l’armement : entre les entreprises et les banques tchèques, des échanges compliqués
Alors qu’elles disposent de nombreuses commandes, les entreprises tchèques de l’industrie de l’armement, notamment les PME, se plaignent depuis un certain temps déjà de l'attitude des établissements bancaires qui, souvent, refusent de financer leurs projets. Pour permettre à un secteur clé de l’économie tchèque de poursuivre sa croissance dans un contexte géopolitique dégradé, le ministère de la Défense s’efforce d’aider les différentes parties intéressées à mieux communiquer entre elles.
Comme d’autres pays européens, la République tchèque s’efforce, elle aussi, depuis le début de la guerre il y a un peu plus de deux ans, d’aider l’Ukraine, confrontée à la fois à la supériorité russe et à une pénurie d’armes, en lui fournissant du matériel militaire. Sauf que pour diverses raisons, ce matérial manque cruellement dans les entrepôts européens.
Plus généralement, dans un contexte géopolitique dégradé et un environnement stratégique menaçant, la question de la défense se pose de façon renouvelée. Et ce, donc, en République tchèque comme ailleurs, avec en toile de fond deux autres questions : comment mettre en œuvre cette production et comment la financer ?
Si l’on s’en tient aux déclarations faites ces derniers mois, entre autres, par les dirigeants de Czechoslovak Group (CSG), la plus grande société dans le secteur industriel de la défense en République tchèque, le réapprovisionnement en munitions et autres équipements n’est en effet pas seulement limité ou freiné par les capacités de production à l’échelle nationale. Selon eux, le bât blesse ailleurs aussi, et ce, concrètement, dans les limites du financement, l’augmentation de la production d’armes étant entravée par les réticences des banques à prêter aux entreprises tirant l’essentiel de leurs revenus de l’industrie de l’armement.
Dans un entretien accordé mardi 9 avril au site de la Radio tchèque iRozhlas.cz, Jiří Hynek, président et directeur général de l’Association de l’industrie de la défense et de la sécurité, a d’ailleurs appelé les banques à juger en priorité la situation économique des entreprises, et non pas leurs activités ou ce qu’elles produisent. Or, si l’on s’en tient à la hausse de près de 50 % de son bénéfice net en 2023 annoncé par CSG ce mercredi, l’industrie de l’armement semble être un secteur d’activité qui se porte plutôt bien actuellement.
C’est donc pour améliorer la communication et les échanges entre les différentes parties, qu'une une réunion entre représentants de l’Association bancaire tchèque (ČBA), du ministère de la Défense, de la Chambre de commerce et de l’Association de l’industrie de la défense et de la sécurité (AOBP) s’est tenue à Prague, mardi 8 avril. Les petites et moyennes entreprises notamment, qui avant le début de la guerre en Ukraine et l’apparition de nouvelles opportunités se spécialisaient dans la production et le commerce d’armes davantage dans le domaine civil que militaire, se plaignent de la mauvaise volonté des banques.
De cette réunion, il est d’abord ressorti que la ČBA, une structure qui regroupe les banques et les sociétés de crédit immobilier opérant sur le marché tchèque, s’occupera désormais au cas par cas des clients de l’industrie de l’armement, un secteur qui, il est vrai, n’a toujours toujours eu la meilleure réputation par le passé. Le ministère de la Défense, lui, aidera ensuite les banques à compléter les informations éventuellement manquantes, comme l’a expliqué la ministre, Jana Černochová :
« Nous serons à la disposition des institutions bancaires. De nombreuses entreprises du secteur de l’armement se plaignent d’être discriminées par les banques. Elles affirment qu’elles refusent de leur accorder un crédit ou même de tenir un compte. Un groupe d’experts sera donc mis en place, dans lequel figureront à la fois des représentants du ministère et des banques, pour faire en sorte que certaines choses et certains dossiers ne soient plus refusés. »
Jana Černochová a indiqué que son ministère désignerait différents représentants qui seront à la disposition des responsables de toutes les banques pour aborder la question du financement des besoins stratégiques de l’État à l'avenir. « Il ne s’agit pas seulement des activités en faveur de l’Ukraine, mais de projets en général que l’État considère comme stratégiques », a-t-elle précisé, tout en ajoutant que le ministère entendait garantir la modernisation de l’armée tchèque.
De leur côté, selon diverses déclarations par exemple de l’ancien gouverneur de la banque centrale tchèque ou du directeur général d’UniCredit Bank lors d’un séminaire qui s’est tenu à la Chambre des députés en mars dernier, outre le fait que l’évaluation des contrats dans le secteur de l’armement soit souvent plus complexe que dans d’autres domaines d’activité, les banques privées hésiteraient à investir également par crainte que leur engagement auprès de sociétés productrices d’armes nuise à leur réputation. Une vision des choses que ne partage cependant pas Jan Kuchelka, président de la ČBA
« Les discussions que nous avons eues ces dernières semaines permettent d’éliminer certains préjugés et a priori qui ont pu apparaître par le passé. Depuis longtemps, les banques en République tchèque financent l’industrie de la défense tchèque. Il est évident que celle-ci tourne actuellement à plein régime et contribue à renouveler les stocks d’armes notamment dans les pays membres de l’OTAN. Et pour tout cela, ses principaux acteurs utilisent le capital des banques tchèques. »
Plus généralement, la ministre Černochová a rappelé que l’objectif était de garantir la capacité de défense de la République tchèque mais aussi de « soutenir l’industrie nationale dans toute la mesure du possible ». « Nous devons faire de notre mieux pour alimenter nos stocks et ceux de nos alliés », a-t-elle ajouté, tout en soulignant que les entreprises d’armement tchèques, dont la réputation dans le monde n’est plus à faire, avaient devant elles de nombreuses commandes à remplir.